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L'IDENTIFICATION
J.LACAN

Sèminaire IX
aula 23

Séminaire du 6 juin 1962

 
    Nous allons continuer aujourd'hui à élaborer la fonction de ce qu'on peut  appeler le signifiant de la coupure, ou encore le 8 intérieur, ou encore le lac, ou encore ce que j'ai appelé la dernière fois le signifiant polonais. Je voudrais pouvoir lui donner un nom encore moins signifiant , pour essayer d'approcher ce qu'il a de purement signifiant.

    Nous nous sommes avancés sur ce terrain tel qu'il se présente, c'est-à-dire dans une remarquable ambiguïté, puisque, pure ligne, rien n'indique  qu'il se recoupe comme la forme où je l'ai dessiné là je vous le rappelle mais en même temps laisse ouverte la possibilité de ce recoupement. Bref, ce signifiant ne préjuge en rien de l'espace où il se situe. Néanmoins pour en faire quelque chose, nous posons que c'est autour de ce signifiant de la coupure que s'organise ce que nous appelons la surface, au sens où ici nous l'entendons.

    La dernière fois, je vous rappelais - car ce n'est pas la première fois que je le montrais devant vous - comment peut  se construire la surface du tore autour, et autour seulement, d'une coupure, d'une coupure ordonnée, manipulée de cette façon quadrilatère  que la formule ... exprimée par la succession d'un A, d'un B, puis d'un A' et d'un B', nos témoins respectivement pour autant qu'ils peuvent être rapportés, accolés aux deux précédents, dans une disposition que nous pouvons qualifier, en général, par deux termes orientée d'une part, croisée d'autre part.   

    Je vous ai montré le rapport, le rapport si l'on peut dire , exemplaire du premier aspect, métaphorique et dont justement la question est de savoir si cette métaphore dépasse si l'on peut dire, le pur plan de la métaphore, le rapport métaphorique, (2 mots illisibles-note du claviste), qu'il peut rendre du rapport du sujet à l'Autre, à condition qu'explorant la structure du tore nous apercevions que nous pouvons mettre deux tores en tant qu'enchaînés l'un à l'autre, dans un mode de correspondance tel qu'à tel cercle privilégié sur l'un des deux que nous avons fait correspondre pour des raisons analogiques à la fonction de la demande, à savoir cette sorte de cercle tournant dans la forme familière de la bobine qui nous paraît particulièrement propice à symboliser la répétition de la demande pour autant qu'elle entraîne cette sorte de nécessité de se boucler, s'il est exclu qu'elle se recoupe après de nombreuses répétitions aussi multipliées que nous pouvons le supposer ad libitum, pour avoir fait ce bouclage, avoir dessiné le tour, le contour d'un autre vide que celui qu'elle cerne, celui que nous avons distingué 1e premier, lui définissant cette place du rien dont le circuit dessiné pour lui-même nous sert â symboliser, sous la forme de l'autre cercle topologiquement défini dans la structure du tore, l'objet du désir.

Pour ceux donc qui n'étaient pas là (je sais qu'il y en a dans cette assemblée) j'illustre ce que je viens de dire par cette forme très simple,   
 
par cette forme très simple, en répétant que cette boucle du bobinage de la demande, qui se trouve autour du vide constitutif du tore, se trouve dessiner ce qui nous sert à symboliser le cercle de l'objet du désir, à savoir tous les cercles qui font le tour du trou central de l'anneau.
 

Il y a donc deux sortes de cercles privilégiés sur un tore
-ceux; qui se dessinent autour du trou central,  

et ceux qui le traversent.

Un cercle peut cumuler les deux propriétés. C'est précisément ce qui arrive avec ce cercle ainsi dessiné ;

Je le mets en pointillé quand il passe de l'autre côté.



  
 






Sur la surface quadrilatère du polygone fondamental qui sert à montrer d'une façon claire et univoque la structure du tore, je symbolise ici, pour employer les  mêmes couleurs, de 1à à là, un cercle dit cercle de la demande, de là à là, un cercle dit cercle a, symbolisant l'objet du désir.





Et c'est ce cercle-là que vous voyez sur la première figure, qui est ici dessiné en jaune, représentant le cercle oblique, qui pourrait à la rigueur nous servir à symboliser, comme coupure du sujet, le désir lui-même. 


    La valeur expressive, symbolique, du tore, en l'occasion, est précisément de nous faire voir la difficulté, pour autant qu'il s'agit de la surface du tore et non d'une autre, d'ordonner ce cercle, ici, jaune, du désir, avec le cercle, ici, bleu, de l'objet du désir.  



Leur relation est d'autant moins univoque que l'objet n'est ici fixé, déterminé par rien d'autre que par la place d'un rien qui, si l'on peut dire, préfigure sa place éventuelle, mais d'aucune façon ne permet de le situer.


Telle est la valeur exemplaire du tore.   


    Vous avez entendu la dernière fois que cette valeur exemplaire se complète de ceci qu'à le supposer enchaîné, concaténé avec un autre tore en tant qu'il symboliserait l'Autre, nous voyons qu'assurément ceci - je vous l'ai dit - se démontre - je vous ai laissé le soin, cette démonstration, de la trouver vous-même, pour ne pas nous attarder -, nous voyons qu'assurément à décalquer ainsi le cercle du désir projeté sur le premier tore - sur le tore qui s'emboîte à lui, symbolisant le lieu de l'Autre - nous trouvons un cercle orienté die la même façon.

    Rappelez-vous. Vous avez, représenté en face de cette figure que ,  je recommencerai si la chose ne vous paraît pas trop fastidieuse, le décalque qui est une image symétrique. Nous aurons alors une ligne oblique, orientée du sud au nord, que nous pourrons dire inversée, spéculaire à proprement parler.

    Mais la bascule à 90 degrés, correspondant à l'emboîtement à 90° des deux tores, restituera la même obliquité. Autrement dit, après avoir pris effectivement - ce sont des expériences très faciles à réaliser qui ont toute la valeur d'une expérience - ces deux tores et avoir fait effectivement, par la méthode de rotation d'un tore à l'intérieur de l'autre que je vous ai désignée la dernière fois, ce décalque, ayant relevé si l'on peut dire la trace de ces deux cercles arbitrairement dessinée sur l'un et déterminée dès lors sur l'autre, vous pourrez voir, à les comparer ensuite, qu'ils sont exactement, au cercle qui les sectionne, superposables l'un à l'autre.

    En quoi donc cette image s'avère appropriée à représenter la formule que le désir du sujet est le désir de l'Autre.

    Néanmoins, vous ai-je dit, si nous supposons, non pas ce simple cercle dessiné dans cette propriété, dans cette définition topologique particulière d'à la fois entourer le trou et le traverses, mais de lui faire deux fois la traversée du trou, et une seule fois son entour c'est-à-dire sur le polygone fondamental de se présenter ainsi (croquis), ces deux points ici étant équivalents, nous avons alors quelque chose qui, sur le décalque, au niveau de l'Autre, se présente selon la formule suivante   

 

    Si vous voulez, disons que la réalisation de deux fois le tour, qui correspond à la fonction de l'objet et au transfert sur le décalque sur l'autre tore, en deux fois, de la demande selon la formule d'équivalence qui est pour nous en cette occasion précieuse, c'est de symboliser ceci que, dans une certaine forme de structure subjective, 1a demande du sujet consiste dans l'objet de l'Autre, l'objet du sujet consiste dans la demande de l'Autre. Recoupement : alors 1a superposition des deux termes, après la bascule, n'est plus possible.

    Après la bascule à 90° (croquis) la coupure est celle-ci, laquelle ne se superpose pas à la forme précédente.

    Nous y avons reconnu une correspondance qui nous est d'ores et déjà familière, pour autant que ce nous pouvons exprimer du rapport du névrosé à l'Autre en tant qu'il conditionne au dernier terme sa structure, est précisément cette équivalence croisée de la demande du sujet à l'objet de l'autre, de l'objet du sujet à la demande de l'autre. On sent là dans une sorte d'impasse où tout au moins d'ambiguïte la réalisation de 1'identité des deux désirs.

    Ceci est évidemment aussi abrégé que possible comme formule et bien sûr suppose déjà une familiarité acquise avec ces références, lesquelles supposent tout notre discours antérieur.

    La question donc restant ouverte, étant celle que nous allons aborder aujourd'hui d'une structure qui nous permette de formaliser d'une façon exemplaire, ric a de ressources, de suggestions, qui nous donne un support de qu'est ce vers quoi pointe notre recherche précisément, à savoir la fonction du fantasme, c'est-à-cette fin que peut nous servir la structure particulière dite du cross-cap ou du plan projectif, pour autant que déjà aussi je vous en ai donné une suffisante indication pour que cet objet vous soit, sinon tout-à-fait familier, du moins que déjà vous ayez tenté d'approfondir ce qu'il représente comme propriétés exemplaires.

    Je m'excuse donc d'entrer à partir de maintenant , dans une explication  qui, pour un instant, va rester très étroitement liée à cet objet d'une géométrie particulière dite topologique, géométrie non métrique mais topologique, dont déjà je vous ai fait remarquer autant que j'ai pu au passage quelle idée vous devez vous en faire, quitte à ce que, après vous être donnés la peine de me suivre dans ce que je vais maintenant vous expliquer, vous en soyez ensuite récompensés par ce qu'il nous permettra de supporter comme formule concernant l'organisation subjective qui est celle qui nous intéresse, parce qu'il nous permettra d'exemplifier comme étant la structure authentique du désir en ce qu'on pourrait appeler sa fonction centrale organisante.

     Bien sûr, je ne suis pas sans réluctance au moment, une fois de plus, de vous entraîner sur des terrains qui peuvent n'être pas sans vous fatiguer. C'est pourquoi je me référerai un instant à deux termes qui se trouvent être proches dans mon expérience et qui vont me donner l'occasion - d'abord première référence - de vous annoncer la parution imminente de la traduction par quelqu'un d'éminent qui nous fait aujourd'hui l'honneur de sa visite, à savoir; M. de Wahlens.  M. de Wahlens vient de faire la traduction - dont on ne saurait trop s'étonner qu'elle n'ait pas été réalisée plus tôt - de l'Être et le Temps, "Sein and Zeit", tout au moins d'amener jusqu'à son point d'achèvement la première partie du volume paru dont vous savez qu'il n'est que la première partie d'un projet dont la seconde partie n'est jamais venue à jour. Donc en cette première partie, il y a deux sections ; et la première section est d'ores-et déjà traduite par M. de Wahlens qui m'a fait le grand honneur, la faveur de me la communiquer, ce qui m'a permis de prendre connaissance moi-même de cette partie - la moitié encore seulement - et je dois dire, avec un infini plaisir, un plaisir qui va me permettre de m'en offrir un second c'est de dire enfin, à cet endroit, ce que j'ai sur le coeur depuis longtemps et que je me suis toujours dispensé de professer en public, parce qu'à la vérité, vu la réputation de cet ouvrage dont je ne crois pas que beaucoup de personnes ici l'ayant lu , cela aurait eu l'air d'une provocation.

    C'est ceci : c'est qu'il y a peu de textes plus clairs, enfin d'une clarté et d'une simplicité concrète et enfin directe - je ne sais pas quelles sont les qualifications qu'il faut que j'invente pour ajouter  une dimension supplémentaire à l'évidence - que les textes de Heidegger.  Ce n'est pas parce que ce qu'en a fait M. Sartre est effectivement assez difficile à lire que cela retire rien au fait que ce texte-là de Heidegger - je ne dis pas : tous les autres - est un texte qui porte en lui cette sorte de surabondance de clarté qui rend véritablement accessible, sans aucune difficulté, à toute intelligence non intoxiquée par un enseignement philosophique préalable.

    Je peux vous le dire maintenant, parce que vous aurez très bientôt l'occasion de vous apercevoir grâce à la traduction de M. de Wahlens vous verrez à quel point c'est ainsi.

    La deuxième remarque est celle-ci, que vous pourrez constater du même coup : des assertions se sont véhiculées, dans des follicules bizarres de la part d'une "baveuse" de profession que mon enseignement est néo-heideggérien. Ceci était dit dans une intention nocive. La personne probablement a mis néo en raison d'une certaine prudence ; comme elle ne savait ni ce que voulait dire heideggérien, ni non plus ce que voulait dire mon enseignement, cela la mettait à l'abri d'un certain nombre de réfutations que cet enseignement qui est le mien n'a véritablement rien de néo , ni d'heideggérien, malgré l'excessive révérence que j'ai pour l'enseignement d'Heidegger.

    La troisième remarque est liée à une seconde référence, à savoir que quelque chose va paraître - vous allez être régalés d'ici peu - qui est au moins aussi important - enfin, l'importance ne se mesure pas dans des domaines différents avec un centimètre - qui est très important aussi disons : c'est le volume - qui n'est pas encore en librairie, m'a-t-on dit de Claude Lévi-Strauss, qui s'appelle "La pensée sauvage" .

   Il est paru, me dites-vous. J'espère que vous avez déjà commencer à vous amuser. Grâce aux soins que m'impose notre Séminaire, je ne me suis pas avancé très loin, mais j'ai lu les pages inaugurales magistrales, par où Claude Lévi-Strauss entre dans l'interprétation de ce qu'il appelle la pensée sauvage, qu'il faut entendre - comme, je pense, son interview dans "Le Figaro" vous l'a déjà appris - non pas comme la pensée des sauvages mais comme peut-on dire l'état sauvage de la pensée, disons : la pensée en tant qu'elle fonctionne bien, efficacement, avec tous les caractères de la pensée, avant d'avoir pris la forme de la pensée scientifique, de la pensée scientifique moderne avec son statut. Et Claude Levi-Strauss nous montre qu'il est tout-à-fait impossible de mettre là une coupure si radicale puisque la pensée qui n'a pas encore conquis son statut scientifique est tout-à-fait déjà appropriée à porter certains effets scientifiques.

   Telle est, du moins, sa visée apparente à son départ, et il prend singulièrement comme exemple pour illustrer ce qu'il veut en dire, de la pensée sauvage, quelque chose ou sans doute entend-il rejoindre ce quelque chose de commun qu'il y aurait avec la pensée disons telle que, il le souligne, telle qu'elle a porté des fruits fondamentaux à partir du moment lui-même qu'on ne peut pas qualifier d'absolument anhistorique puisqu'il le précise : la pensée à partir de l'ère néolithique qui donne, nous dit-il encore, tous ses fondements à notre assiette dans le monde. Pour l'illustrer, si je puis dire, encore fonctionnant à notre portée, il ne trouve rien d'autre et rien de mieux que de l'exemplifier sous une forme sans doute non unique, mais privilégiée par sa démonstration sous la forme de ce qu'il  appelle le bricolage.

    Ce passage a tout le brillant que nous lui connaissons, l'originalité propre à cette sorte d'abrupt, de nouveauté, de chose qui bascule et renverse les perspectives banalement reçues, et c'est un morceau qui assurément est fort suggestif.

    Mais il m'a paru justement particulièrement suggestif pour moi, après la relecture que je venais de faire, grâce à M. de Wahlens, des thèmes heideggériens, précisément en tant qu'il prend comme exemple dans sa recherche du statut, si l'on peut dire, de la connaissance en tant qu'il peut s'établir dans une approche qui pour l'établir prétend cheminer à partir de l'interrogation concernant ce qu'il appelle "l'être-là", c'est-à-dire la forme la plus voilée à la fois et la plus immédiate d'un certain type d'étant, le fait d'être qui est celui particulier à l'être humain, on ne peut manquer d'être frappé, encore que probablement la remarque révolterait autant l'un et l'autre de ces auteurs, de la surprenante identité sur lequel l'un et l'autre s'avancent.

    Je veux dire que ce que rencontre d'abord Heidegger dans cette recherche, c'est un certain rapport de l'être-lá à un étant qui est défini comme ustensile, comme outil, comme ce quelque chose qu'on a sous sa main pour employer le terme dont il se sert, comme Zuhandenheit pour ce qui est à la main.

    Telle est la première forme de lien, non pas au monde, mais à l'étant, que Heidegger nous dessine. Et c'est seulement à partir de là, à savoir, si l'on peut dire, dans les implications, la possibilité d'une pareille relation, qu'il va, dit-il, donner son statut propre à ce qui fait le premier grand pivot de son analyse : la fonction de l'être dans son rapport avec le temps, à savoir la Weltlich eit que M. de Wahlens a traduit par "les mondanités", à savoir la constitution du monde en quelque sorte préalable, préalable à ce niveau de l'être-là qui ne s'est pas détaché encore à l'intérieur de l'étant, ces sortes d'étant que nous pouvons considérer comme purement et simplement subsistant par eux-mêmes.

    Le monde est autre chose que l'ensemble, l'englobement de tous ces êtres qui existent, subsistent par eux-mêmes, auxquels nous avons à faire au niveau de cette conception du monde qui nous paraît si immédiatement naturelle - et pour cause - parce que c'est celle que nous appelons la nature. L'antériorité de la constitution de cette mondanité par rapport au moment où nous pouvons la considérer comme nature, tel est l'intervalle que préserve, par son analyse, Heidegger.

    Ce rapport primitif d'ustensilité préfigurant l'Umwelt antérieur encore à l'entourage qui ne se constitue, par rapport à lui, que secondairement. c'est là la démarche d'Heidegger et c'est exactement la même je ne crois pas là rien dire qui puisse être retenu comme une critique qui certes, après tout ce que je connais de la pensée et des dires de  Claude Levi-Strauss, nous paraît bien la démarche  la plus opposée à la sienne pour autant que ce qu'il donne comme statut à la recherche d'ethnographie ne se produirait que dans une position d'aversion par .rapport à la recherche métaphysique ou même ultra-métaphysique d'Heidegger pourtant c'est bien la même que nous trouvons dans ce premier pas par lequel Claude Levi-Strauss entend nous introduire à la pensée sauvage sous la forme de ce bricolage qui n'est pas autre chose que la même analyse, simplement en des termes différents, un éclairage à peine modifié, une visée sans doute distincte de ce même rapport à l'ustensilité comme étant ce que l'un et l'autre considèrent comme antérieur, comme primordial par rapport à cette sorte d'accès structuré qui est le nôtre par rapport au champ de l'investigation scientifique, en tant qu'il permet de le distinguer comme fondé sur une articulation de "l'objectité " qui soit en quelque sorte autonome, indépendante de ce qui est à proprement parler notre existence et que nous ne gardons plus avec lui que ce rapport dit "sujet-objet" qui est ce point où se résume à ce jour tout ce que nous pouvons articuler de l'épistémologie.

    Eh bien disons, pour le fixer une fois, ce que notre entreprise ici en tant qu'elle est fondée sur l'expérience analytique a de distinct par rapport autant à l'une que l'autre de ces investigations dont je viens de vous montrer le caractère parallèle, c'est que nous aussi, nous cherchons ici ce statut, si l'on peut dire, antérieur à l'accès classique du statut de l'objet, entièrement concentré dans l'opposition sujet-objet. Et nous le cherchons dans quoi ? Dans ce quelque chose qui, quel qu'en soit le caractère évident d'approche, d'attraction dans la pensée, autant celle d'Heidegger que celle de Claude Levi-Strauss, en est pourtant bel et bien distinct, puisque ni l'un ni l'autre ne nomme comme tel cet objet comme objet du désir.

    Le statut primordial de l'objet pour disons en tout cas une pensée analytique ne peut être et ne saurait être autre chose que 1'objet du désir. Toutes les confusions dont s'est embarrassée jusqu'ici la théorie analytique sont conséquences de ceci : d'une tentative, de plus d'une tentative, de tous les modes possibles de tentative pour réduire ce qui s'impose â nous, à savoir cette recherche du statut de l'objet du désir, pour le réduire à des références déjà connues dont la plus simple et la plus commune est celle du statut de l'objet de la science en tant qu'une épistémologie philosophante l'organise dans l'opposition dernière et radicale sujet-objet en tant qu'une interprétation plus ou moins infléchie par 1es nuances de la recherche phénoménologique peut  à la rigueur en parler comme l'objet du désir.

    Ce statut de l'objet du désir comme tel reste toujours éludé dans toutes ses formes jusqu'ici articulées de la théorie analytique ; et ce que nous cherchons ici est précisément à lui donner son statut propre. C'est dans cette ligne que se situe la visée que je poursuis devant vous pour l'instant.

    Voici donc les figures où aujourd'hui je vais essayer de vous faire remarquer ce qui nous intéresse dans cette structure de surface dont les propriétés privilégiées sont faites pour nous retenir comme support structurant de ce rapport du sujet à l'objet du désir, en tant qu'il se situe comme supportant tout ce que nous pouvons articuler à quelque niveau que ce soit de l'expérience analytique, autrement dit comme cette structure que nous appelons le fantasme fondamental.



    Pour ceux qui n'étaient pas là au Séminaire précédent, je rappelle cette forme ici (croquis) dessinée en blanc : c'est cela que nous appelons cross-cap ou pour être plus précis - puisque, je vous l'ai dit, une certaine ambiguïté reste sur l'usage de ce terme cross-cap - : le plan projectif .

    Comme son dessin ici à la craie blanche ne suffit pas, pour ceux qui ne l'ont pas encore appréhendé, à vous faire représenter ce que c'est. je vais essayer de vous le faire imaginer en vous le décrivant comme si cette surface était là constituée en baudruche. 
 

Pour être encore plus clair, je vais partir de la base. Supposez que vous ayez deux arceaux comme ceux d'un piège à loup (croquis). C'est cela qui va nous servir à représenter la coupure. Si nous orientons les deux cercles du piège à loup dans le même sens, cela veut dire que nous allons simplement les refermer l'un sur l'autre. Si vous avez une baudruche, précisément si vous soufflez dedans et si vous refermez le piège à loup, il est tout de même à la portée des imaginations élémentaires de voir que vous allez faire une sphère



    Si le souffle ne vous paraît pas suffisant, vous remplissez d'eau jusqu'à ce que vous obteniez cette forme-ci, vous refermez les deux demi-cercles du piège à loup, et vous avez une sphère à demi pleine ou a demi-vide.

    Je vous ai déjà expliqué comment au lieu de cela on peut faire un tore. Un tore, c'est cela : vous mettez les deux coins de ce mouchoir rejoints en l'air comme cela et les deux autres par en dessous comme ceci, et cela suffit à faire un tore. L'essentiel du tore est là, puisque vous avez ici le trou central et ici le vide circulaire autour duquel tourne le circuit de la demande. C'est cela que le polygone fondamental du tore vous a déjà illustré. Un tore, ce n'est pas du tout comme une sphère. Naturellement un cross-cap, ce n'est pas du tout comme une sphère non plus.



Le cross-cap, vous l'avez ici (croquis) vous devez l'imaginer comme étant, pour cette moitié inférieure, réalisé comme la moitié de ce que vous avez fait tout à l'heure avec la baudruche quand vous l'avez remplie d'eau ou de votre souffle ; dans la partie supérieure, ce qui est ici antérieur viendra traverser tout ce qui est continu, ce qui ici est postérieur. Les deux faces se croisent l'une l'autre, donnent l'apparence de se pénétrer puisque les conventions concernant les surfaces sont libres - car n'oubliez pas que nous ne les considérons que comme surfaces, que nous pouvons dire que sans doute les propriétés de l'espace tel que nous 1'ima ginons nous forcent, dans la représentation, à les représenter comme se pénétrant - mais il suffit que nous ne tenions aucun compte de cette ligne d'intersection dans aucun des moments de notre traitement de cette surface, pour que tout se passe comme si nous la tenions pour rien. Ce n'est pas une arrête. Ce n'est rien que quelque chose que nous sommes forcés de nous représenter parce que nous voulons représenter ici, cette surface, comme une ligne de pénétration. Mais cette ligne, si l'on peut dire, dans la constitution de la surface n'a aucun privilège. Vous me direz : "Que signifie ce que vous êtes en train de dire ?"


  

X dans la salle : "Est-ce que cela veut dire que vous admettez, avec l'Esthétique Transcendantale, de Kant, la constitution fondamentale de l'espace en trois dimensions, puisque vous nous dites que pour se présenter ici les choses vous êtes forcé d'en passer par quelque chose qui dans la représentation est en quelque sorte gênant ?" Bien sûr, d'une certaine façon, oui. Tous ceux qui articulent ce qui concerne la topologie des surfaces comme telles partent - c'est le b, à, ba de la question - de cette distinction de ce qu'on peut appeler les propriétés intrinsèques de la surface et les propriétés extrinsèques. Ils nous diront que tout ce qu'ils vont articuler, déterminer, concernant le fonctionnement des surfaces ainsi définies, est à distinguer de ce qui se passe - comme ils s'expriment littéralement - quand on plonge la dite surface dans l'espace, nommément dans le cas présent à trois dimensions.

    C'est cette distinction fondamentale qui est aussi celle que je vous ai sans cesse rappelée pour vous dire que nous ne devions pas considérer l'anneau, le tore comme un solide et que, quand je parle du vide qui est central, du pourtour de l'anneau, comme du trou qui lui est, si je puis dire, axial, ce sont des termes qu'il convient de prendre à l'intérieur de ceci que nous n'avons pas à les faire fonctionner pour autant que nous visons purement et simplement la surface.

    Il n'en reste pas moins que c'est pour autant que, comme s'expriment les topologistes nous plongeons dans un espace que nous pouvons laisser à l'état d'x- qu'en est-il du nombre de dimensions qui le structurent, nous ne sommes point forcés d'en préjuger - que nous pouvons mettre en valeur telle ou telle des propriétés intrinsèques dont i1 s'agit dans une surface.

    Et la preuve est justement ceci : c'est que 1e tore, nous n'aurons aucune difficulté à le représenter dans l'espace à trois dimensions qui nous est intuitivement familier, alors que pour celle-ci nous aurons tout de même une certaine peine puisqu'il nous faudra y ajouter la petite note de toutes sortes de réserves concernant ce que nous avons à lire quand nous tentons de représenter dans cette espace cette surface.

    C'est ce qui nous permettra de poser justement la question de la structure d'un espace en tant qu'il admet ou qu'il n'admet pas nos surfaces telles que nous  les avons préalablement constituées.

    Ces réserves étant faites, je vous prie maintenant de poursuivre  et de considérer ce que j'ai à vous enseigner sur cette surface précisément en tant que c'est à propos de sa représentation dans l'espace que je vais essayer de vous mettre en valeur certains de ses caractères, qui n'en sont pas moins intrinsèques pour cela.   


Car si j'ai d'ores et  déjà éliminé la valeur  que nous pouvons donner à cette ligne, 1igne , ligne de pénétration, dont vous voyez ici le détail illustré c'est ainsi que nous pouvons la représenter (voir croquis) - vous voyez que rien que par la façon dont je l'ai, moi, déjà dessiné au tableau, il y a ici quelque chose qui nous pose une question.   



    La valeur de ce point qui est ici est-elle une valeur que nous pouvons en  quelque sorte effacer comme la valeur de cette ligne ? Est-ce que ce point est lui aussi quelque chose qui ne tient qu'à 1a nécessité de la représentation dans l'espace à trois dimensions

    Je vous le dis tout de suite pour éclairer ; un peu à l'avance mon propos ce point, quant à sa fonction, n'est pas éliminable, au moins un certain niveau de la spéculation sur la surface, un niveau qui n'est pas seulement défini par l'existence de l'espace à trois dimensions.

    En effet, que signifie radicalement la construction de cette surface dite du cross-cap, en tant qu'elle s'organise à partir de la coupure que je vous ai représentée tout à l'heure comme un piège à loup qu'on referme ?   

   

Rien de plus simple que de voir qu'il faut que ce piège à loup soit bipartite, quand il s'agit de la sphère, puisqu'il faut bien qu'il se replie quelque part, que ses deux moitiés sont orientées dans le même sens : le terminus a quoi se distinguera donc du terminus ad quus en tant qu'ils doivent se recouvrir de leur long.

Nous pouvons dire qu'ici (croquis) nous avons la façon dont fonctionne l'une par rapport à l'autre les deux moitiés du bord qu'il s'agit de rejoindre pour constituer un  plan projectif.


 



Ici (croquis) ils sont orientées en sens contraire, ce qui veut dire qu'un point situé à cette place, point a par exemple, correspondra, sera identique, équivalent, à un point situé à cette place en a' diamétralement opposé, qu'un autre point b situé ici par exemple se rapportera à un autre point b' situé diamétralement.



    Ceci ne nous incite-t-il pas à penser qu'étant donné ce rapport antipodique des points sur ce circuit orienté d'une façon continue toujours dans le même sens, aucun point n'aura de privilège et que, quelle que soit notre difficulté d'intuitionner ce dont il s'agit, il nous faut simplement penser ce rapport circulaire antipodique comme une sorte  d'entrecroisement rayonné si l'on peut dire, concentrant l'échange d'un point au point opposé du bord unique de ce trou, et le concentrant, si l'on peut dire , autour d'un vaste entrecroisement central qui échappe à notre pensée et qui ne nous permet d'aucune façon donc dans donner de  représentation satisfaisante.

    Néanmoins ce qui justifie que les choses soient ainsi représentée c'est qu'il y a quelque chose qu'il convient de ne pas oublier : c'est qu'il ne s'agit pas de figures métriques, à savoir que ce n'est pas la distance de a à A et de a' à A qui règle la correspondance point par point qui nous permet de construire la surface en organisant de cette façon la coupure, mais c'est uniquement la position relative des points, autrement dit dans un ensemble de trois points qui se situent sur moitié - admettez l'usage du terme la moitié dont je me sers en cette occasion, qui est déjà représenté par la référence analogique que j'ai faite ici des deux moitiés du bord - c'est en tant que sur ce bord, sur cette ligne, comme sur toute ligne, un point peut être défini comme étant entre deux autres qu'un point c par exemple va pouvoir trouver son correspondant dans le point c' de l'autre coté...

    Mais, si nous n'avons pas de point d'origine, de point 
αρχην - Saint Jean VIII - 25 comme on dit dans l'Évangile ce qui a prêté à de telles difficultés de  traduction qu'un penseur comme de Franche-Comté a cru devoir me dire : "C'est bien là qu'on vous reconnaît : le seul passage de l'Évangile sur lequel personne ne peut s'accorder, c'est lui que vous avez pris en épigraphe pour une partie de votre rapport de Rome". την αρχην, donc le commencement, s'il n'y a pas ces points de commencement quelque part, il est impossible de définir un point comme étant entre deux autres, car c et c' sont aussi bien entre ces deux autres a et B s'il n'y a pas de A A' pour repérer d'une façon univoque ce qui se passe dans chaque segment.

    C'est donc pour d'autres raisons que la possibilité de les représenter dans l'espace qu'il faut que nous définissions un point d'origine à cet échange entrecroisé qui constitue la surface du plan projectif entre un bord qu'il faut bien, malgré qu'il tourne toujours dans le même sens que nous divisions en deux.

    Ceci peut vous paraître fort ennuyeux, mais vous allez voir que cela va prendre un intérêt de plus en plus grand.

    Je vous annonce tout de suite ce que j'entends dire.

    J'entends dire que ce point arxhn origine a une structure tout à fait privilégiée, que c'est lui, c'est sa présence, qui assure à la boucle intérieure de notre signifiant polonais, un statut qui lui est tout à fait spécial.

    En effet, pour ne pas vous faire attendre plus longtemps, j'applique ce signifiant, dit en huit intérieur, sur la surface du cross-cap. Nous verrons après ce que cela veut dire. Observez tout de même que l'appliquer de cette façon cela veut dire que cette ligne que dessine notre signifiant huit intérieur se trouve ici faire deux fois le tour de ce point privilégié (croquis).

    Là, faites un effort d'imagination. Je veux bien vous l'illustrer par quelque chose ; voyez ce que cela peut faire (croquis)

    Vous avez ici, si vous voulez, le renflement de la moitié inférieure, le renflement de la pince gauche de la patte de homard, le renflement de la pince droite.


Ici cela rentre dans l'autre, cela passe de l'autre côté. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que vous avez en somme un plan qui s'enroule comme cela sur lui, puis qui à un moment se traverse lui-même. De sorte que cela fait comme deux espèces de volets ou d'ailes battantes ici superposées qui se trouvent en somme par la coupure isolées du renflement inférieur, et au niveau supérieur ces deux ailes se croisent l'une l'autre. Ce n'est par très inconcevable.   

Si vous étiez intéressés aussi longtemps que moi à cet objet, évidemment cela vous paraîtrait peu surprenant. Car à vrai dire le privilège de cette double coupure, cela est très intéressant. C'est très intéressant en ce sens que, concernant le tore, je vous l'ai déjà montré, si vous faites une coupure, cela le transforme en une bande si vous en faites une seconde, qui traverse la première, cela ne le fragmente pas pour autant, c'est cela qui vous permet d'étaler comme un beau carré. Si vous faites deux coupures qui ne se recroisent pas, sur un tore -essayez d'imaginer cela - là vous le mettez forcément en deux morceaux.   

Ici, sur le cross-cap, avec une coupure qui est une coupure simple comme celle qui peut se dessiner ainsi (croquis) vous ouvrez cette surface. Amusez-vous à en faire le dessin, ce sera un très bon exercice intellectuel de savoir ce qui se passe à ce moment là. Vous ouvrez la surface, vous ne la coupez pas en deux, vous n'en faites par deux morceaux.

Si vous faites n'importe quelle autre coupure qui se croise ou qui ne se croise pas, vous la divisez.


    Ce qui est paradoxal et intéressant , c'est qu'en somme il ne s'agit ici que d'une seule coupure toujours et que néanmoins, a simplement lui faire faire deux fois le tour du point privilégié, vous divisez la surface.

    Ce n'est pas du tout pareil sur un tore. Sur un tore, si vous faites autant de fois que vous voudrez le tour du trou central, vous n'obtiendrez jamais qu'un allongement en quelque sorte de la bande, mais vous ne le diviserez pas pour autant.

    Ceci, pour vous faire remarquer que nous touchons là, sans doute, quelque chose d'intéressant concernant la fonction de cette surface.

    I1 y a d'ailleurs quelque chose qui n'est pas moins intéressant : c'est que ce double tour, avec ce résultat, est quelque chose que vous ne pouvez pas répéter une seule fois de plus ; si vous faites un triple tour, vous serez amenés à dessiner sur la surface quelque chose qui se répétera indéfiniment à la manière des boucles que vous opérez sur le tore, quand vous vous livrez à l'opération de bobinage dont je vous ai parlé au départ, à ceci près qu'ici la ligne ne se rejoindra jamais, ne se mordra jamais la queue.

    La valeur privilégiée de ce double tour est donc suffisamment assurée par ces deux propriétés.

    Considérons maintenant la surface qu'isole ce double tour sur le plan projectif. .Je vais vous en faire remarquer certaines propriétés.

    D'abord, c'est ce que nous pouvons appeler une surface - appelons-la comme cela, pour la rapidité, entre nous, si l'on peut dire, puisque je vais vous rappeler ce que cela veut dire - ; c'est une surface gauche, comme un corps gauche, comme n'importe quoi que nous pouvons définir comme cela dans l'espace. Je ne l'emploie pas pour l'opposer à droite, je l'emploie pour définir ceci, que vous devez bien connaître : c'est que si vous voulez définir l'enroulement d'un escargot qui, comme vous le savez, est privilégié - dextrogyre ou lévogyre, peu importe, cela dépend comment vous définissez l'un ou l'autre - cet enroulement, vous le trouvez le même que vous regardiez l'escargot du côté de sa pointe ou que vous 1e retourniez pour le regarder du côté de l'endroit où il ébauche un creux.

    En d'autres termes, c'est qu'à retourner ici le cross-cap pour le voir de l'autre côté, si nous définissons ici la rotation de la gauche vers la droite en nous éloignant du point central, vous voyez qu'il tourne toujours dans le même sens de l'autre côté. Fig. B.

    Ceci est la propriété de tous les corps qui sont dissymétriques. C'est donc bien d'une dissymétrie qu'il s'agit fondamentale à la forme de cette surface.

    A preuve, c'est que vous avez au-dessous quelque chose qui est l'image de cette surface ainsi définie sur notre double boucle, dans le miroir. La voici. Nous devons nous attendre à ce que, comme dans tout corps dissymétrique, l'image dans le miroir ne lui soit pas superposable, de même que notre image dans le miroir , à nous qui ne sommes pas symétriques malgré ce que nous en croyons, ne se superpose pas du tout à notre propre support. Si nous avons un grain de beauté sur la joue droite, ce grain de beauté sera sur la joue gauche de l'image dans le miroir.

    Néanmoins, la propriété de cette surface est telle que, comme vous le voyez il suffit de faire remonter un tout petit peu cette boucle là et que c'est légitime -, de la faire passer au-dessus de l'autre, puisque les deux plans ne se traversent pas réellement, pour que vous ayez une image (3) absolument identique et donc superposable à la première, à celle dont nous sommes partis (I). Fig. C.

    Vous voyez ce qui se passe : remontez cela tout doucement progressivement jusqu'ici, et voyez ce qui va se passer, à savoir que l'occultation de cette petite partie en pointillé située ici est la réalisation identique de ce qui est dans l'image primitive.

    Ceci nous sert à illustrer cette propriété que je vous ai dit être celle de a en tant qu'objet du désir, d'être ce quelque chose qui est à la fois orientable et assurément très orienté, mais qui n'est pas, si je puis m'exprimer ainsi, spécularisable.

    A ce niveau radical qui constitue le sujet dans sa dépendance par rapport à l'objet du désir, la fonction i(a),  i de a, fonction spéculaire, perd sa prise si l'on peut dire.

    Et tout ceci est commandé par quoi ?

    Par quelque chose qui est justement ce point (point central) en tant qu'il appartient à cette surface

    Pour éclairer tout de suite ce que je veux dire, je vous dirai que c'est en articulant la fonction de ce point que nous pourrons trouver toutes sortes de formules heureuses qui nous permettent de concevoir la fonction du phallus au centre de la constitution de l'objet du désir.

C'est pour cela qu'il vaut la peine que nous continuions de nous intéresser à la structure de ce point.

    Ce point, en tant que c'est lui qui est la clé de la structure, de cette surface ainsi définie, découpée par notre coupure dans le plan projectif, ce point, il faut que je m'arrête un instant à vous montrer quelle est sa véritable fonction. C'est ce qui vous demandera, bien sûr, encore un peu de patience.

    Quelle est la fonction de ce point ?

    Ce qui est là dans ce moment auquel nous nous arrêtons est manifeste, c'est qu'il est dans une des deux parts dont par la double coupure le plan projectif est divisé. I1 appartient à cette partie qui se détache, il n'appartient pas à la partie qui reste. (Figure D).

    Puisqu'il semble que vous ayez été capables tout à l'heure, - je dois tout au moins l'induire du fait qu'il ne s'est élevé aucun murmure de protestation - de concevoir comment cette figure peut passer à celle-ci par simple déplacement légitime du niveau de la coupure, vous (D) allez, je pense, être aussi bien capables de faire l'effort mental de voir ce qui se passe si, d'une part, nous faisons franchir l'horizon du cul de sac inférieur de la surface à cette coupure en la faisant passer donc de l'autre côté, comme l'indique ma flèche jaune et si nous faisons franchir à la partie supérieure de la boucle également l'horizon de ce qui est en haut du cross-cap. Fig. D.

    Ceci nous conduit sans difficulté à la figure suivante.

    Le passage à la dernière est un petit peu plus difficile à concevoir, non pas pour la boucle inférieure comme vous le voyez, mais pour la boucle supérieure pour autant que vous pouvez peut-être avoir un instant d'hésitation concernant ce qui se passe au moment du franchissement de ce qui ici se présente comme l'extrémité de .la ligne de pénétration.

    Si vous y réfléchissez un petit peu, vous verrez que si c'est de l'autre côté que la coupure est amenée à franchir cette ligne de pénétration, évidemment elle se présentera comme cela, c'est-à-dire, comme elle est de l'autre côté, elle sera pointillée de ce côté-ci, et elle sera plaine puisque d'après notre convention ce qui est pointillé est vu par transparence.

    Rien dans la structure de la surface ne nous permet de distinguer la valeur de ces coupures 1 et 2, donc de celles auxquelles nous aboutissons ici. Pour l'oeil, elles se présentent comme rentrant toutes deux du même côté de la ligne de pénétration.

    Est-ce que c'est très simple pour l'oeil ? Sûrement pas. Car cette différence qu'il y a entre, pour la coupure de rentrer des deux côtés différents (I) ou rentrer par le même côté,3 c'est quelque chose qui doit tout de même se signaler dans le résultat, sur la figure. Et d'ailleurs, ceci est tout à fait sensible. Si vous réfléchissez à ce que c'est, ce qui désormais est découpé sur cette surface, vous le reconnaîtrez facilement   

 

d'abord, c'est la même chose que notre signifiant ; en plus de la façon dont cela découpe une surface, cela découpe une surface dont vous sentez très bien - vous n'avez qu'à regarder la figure - que c'est une bande, une bande qui n'a qu'un bord. Je vous ai déjà montré ce que c'est c'est une surface de Moebius.

    Or, les propriétés d'une surface de Moebius sont des propriétés complètement différentes de celles de cette petite surface tournante dont je vous ai montré tout à l'heure les propriétés en la retournant, en la mirant, en la transformant et en vous disant finalement que c'est celle-là qui nous intéresse.

    Ce petit tour de passe-passe a évidemment une raison qui n'est pas difficile à chercher. Son intérêt est simplement de vous montrer que cette coupure divise la surface toujours en deux parts, dont l'une conserve le point dont il s'agit à son intérieur, et dont l'autre ne l'a plus.

    Cette autre partie qui est tout aussi bien présente là 1 que dans la figure terminale 3 , c'est une surface de Moebius. La double coupure divise toujours la surface appelée cross-cap en deux : ce quelque chose auquel nous nous intéressons et dont je vais faire pour vous le support de l'explication du rapport de $ avec a dans le fantasme, et, de l'autre côté une surface de Moebius.

    Quelle est la première chose que je vous ai fait toucher du doigt quand je vous ai fait cadeau de cette petite cinq ou sizaine de surfaces de Moebius que j'ai lancées à travers l'assemblée ?

    C'est que la surface de Moebius, elle, au sens où je l'entendais tout à l'heure, est irréductiblement gauche. Quelque modification que vous lui fassiez subir, vous ne pourrez pas lui superposer son image dans le miroir.

    Voilà donc la fonction de cette coupure et ce qu'elle montre d'exemplaire. Elle est telle que, divisant une certaine surface d'une façon privilégiée, surface dont la nature et la fonction nous sont complètement énigmatiques, puisqu'à peine pouvons-nous la situer dans l'espace, elle fait apparaître des fonctions privilégiées d'un côté, qui sont celles que j'ai appelées tout à l'heure d'être spécularisable, c'est-à-dire de comporter son irréductibilité à l'image spéculaire , et, de l'autre côté, une surface qui, quoique présentant tous les privilèges d'une surface, elle, orientée, n'est pas spécularisée. Car remarquez bien, que cette surface, on ne peut pas dire, comme sur la surface de Moebius, qu'un être infiniment plat se promenant se trouve tout d'un coup sur cette surface à son propre envers : chaque face est bel et bien séparée de l'autre dans celle-ci:



    Cette propriété, bien sûr, est quelque chose qui laisse ouverte une énigme ; car ce n'est pas si simple, d'autant moins simple que la surface totale - c'est bien évident, n'est reconstituable, et reconstituable immédiatement, qu'à partir de celle-ci   

 

    Il faut donc bien que les propriétés les plus  fondamentales de la surface soient quelque part conservées, malgré son apparence plus rationnelle que celle de l'autre, dans cette surface.

    Il est tout à fait clair qu'elles sont conservées au niveau du point. Si le passage qui dans la figure totale rend toujours possible à un voyageur infiniment plat de se retrouver par un chemin excessivement bref en un point qui est son propre envers - je dis : sur la surface totale -, si ce n'est plus possible au niveau de la surface centrale, fragmentée, divisée par le signifiant de la double boucle, c'est que très précisément quelque chose de cela est conservé au niveau du point.

    A ceci près que justement pour ce point fonctionne comme ce point, il a ce privilège d'être justement infranchissable, sauf à faire s'évanouir, si l'on peut dire, toute la structure de 1a surface.

    Vous le voyez, je n'ai même pas pu encore donner son plein développement à ce que je viens de dire de ce point. Si vous y réfléchissez, vous pourrez, d'ici la prochaine fois 1e trouver vous-même.

    L'heure est avancée, et c'est bien là que je suis forcé de votes laisser. Je m'excuse de l'aridité de ce que j'ai été amené aujourd'hui à produire devant vous, du fait de la complexité même, encore que ce ne soit qu'une complexité extraordinairement pun(c)tiforme (le (c) est du claviste !) , c'est le cas de le dire. C'est là que je reprendrai la prochaine fois.  

    Je reviens donc sur ce que j'ai dit à l'entrée : le fait que je n'ai pu arriver que jusqu'à ce point de mon exposé fera que le Séminaire de mercredi prochain - dites-le à ceux qui ont reçu la prochaine annonce sera maintenu dans le dessein de ne pas laisser trop d'espace, trop d'intervalle entre ces deux séminaires, car cet espace pourrait être nuisible à la suite de notre explication.