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Sigmund Freud
L'IDENTIFICATION
J.LACAN
Sèminaire
IX
Version
rue CB
Séminaire du 2 mai 1962
Ce n'est pas forcément dans l'idée de vous ménager,
ni vous ni personne, que j'ai pensé aujourd'hui pour cette séance
de reprise, à un moment qui est une course de deux mois que nous avons
devant nous pour finir de traiter ce sujet difficile, que j'ai pensé
à faire pour cette reprise une sorte de relais. Je veux dire qu'il
y a longtemps que j'avais envie, non seulement de donner la parole à
quelqu'un d'entre vous, mais même précisément de la donner
à Mme Aulagnier. I1 y a très longtemps que j'y pense puisque
c'est au lendemain dune communication qu'elle a faite à une de nos
séances scientifiques
Cette communication, je ne sais pourquoi certains d'entre
vous qui ne sont pas 1à malheureusement en raison d'une espèce
de myopie caractéristique de certaines positions que j'appelle par
ailleurs mandarinales puisque ce terme a fait fortune, ont cru voir je ne
sais quel retour à la Lettre de Freud alors qu'à mon oreille
il m'avait semblé que Mme Aulagnier avec une particulière pertinence
et acuité, maniait la distinction longuement mûrie déjà
à ce moment là de la demande du désir.
Il y a tout de même quelque chance qu'on reconnaisse
mieux soi même sa propre postérité que ne le font les
autres. Aussi bien il y avait une personne qui était d'accord avec
moi là-dessus : c'était Mme Aulagnier elle-même. Je regrette
donc d'avoir mis si longtemps à lui donner la parole, peut-être
le sentiment excessif d'ailleurs de quelque chose qui toujours nous presse
et nous talonne pour avancer. Justement aujourd'hui nous allons un instant
faire cette sorte de boucle qui consiste à passer par ce qui dans
l'esprit de quelqu'un d'entre vous peut répondre fructifier concernant
le chemin que nous avons parcouru ensemble. Il est grand déjà
depuis ce moment que j'évoque, et c'est très spécialement
à ce recoupement, ce carrefour constitué dans l'esprit de Mme
Aulagnier que j'ai dit récemment sur l'angoisse, qu'il se trouve qu'e11e
m'a offert depuis quelques séances d'intervenir ici.
C'est donc en raison d'une opportunité qui vaut
ce qu'aurait value une autre, le sentiment d'avoir quelque chose à
vous communiquer et tout à fait à point sur l'angoisse,
et ceci dans le rapport le plus étroit de ce qu'elle a entendu comme
vous de ce que je professe cette année de l'identification, qu'elle
va vous apporter quelque chose qu'elle a préparé assez soigneusement
pour en avoir comblé le texte.
Ce texte elle a eu la bonté de m'en faire part,
je veux dire que je l'ai regardé avec elle hier et que je n'ai cru,
je dois dire, que devoir l'encourager à vous le présenter.
Je suis sûr qu'il représente un excellent médium et j'entends
par là quelque chose qui n'est pas une moyenne de ce que, je crois,
les oreilles les plus sensibles, les meilleures d'entre vous peuvent entendre,
et de la façon dont les choses peuvent être reprises ;
en raison de cette écoute je dirai donc après qu'elle ait conçu
ce texte quel usage j'entends lui donner dans la suite.
TEXTE DE MADAME AULAGNIER
ANGOISSE ET IDENTIFICATION
Lors des dernières journées
provinciales, un certain nombre d'interventions ont porté sur la question
de savoir si on pouvait définir différents types d'angoisse.
C'est ainsi qu'on s'est demandé si l'on devait donner par exemple
un statut particulier à l'angoisse psychotique. Je dirai tout de suite
que je suis d'un avis un peu différent : l'angoisse, qu'elle apparaisse
chez le sujet dit normal, chez le névrosé, ou chez le psychotique,
me parait répondre à une situation spécifique et identique
du moi et c'est là ce qui me paraît être un de ses
traits caractéristiques.
Quant à ce qu'en pourrait appeler la position du
sujet vis à vis de l'angoisse, dans la psychose par exemple, on a
pu voir que si on n'essaye pas de mieux définir les rapports existants
entre affect et verbalisation on peut arriver à une somme de paradoxe
qui s'exprimerait ainsi d'une part le psychotique serait quelqu'un particulièrement
sujet à l'angoisse, c'est même dans la réponse en miroir
qu'il susciterait chez l'analyste que serait à chercher une des difficultés
majeures de la cure, d'autre part on nous dit qu'il serait incapable de reconnaître
son angoisse , qu'il la tiendrait à distance, s'en aliénerait.
On énonce par là une position insoutenable
si on essaye pas d'aller un peu plus loin : en effet, que pourrait
bien signifier reconnaître l'angoisse ? Elle n'attend pas et n'a pas
besoin d'être nommée pour submerger le moi et je ne comprends
pas ce qu'on pourrait vouloir dire en disant que le sujet est angoissé
sans le savoir. On peut se demander si le propre de l'angoisse n'est pas
justement de ne pas se nommer : le diagnostic, l'appellation, ne peut venir
que du côté de l'autre, de celui face à qui elle apparaît.
Lui, le sujet, il est l'affect angoisse, il la vit totalement et c'est bien
cette imprégnation, cette capture de son moi qui s'y dissout qui lui
empêche la médiation de la parole.
On peut, a ce nivel, faire un premier parallèle
entre deux états qui pour différents qu'ils soient, me paraissent
présenter deux positions extrêmes du moi, aussi opposées
que complémentaires, je veux parler de l'orgasme. Il y a dans ce deuxième
cas la même incompatibilité profonde entre la possibilité
de le vivre et celle de prendre la distance nécessaire pour le reconnaître
et le définir dans l'hic en nunc de la situation de déclenchant.
Dire qu'on est angoissé indique en soi d'avoir déjà
pu prendre une certaine distance par rapport au vécu affectif, cela
montre que le moi a déjà acquis une certaine maîtrise
et objectivité vis à vis d'un affect dont à partir de
ce moment on peut douter qu'il mérite encore le nom d'angoisse. Je
n'ai pas besoin ici de rappeler le rôle métaphorique, médiateur
de la parole ni l'écart existant entre un vécu affectif et
sa traduction verbale.
A partir du moment où l'homme met en mots ses affects,
il en fait justement autre chose, il en fait par la parole un moyen de communication,
il les fait entrer dans le domaine de la relation et l'intentionnalité
; i1 transforme en communicable ce qui a été vécu au
niveau du corps et qui comme tel en dernière analyse reste quelque
chose de l'ordre du non-verbal. Nous savons tous que dire qu'on aime quelqu'un
n'a que de très lointains rapports avec ce qui est en fonction de
ce même amour ressenti au niveau corporel : dire à quelqu'un
qu'on le désire, nous rappelait M. Lacan, c'est l'inclure dans notre
fantasme fondamental, c'est aussi sans doute en faire le témoignage,
le témoin de notre propre signifiant. Quoi que nous puissions dire
à ce sujet, tout est fait pour nous montrer l'écart existant
entre 1'affect en tant qu'émotion corporelle, intériorisée,
en tant que quelque chose qui tire sa source la plus profonde de ce qui par
définition ne peut s'exprimer en mots, je veux parler du phantasme,
et la parole qui nous apparaît ainsi dans toute sa fonction de métaphore.
Si la parole est la clef magique et indispensable
qui seule peut nous permettre d'entrer dans le monde de la symbolisation,
eh bien, je pense que justement l'angoisse répond à ce moment
entre où cette clef n'ouvre plus aucune porte, où le
moi a à affronter ce qui est derrière ou avant toute symbolisation,
où ce qui apparaît est ce qui n'a pas de nom "cette figure mystérieuse",
ce lieu d'où surgit un désir que l'on ne peut plus appréhender",
où se produit pour le sujet un télescopage entre fantasme et
réalité : le symbolique s'évanouit pour laisser la place
au fantasme en tant que tel, 1e moi s'y dissout et c'est cette dissolution
que nous appelons l'angoisse.
Il est certain que le psychotique n'attend pas l'analyse
pour connaître l'angoisse, il est certain aussi que pour tout sujet
la re-lation analytique est dans ce domaine un terrain privilégié.
Cela n'est pas pour nous étonner si l'on admet que l'angoisse a
les rapports les plus étroits avec l'identification. Or, si dans l'identification
il s'agit de quelque chose qui se passe au niveau du désir, désir
du sujet par rapport au désir de l'Autre, il devient évident
que la source majeure de l'angoisse en analyse va se trouver dans ce qui
en est l'essence même : le fait que l'Autre est dans ce cas quelqu'un
dont le désir le plus fondamental est de ne pas désirer, quelqu'un
qui par cela même s'il permet toutes les projections possibles, les
dévoile aussi dans leur subjectivité fantasmatique et oblige
le sujet à se poser périodiquement la question de ce qui est
le désir de l'analyste, désir toujours présumé,
jamais défini, et par là même pouvant à tout instant
devenir ce lieu de l'autre d'où surgit pour l'analysé l'angoisse.
Mais avant d'essayer de définir les paramètres
de la situation anxiogène, paramètres qui ne peuvent se dessiner
qu'à partir des problèmes propres à l'identification,
on peut se poser une première question d'ordre plus descriptif qui
est ce11e-ci : qu'entendons-nous quand nous parlons d'angoisse orale, de
castration, de mort
Essayer de différencier ces différents termes
au niveau d'une sorte d'étalonnage quantitatif est impossible : il
n'y a pas d'angoissomètre, on n'est pas peu on très angoissé
: on l'est ou on ne l'est pas. La seule voie permettant une réponse
à ce niveau est celle de nous placer à la place qui nous revient
celle de celui qui seul peut définir l'angoisse du sujet à
partir de ce que cette angoisse lui signale. S'il est vrai, comme l'a fait
remarquer M. Lacan, qu'il est fort difficile de parler de l'angoisse en tant
que signal au niveau du sujet, il me parait certain que son apparition désigne,
signale l'Autre en tant que source en tant que lieu d'où elle a surgi,
et il n'est peut être pas inutile de rappeler à ce propos qu'il
n'existe pas d'affect que nous supportions plus mal chez l'autre que l'angoisse,
qu'il n'y a pas d'affect auquel nous risquions plus de répondre de
façon parallèle. Le sadisme, l'agressivité peut par
exemple susciter chez le partenaire une réaction inverse, masochique
ou passive, l'angoisse ne peut provoquer que la fuite ou l'angoisse. Il y
a ici une réciprocité de réponse qui n'est pas sans
poser de question.
M. Lacan s'est insurgé contre cette tentative faite
par plusieurs qui seraient à la recherche d'un "contenu de l'angoisse"
; cela me rappelle ce qu'il avait dit à propos de tout autre chose
que pour sortir un lapin d'un chapeau il fallait l'y avoir mis : et bien
je me demande si l'angoisse n'apparaît pas justement non seulement
quand le lapin est sorti mais quand il s'en est allé brouter l'herbe,
quand le chapeau ne représente que quelque chose qui rappelle le tore,
mais qui entoure un lieu noir dont tout contenu nommable s'est évaporé,
face auquel le moi n'a plus aucun point de repère, car la première
chose que l'on puisse dire de l'angoisse c'est que son apparition est signe
de l'écroulement momentané de tout repère identificatoire
possible. C'est seulement en partant de là qu'on peut répondre
peut-être à la question que je posais quant aux différentes
dénominations que nous pouvons donner à l'angoisse, et non
pas au niveau de la définition d'un contenu, le propre du sujet angoissé
étant, pourrait-on dire d'avoir perdu son contenu.
Il ne me semble pas en d'autres termes que l'on puisse
traiter de l'angoisse en tant que telle, pour prendre un exemple, je dirai
qu'en fait cela me paraîtrait aussi faux que vouloir définir
un symptôme obsessionnel en restant au niveau du mouvement automatique
qui peut le représenter. L'angoisse ne peut nous apprendre quelque
chose sur elle-même que si nous la considérons comme la conséquence,
le résultat d'une impasse où se trouve le moi, signe pour nous
d'un obstacle surgi entre ces deux lignes parallèles et fondamentales
dont les rapports forment la clef de voûte de toute la structure
humaine, soit l'identification et la castration. C'est les rapports entre
ces deux pivots structurants chez les différents sujets que je vais
essayer d'esquisser pour tenter une définition de ce qu'est l'angoisse,
ce dont, selon les cas, elle nous donne le témoignage.
M. Lacan, dans le séminaire du 4 avril auquel je
me réfère, tout au long de cet exposé. nous a dit que
la castration pouvait se concevoir comme un passage transitionnel entre ce
qui est dans le sujet en tant que support naturel du désir, et cette
habilitation par la loi grâce à quoi il va devenir le gage par
où il va se désigner à la place où il a à
se manifester comme désir".
Ce passage transitionnel est ce qui doit permettre d'atteindre
l'équivalence pénis-phallus. c'est-à-dire ce qui était
en tant que support naturel le lieu où se manifeste le désir
en tant qu'affect, en tant qu'émoi corporel, doit devenir, céder
la place à un signifiant, car ce n'est qu'à partir du sujet
et jamais à partir d'un objet partiel, pénis ou autre, que
peut prendre un sens quelconque le mot désir. Le sujet demande et
le phallus désire, disait M. Lacan, 1e phallus mais jamais le pénis.
Le pénis, lui n'est qu'un instrument au service du signifiant phallus
et s'il peut être un instrument fort indocile c'est justement parce
que, en tant que phallus, c'est le sujet qu'il désigne, et pour que
ça marche il faut que l'Autre justement le reconnaisse, le choisisse
non pas en fonction de ce "support naturel" mais pour autant qu'il est en
tant que sujet le signifiant que l'autre reconnaît de sa propre place
de signifiant.
Ce qui différencie sur le plan de la jouissance
l'acte masturbatoire du coït, différence évidente mais
impossible à expliquer physiologiquement, c'est bien que le coït,
pour autant que les deux partenaires aient pu dans leur histoire assumer
leur castration, fait qu'au moment de l'orgasme le sujet va retrouver, non
pas comme certains l'ont dit une sorte de fusion primitive - car après
tout on ne voit pas pourquoi la jouissance la plus profonde que l'homme puisse
éprouver devrait forcément être liée à
une régression tout aussi totale - mais au contraire ce moment privilégié
où pour un instant il atteint cette identification toujours cherchée
et toujours fuyante où il est, lui sujet, reconnu par l'autre comme
l'objet de son désir le plus profond mais où en même
temps, grâce à la jouissance de l'autre, il peut se reconnaître
comme celui qui le constitue en tant que signifiant phallique : dans cet
instant unique demande et désir peuvent pendant un instant fugitif
coïncider, et c'est cela qui donne au moi cet épanouissement
identificatoire dont tire sa source la jouissance.
Ce qu'il ne faut pas oublier c'est que si dans cet instant
demande et désir coïncident, la jouissance porte toutefois en
elle la source de l'insatisfaction la plus profonde ; car si le désir
est avant tout désir de continuité, la jouissance est par définition
quelque chose d'instantané : c'est cela qui fait que tout de suite
se rétablit l'écart entre désir et demande, et l'insatisfaction
qui est aussi gage de la pérennité de la demande.
Mais s'il y a des simulacres de l'angoisse, il y a encore
bien plus de simulacres de jouissances, car pour que cette situation identificatoire,
source de la vraie jouissance, soit possible, encore faut-il que les deux
partenaires aient évité l'obstacle majeur qui les guette et
qui est que pour l'un des deux ou pour les deux l'enjeu soit resté
fixé sur l'objet partiel, enfin, d'une relation duelle où eux,
en tant que sujets, n'ont pas de place ; car ce que nous montre tout ce qui
est lié à la castration, c'est bien que loin d'exprimer la
crainte qu'on le lui coupe même si c'est ainsi que le sujet peut le
verbaliser ce dont il s'agit c'est de la crainte qu'on le lui laisse et qu'on
lui coupe tout le reste, c'est-à-dire qu'on en veuille à son
pénis ou à l'objet partiel, support et source du plaisir, et
qu'on le nie, qu'on le méconnaisse en tant que sujet. C'est pour cela
que l'angoisse a non seulement des rapports fort étroits avec la jouissance,
mais qu'une des situations les plus facilement anxiogènes c'est bien
celle où le sujet et l'Autre ont à s'affronter à son
niveau.
Nous allons alors essayer de voir quels sont les obstacles
que le sujet peut rencontrer sur ce plan, ils ne représentent pas
autre chose que les sources même de toute angoisse. Pour cela nous
aurons à nous reporter à ce que nous appelons les relations
d'objet prégénitales, à cette époque entre toutes
déterminante pour le destin du sujet où la médiation
entre le sujet et l'autre, entre demande et désir s'est faite autour
de cet objet dont la place et la définition restaient fort ambiguës
et qui est dit l'objet partiel.
La relation entre le sujet et cet objet partiel n'est
pas autre chose que la relation du sujet à son propre corps,
et c'est à partir de cette relation qui reste pour tout humain fondamentale,
que prend son point de départ et se moule toute la gamme de ce qui
est inclus dans le terme de relation d'objet.
Que l'on s'arrête à la phase orale, anale
ou phallique, on y rencontre les mêmes coordonnées. Si je choisis
la phase orale, c'est simplement parce que, pour le psychotique dont nous
parlerons tout à l'heure, elle me parait être le moment fécond
de ce que j'ai appelé ailleurs l'ouverture de la psychose.
Par quoi pouvons-nous la définir ? Par une demande
qui dès le début nous dit-on est demande d'autre chose. Par
une réponse aussi qui est non seulement, et d'une façon évidente,
réponse à autre chose, mais est et c'est un point qui me parait
fort important , à ce qui constitue ce qui est un cri, un appel peut-être,
comme demande ou comme désir. Quand la mère répond aux
cris de l'enfant, elle les reconnaît en les constituant comme demande.
mais ce qui est plus grave c'est qu'elle les interprète sur le plan
du désir : désir de l'enfant de l'avoir auprès d'elle,
désir de lui prendre quelque chose, désir de l'agresser, peu
importe. Ce qui est certain c'est que par sa réponse l'Autre va donner
la dimension désir au cri du besoin et que ce désir dont l'enfant
est investi est toujours au début le résultat d'une interprétation
subjective, fonction du seul désir maternel, de son propre fantasme.
C'est par le biais de l'inconscient de l'Autre que le sujet fait son entrée
dans le monde du désir, son propre désir à lui il aura
avant tout à le constituer en tant que réponse, en tant qu'acceptation
ou refus de prendre la place que l'inconscient de l'autre lui désigne.
Il me semble que le premier temps du mécanisme-clef
de la relation orale qui est l'identification projective, part de la mère
: il y a une première projection sur le plan du désir qui vient
d'elle, l'enfant aura à s'identifier ou à combattre, à
nier une identification qu'il pourra ressentir comme déterminante.
Et à ce premier stade de l'évolution humaine
c'est aussi la réponse qu'il pourra faire au sujet la découverte
de ce que cache sa demande. Dès ce moment, la jouissance qui n'attend
pas l'organisation phallique pour entrer en jeu prendra ce côté
révélation qu'elle gardera toujours car si la frustration est
ce qui signifie au sujet l'écart existant entre besoin et désir,
la jouissance par la marche inverse lui dévoile, en répondant
à ce qui n'était pas formulé, ce qui est au-delà
de la demande, c'est-à-dire le désir. Or, que voyons-nous dans
ce qu'est la relation orale ? Avant tout, que demande et réponse se
signifient pour les deux partenaires autour de la relation partielle bouche-sein.
Ce niveau, nous pourrons l'appeler celui du signifié : la réponse
va provoquer au niveau de la cavité orale une activité d'absorption,
source de plaisir ; un objet externe, le lait va devenir substance, propre,
corporelle : l'absorption, c'est de là qu'on tire son importance et
sa signification.
A partir de cette première réponse, c'est
la recherche de cette activité d'absorption, source de plaisir, qui
va devenir le but de la demande. Quant au désir, c'est ailleurs qu'il
va falloir le chercher, bien que ce soit à partir de cette même
réponse, de cette même expérience d'assouvissement du
besoin qu'il va se constituer.
En effet, si la relation bouche-sein et l'activité
absorption-nourriture sont le numérateur de l'équation représentant
la relation orale, il y aussi un dénominateur, celui qui met en cause
la relation enfant-mère, et c'est là que peut se situer le
désir. Si, comme je le pense, l'activité d'allaitement en fonction
de l'investissement dont est de part et d'autre l'objet, à cause du
contact et des expériences corporelles au niveau du corps pris au
sens large qu'elle permet à l'enfant représenté par
sa scansion répétitive même la phase fondamentale essentielle
du stade oral, il faut bien se rappeler que jamais autant qu'ici ne semble
éclatant de vérité le proverbe qui dit "la façon
de donner vaut mieux que ce qu'on donne". Grâce ou à cause
de cette façon de donner, en fonction de ce que cela lui révélera
du désir maternel, l'enfant va appréhender la différence
entre don de nourriture et don d'amour.
Parallèlement à l'absorption nourriture, nous verrons alors
se démunir au dénominateur de notre équation l'absorption,
ou mieux l'introjection d'un signifiant relationnel, c'est-à-dire
que parallèlement à l'absorption nourriture il y aura introjection,
une relation fantasmatique ou lui et l'autre seront représentés
par leurs désirs inconscients. Or, si le numérateur peut facilement
être investi du signe +, le dénominateur peut au même
moment être investi du signe - ; c'est cette différence de signe
entre demande et désir, à partir de ce lieu d'où surgit
la frustration, que trouve sa genèse, que se dégage tout signifiant.
A partir de cette équation qui mutatis mutandis
ne pourrait reconstituer pour les différentes phases de l'évolution
du sujet. Quatre éventualités sont possibles : elles aboutissent
à ce qu'on appelle la normalité, la névrose, la perversion,
la psychose.
J'essayerai de les schématiser en les simplifiant
bien sûr d'une façon un peu caricaturale et voir les rapports
existants dans chaque cas entre identification et angoisse.
La première de ces voies est sans doute la plus
utopique, c'est celle où nous aurons à imaginer que l'enfant
puisse trouver dans le don de nourriture le don d'amour désiré.
Le sein et la réponse maternelle pourront alors devenir symboles
d'autre chose, l'enfant entrera dans le monde symbolique, il pourra accepter
le défilé de la chaîne signifiante. La relation orale
en tant qu'activité d'absorption pourra être abandonnée
et le sujet évoluera vers ce qu'on appelle une solution normative.
Mais pour que l'entant puisse assumer cette castration,
qu'il puisse renoncer au plaisir que lui offre le sein en fonction de ce
petit billet, de cette traite aléatoire sur le futur, il est nécessaire
que la mère ait elle-même pu assumer sa propre castration, il
faut que dès ce moment, que dès cette relation dite duelle,
le troisième terme, le père, soit présent en tant que
référence maternelle. Seulement dans ce cas, ce qu'elle cherchera
chez l'enfant ne sera pas une satisfaction au niveau d'une érogénéité
corporelle, qui en fait un équivalent phallique, mais une relation
qui, en la constituant comme mère, la reconnaît tout autant
comme femme du père.
Le don de nourriture sera alors pour elle le pur symbole
d'un don d'amour et parce que ce don d'amour ne sera pas justement le don
phallique que le sujet désire, l'enfant pourra maintenir son rapport
à la demande ; le phallus, il aura à le chercher
ailleurs, il entrera dans le complexe de castration qui seul peut lui permettre
de s'identifier à autre chose qu'à un S .
La deuxième éventualité, c'est que
pour la mère elle même la castration soit restée quelque
chose de mal assumé : alors tout objet capable d'être pour l'autre
la source d'un plaisir et le but d'une demande risque de devenir pour elle
l'équivalent phallique qu'elle désire. Mais pour autant que
le sein n'a pas d'existence privilégiée sinon en fonction de
celui à qui il est indispensable, soit l'enfant, nous voyons se faire
cette équivalence enfant phallus, qui est au centre de la génèse
de la plupart des structures névrotiques.
Le sujet alors au cours de son évolution aura toujours
à affronter le dilemme de l'être ou de l'avoir quelque soit
l'objet corporel, sein, pénis, phallus, qui devient le support phallique.
Ou bien il aura à s'identifier à celui qui l'a, mais faute
d'avoir pu dépasser le stade du support naturel, faute d'avoir pu
accéder au symbolique, l'avoir signifiera toujours pour lui avoir
châtré l'Autre, ou bien il renoncera à l'avoir, il s'identifiera
alors au phallus en tant qu'objet du désir de l'autre, mais devra
alors renoncer à être lui, le sujet du désir.
Ce conflit identificatoire entre être l'agent
de la castration où le sujet qui la subit est ce qui définit
cette alternance continuelle, cette question toujours présente au
niveau de l'identification qui cliniquement s'appelle une névrose.
La troisième éventualité est celle
que nous rencontrons dans la perversion. Si cette dernière a été
définie le négatif de la névrose, cette opposition structurale
nous la retrouvons au niveau de l'identification. Le pervers est celui
qui a éliminé le conflit identificatoire ; sur le plan que
nous avons choisi, l'oral, nous dirons que dans la perversion le sujet se
constitue comme si l'activité d'absorption n'avait d'autre but que
de faire de lui l'objet permettant à l'Autre une jouissance phallique.
Le pervers n'a pas et n'est pas le phallus il est cet objet ambigu qui sert
un désir qui n'est pas le sien, il ne peut tirer sa jouissance que
dans cette situation étrange où la seule identification qui
lui soit possible est celle qui le fait s'identifier non pas à l'autre
ni au phallus mais à cet objet dont l'activité procure la jouissance
à un phallus dont il ignore l'appartenance. On pourrait dire que le
désir du pervers est de répondre à la demande phallique.
Pour prendre un exemple banal, je dirai que la jouissance du sadique a besoin
pour apparaître d'un Autre pour qui, en se faisant fouet, surgisse
le plaisir.
Si j'ai parlé de demande phallique. ce qui est
un jeu de mots, c'est que pour 1e pervers, l'autre n'a pas d'existence sinon
en tant que support presque anonyme d'un phallus pour lequel le pervers accomplit
ses rites sacrificiels.
La réponse perverse porte toujours en elle une
négation de l'autre en tant que sujet, l'identification perverse se
fait toujours en fonction de l'objet source de jouissance pour un phallus
aussi puissant que fantasmatique.
Il y
a encore un mot que je voudrais dire sur la perversion en général.
Je ne pense pas qu'il soit possible de la définir si on reste sur
le plan que nous pourrions, entre guillemets, appeler "sexuel", bien que
ce soit à ça que semble nous mener les vues classiques en cette
matière. La perversion est - et en cela il , ce semble rester très
proche des vues freudiennes - une perversion au niveau de la jouissance,
peu importe la partie corporelle mise en jeu pour l'obtenir. Si je partage
la méfiance de M. Lacan sur ce qu'on appelle la génitalité
c'est qu'il est fort dangereux de faire l'analyse anatomique. Le coït
le plus anatomiquement normal peut être aussi névrotique, ou
aussi pervers que ce qu'on appelle une pulsion prégénitale
: ce qui signe la normalité, la névrose, ou la perversion,
ce n'est qu'au niveau du rapport entre le moi et son identification permettant
ou non la jouissance que vous pouvez le voir.
Si on voulait réserver le diagnostic de perversion
aux seines perversions sexuelles, non seulement on n'aboutirait à
rien, car un diagnostic purement symptomatique n'a jamais rien voulu dire.
mais encore nous serions obligés de reconnaître qu'il y a bien
peu de névrosés alors qui y échappent. Et ce n'est pas
non plus au niveau d'une culpabilité dont le pervers serait exempt
que vous trouverez la solution : il n'y a pas, tout au moins à
ma connaissance, d'être humain assez heureux pour ignorer ce qu'est
la culpabilité. La seule façon d'approcher la perversion, c'est
celle d'essayer de la définir là où elle est, soit au
niveau d'un comportement relationnel. Le sadisme est loin d'être
toujours méconnu ou toujours tenu en brèche chez l'obsessionnel
; ce qu'il signifie chez lui, c'est bien la persistance de ce qu'on appelle
une relation anale, soit une relation où il s'agit de posséder
ou d'être possédé, une relation où l' amour que
1'on éprouve ou dont on est l'objet ne peut être signifié
au sujet qu'en fonction de cette possession qui peut justement aller jusqu'à
la destruction de l'objet. L'obsessionnel, pourrait-on dire est vraiment
celui qui châtie bien parce qu'il aime bien : il est celui pour qui
la fessée du père est restée la marque privilégiée
de son amour et qui recherche toujours quelqu'un à qui la donner ou
de qui la recevoir. Mais, l'ayant reçue ou donnée, s'étant
assuré qu'on l'aime, la jouissance, c'est dans un autre type de rapport
au même objet qu'il la cherchera et que ce rapport se fasse oralement,
analement ou vaginalement, il ne sera pas pervers dans le sens où
je l'entends et qui me parait être le seul qui puisse éviter
de mettre l'étiquette perverse sur un grand nombre de névrosés
ou sur un grand nombre de nos semblables.
Le sadisme devient une perversion quand la fessée
n'est plus recherchée ou donnée comme signe d'amour, mais quand
e11e est en tant que telle assimilée par le sujet à la seule
possibilité existant de faire jouir un phallus ; et la vue de cette
jouissance devient la seule voie offerte au pervers pour sa propre jouissance.
On a beaucoup parlé de l'agressivité dont
1'exhibitionnisme tirerait sa source : on le montre pour agresser l'autre,
sans doute, mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que l'exhibitionniste
est convaincu que cette agression est une source de jouissance pour l'Autre.
L'obsessionnel, lorsqu'il vit une tendance exhibitionniste,
essaye pourrait-on dire, de leurrer l'autre : il montre ce qu'il pense que
l'autre n'a pas et convoite, il montre ce qui a pour lui en effet les rapports
les plus étroits avec l'agressivité. Pensez à ce qui
se passe chez l'Homme aux Rats : la jouissance du père mort est le
dernier de ses soucis, montrer au père mort ce que lui-ci, l'Homme
aux Rats, pense que le père mort aurait désiré lui arracher
fantasmatiquement, voilà bien quelque chose qui s'appelle agressivité
et de cette agressivité l'obsessionnel tire sa jouissance:
Le pervers, lui, ce n'est jamais qu'à travers une
jouissance étrangère qu'il cherche 1a sienne. La perversion,
c'est justement ça : ce cheminement en zig-zag, ce détour qui
fait que son moi est toujours, quoi qu'il fasse, au service d'une puissance
phallique anonyme ; peu lui importe qui est l'objet, il lui suffira qu'il
soit capable de jouir, qu'il puisse en faire le support de ce phallus à
qui il s'identifiera et seulement à l'objet présumé
capable de lui procurer la jouissance. C'est pour cela que, contrairement
à ce qu'on voit dans la névrose, l'identification pervers,
comme son type de relation d'objet est quelque chose dont ce qui frappe c'est
la stabilité, l'unité.
Et nous arrivons maintenant à la quatrième
éventualité, la plus difficile à saisir : c'est la psychose.
Le psychotique est un sujet dont la demande n'a jamais
été symbolisée par l''Autre, pour qui 1e réel
et symbolique, fantasme et réalité, n'ont jamais pu être
délimités faute d'avoir pu accéder à cette troisième
dimension qui seule permet cette différenciation indispensable entre
ces ceux niveaux, soit l'imaginaire. Mais ici, même en essayant de
simplifier au maximum les choses, nous sommes obligés de nous situer
au début même de l'histoire du sujet, avant la relation orale,
c'est-à-dire au moment de 1a conception.
La première amputation que subit le psychotique
se passe avant sa naissance : il est pour sa mère l'objet de son propre
métabolisme ; la participation paternelle est par elle niée,
inacceptable : il est, dès ce moment et pendant toute la grossesse,
l'objet partiel venant combler un manque fantasmatique au niveau de son corps.
Et dès sa naissance, le rôle qui lui sera par elle assigné
sera celui d'être le témoin de la négation de sa castration.
L'enfant, contrairement à ce qu'on a souvent dit, n'est pas le
phallus de la mère, il est le témoin que le sein est le phallus,
ce qui n'est pas la même chose. Et pour que le sein soit le phallus,
et un phallus tout puissant, il faut que la réponse qu'il apporte
soit parfaite et totale. La demande de l'enfant ne pourra être reconnue
pour rien d'autre qui ne soit demande de nourriture, la dimension désir
au niveau du sujet doit être niée ; et ce qui caractérise
la mère du psychotique, c'est l'interdiction totale faite à
l'enfant d'être le sujet d'aucun désir.
On voit alors dès ce moment comment va se constituer
pour le psychotique sa relation particulière à la
parole, comment dès le début il lui sera impossible de maintenir
sa relation à la demande ; en effet, si la réponse ne s'adresse
jamais à lui qu'en tant que bouche à nourrir, qu'en tant qu'objet
partiel, on comprend que pour lui toute demande au moment même de
sa formulation porte en elle la mort du désir. Faute d'avoir été
symbolisée par l'Autre, il sera, lui, amené à faire
coïncider dans la réponse symbolique et réel. Puisque
quoi qu'il demande c'est de la nourriture qu'on lui donne, ce sera la nourriture
en tant que telle qui deviendra pour lui le signifiant clef. Le symbolique,
dès ce moment, fera irruption dans le réel ; au lieu que le
don de nourriture trouve son équivalent symbolisé dans le don
d'amour, pour lui tout don d'amour ne pourra se signifier que par une
absorption orale. Aimer l'autre ou en être aime se traduira, pour
lui en termes d'oralité : l'absorber ou en être absorbé.
Il y aura pour lui toujours une contradiction fondamentale entre demande
et désir . car, ou bien il maintient sa demande et sa demande le détruit
en tant que sujet d'un désir, il doit s'aliéner en tant que
sujet pour se faire bouche, objet à nourrir, ou bien il cherchera
à se constituer en tant que sujet tant bien que mal et il sera alors
obligé d'aliéner la partie corporelle de lui-même source
de plaisir et lieu d'une réponse incompatible pour lui avec toute
tentation d'autonomie.
Le psychotique est toujours obligé d'aliéner
son corps en tant que support de moi, ou d'aliéner une partie corporelle
en tant que support d'une possibilité de jouissance. Si je n'emploie
pas ici le terme d'identification, c'est que justement je crois que dans
la psychose il n'est pas applicable : l'identification dans mon optique implique
la possibilité d'une relation d'objet où le désir du
sujet et le désir de l'Autre sont en situation conflictuelle mais
existent en tant que deux pôles constitutifs de la relation.
Dans la psychose, l'autre et son désir, c'est
au niveau de la relation fantasmatique du sujet à son propre corps
qu'il faudrait le définir. Je ne le ferai pas ici, cela nous éloignerait
de notre sujet qui est l'angoisse. Contrairement à ce qu'on pourrait
croire c'est bien d'elle que j'ai parlé tout au long de cet exposé.
Comme je l'ai dit au début; ce n'est qu'à partir des paramètres
de l'identification qu'il me semblait possible de l'atteindre.
Or qu'avons-nous vu ? Que ce soit chez le sujet
dit normal, chez le névrosé ou chez le pervers, toute tentative
d'identification ne peut se faire qu'à partir de ce qu'il imagine,
vrai ou faux, peu importe, du désir de l'Autre. Que vous preniez le
sujet dit normal, le névrosé ou le pervers, vous avez vu qu'il
s'agit toujours de s'identifier en fonction ou contre ce qu'il pense être
le désir de l'autre. Tant que ce désir peut être imaginé,
fantasmé, le sujet va y trouver les repères nécessaires
à le définir, lui, en tant qu'objet du désir de l'Autre
ou en tant s qu'objet refusant de l'être. Dans les deux cas, il est
lui, quelqu'un qui peut se définir, se retrouver.
Mais à partir du moment où le désir
de l'Autre devient quelque chose de mystérieux, d'indéfinissable,
ce qui se dévoile là au sujet c'est que c'était justement
ce désir de l'Autre qui le constituerait en tant que sujet ; ce qu'il
retrouvera, ce qui se démasquera à ce moment face à
ce néant c'est son fantasme fondamental : c'est qu'être l'objet
du désir de l'Autre n'est une situation soutenable que pour autant
que ce désir nous puissions le nommer, le façonner en fonction
de notre propre désir.
Mais devenir l'objet d'un désir auquel nous ne
pouvons plus donner de nom, c'est devenir nous-même un objet sans nom
ayant perdu toute identité possible, c'est devenir un objet dont les
enseignes n'ont plus de sens puisqu'elles sont pour 1'Autre indéchiffrables
ce moment précis où le moi se reflète dans un miroir
qui lui renvoie une image qui n'a plus de signification identifiable, c'est
cela l'angoisse. En l'appelant orale, anale, ou phallique, nous ne faisons
qu'essayer de définir quelles étaient les enseignes dont le
moi se parait pour se faire reconnaître si ce n'est que nous en tant
que ce qui apparaît dans le miroir qui pouvons le faire, c'est que
nous sommes les seuls à pouvoir voir de quel type sont ces enseignes
qu'on nous accuse de ne plus reconnaître. Car si, comme je le disais
au début, l'angoisse est l'affect qui le plus facilement risque de
provoquer une réponse réciproque, c'est bien qu'à partir
de ce moment nous devenons pour l'Autre celui dont les enseignes sont tout
aussi mystérieuses, tout aussi inhumaines. Dans l'angoisse, ce n'est
pas seulement 1e moi qui est dissout, c'est aussi l'Autre en tant que support
identificatoire.
Dans ce même sens, je me placerai en disant que
la jouissance et l'angoisse sont les deux positions extrêmes où
peut se situer le moi dans la première, le moi et l'Autre pour un
instant échangent leurs enseignes, se reconnaissent comme deux signifiants
dont la jouissance partagée assure pendant un instant l'identité
des désirs ; dans l'angoisse le moi et l'autre se dissolvent, sont
annulés dans une situation où le le désir se perd faute
de pouvoir être nommé.
Si maintenant, pour conclure, nous passons à la
psychose, nous verrons que les choses sont un peu différentes.
Bien sûr. ici aussi l'angoisse n'est pas autre chose que le signe de
la perte pour le moi de tout repère possible. Mais la source d'où
naît l'angoisse est ici endogène : c'est le lieu d'où
peut surgir le désir du sujet, c'est son désir qui pour le
psychotique est la source privilégiée de toute angoisse.
S'il est vrai que c'est l'Autre qui nous constitue en
nous reconnaissant comme objet de désir, que sa réponse est
ce qui nous fait prendre conscience de l'écart existant entre demande
et désir et que c'est par cette brèche que nous entrons dans
le monde des signifiants, et bien pour le psychotique cet Autre est celui
qui ne lui a jamais signifié autre chose qu'un trou, qu'un vide au
centre même de son être. L'interdiction qui là a été
faite quant au désir fait que la réponse lui a fait appréhender
non pas un écart, mais une antinomie fondamentale entre demande et
désir, et de cet écart qui n'est pas une brèche mais
un gouffre ce qui s'est fait jour ce n'est pas le signifiant mais le fantasme,
soit ce qui provoque le télescopage entre symbolique et réel
que nous appelons psychose.
Pour le psychotique - et je m'excuse de m'en tenir à
de simples formules - l'autre est introjecté au niveau de son propre
corps, au niveau de tout ce qui entoure cette béance première
qui seule est ce qui le désigne en tant que sujet.
L'angoisse est pour lui liée à ces moments
spécifiques où à partir de cette béance apparaît
quelque chose qui pourrait se nommer désir ; car pour qu'il puisse
l'assumer il faudrait que le sujet accepte de se situer à la seule
place d'où il puisse dire "je", soit qu'il s'identifie à cette
béance qui, en fonction de l'interdiction de l'Autre, est la seule
place où il soit reconnu comme sujet. Tour désir ne peut le
renvoyer qu'à une négation de lui-même ou à une
négation de l'Autre.
Mais, pour autant que l'Autre est introjecté au
niveau de son propre corps, que cette introjection est la seule chose qui
lui permette de vivre. J'ai dit ailleurs que pour le psychotique la seule
possibilité de s'identifier à un corps imaginaire unifié
serait celle de s'identifier à l'ombre que projetterait devant lui
un corps qui ne serait pas le sien. Toute négation de l'Autre serait
pour lui l'équivalent d'une auto-mutilation qui ne ferait que le renvoyer
à son propre drame fondamental.
Si chez le névrosé c'est à partir
de notre silence que nous pouvons trouver les sources déclenchant
son angoisse, chez le psychotique c'est à partir de notre parole,
de notre présence. Tout ce qui peut lui faire perdre conscience que
nous existons en tant que différents de lui, en tant que sujets autonomes
et qui par là même pouvons le reconnaître, lui comme sujet,
devient ce qui peut déclencher son angoisse. Tant qu'il parle, il
ne fait que répéter un monologue qui nous situe au niveau de
cet Autre introjection qui le constitue, mais qu'il vienne à nous
parler alors, pour autant que nous pouvons en tant qu'objet devenir le lieu
où il a à reconnaître son désir, nous verrons
se déclencher son angoisse ; car désirer, c'est avoir à
se constituer comme sujet, et pour lui la seule place d'où il puisse
le faire c'est celle qui le renvoie à son gouffre.
Mais ici encore, en conclusion, vous le voyez, on peut
dire que l'angoisse apparaît au moment où le désir fait
du sujet quelque chose qui est manque à être, un manque à
nommer.
Il y a un point que je n'ai pas traité et que je laisserai
de côté je le regrette, car il est pour moi fondamental et j'aurais
voulu pouvoir le faire, malheureusement i1 aurait fallu, pour que je puisse
l'inclure, que j'ai plus de maîtrise vis-à-vis du sujet que
j'ai essayé de traiter - je veux parler du fantasme. Lui aussi est
intimement lié à l'identification et à l'angoisse, à
tel point que j'aurais pu dire que l'angoisse apparaît au moment où
l'objet réel ne peut plus être appréhendé que
dans a signification fantasmatique, que c'est dès ce moment puisque
toute identification possible du moi se dissout et qu'apparaît l'angoisse.
Mais si c'est la même histoire, ce n'est pas le
même discours et pour aujourd'hui je m'arrêterai ici. Mais avant
de conclure ce discours je voudrais vous apporter un exemple clinique très
court sur les sources d'angoisse chez le psychotique.
Je ne vous dirai rien d'autre de l'histoire, sinon
qu'il s'agit d'un grand schizophrène, délirant, interné
à différentes reprises. Les premières séances
sont un exposé de son délire, délire assez classique,
c'est ce qu'il appelle le problème de l'homme-robot.
Et puis, dans une séance où comme par hasard
il est question du problème du contact et de la parole, où
il m'explique que ce qu'il ne peut supporter c'est "la forme de la demande",
que la "poignée de main est un progrès sur les civilisations
salutantes, verbales où la parole ça fausse les choses, ça
empêche de comprendre, où la parole c'est comme une roue qui
tourne où chacun verrait une partie de la roue à des moments
différents, et alors quand on essaye de communiquer c'est forcément
faux : il y a toujours un dialogue".
Dans cette même séance, au moment où
il aborde le problème de la parole de la femme, il me dit tout à
coup "ce qui m'inquiète, c'est ce qu'on m'a dit sur les amputés,
qu'ils sentiraient des choses par le membre qu'ils n'ont plus". Et, à
ce moment, cet homme dont le discours garde dans sa forme délirante
une dimension d'une précision, d'une exactitude mathématique,
commence à chercher ses mots, à s'embrouiller, me dit ne plus
pouvoir suivre ses pensées et finalement il prononce cette phrase
que je trouve vraiment fort quant à ce que c'est pour le psychotique
son image du corps "un fantôme, ce serait un homme sans membres et
sans corps qui par son intelligence seule percevrait des sensations fausses
d'un corps qu'il n'a pas. Ca, ça m'inquiète énormément".
"Percevrait des sensations fausses d'un corps qu'il n'a
pas", cette phrase va trouver son sens la séance d'après quand
il viendra me voir pour me dire qu'il veut interrompre les séances,
que ce n'est plus supportable, que c'est malsain et dangereux, et ce qui
est malsain et dangereux, ce qui suscite une angoisse qui pendant toute cette
séance se fera lourdement sentir, c'est "que je me suis rendu compte
que vous vouliez me séduire et que vous pourriez y arriver". Ce dont
il s'est rendu compte, c'est qu'à partir de "ces sensations fausses""d'un
corps qu'il n'a pas" pourrait surgir son désir et alors il aurait
à reconnaître, à assumer ce manque qui est son corps
; il aurait à regarder ce qui, faute d'avoir pu être symbolisé,
n'est pas supportable à l'homme : la castration en tant que telle.
Toujours dans cette même séance il dira lui-même
mieux que je ne pourrais le faire où est pour lui la source de l'angoisse
: "Vous avez peur de vous regarder dans un miroir, car le miroir ça
change selon les yeux qui le regardent, on ne sait pas trop ce qu'on va y
voir, si vous achetez un miroir doré c'est mieux..." On a l'impression
que ce dont il veut s'assurer c'est que les changements sont du miroir.
Vous le voyez :l'angoisse apparaît au moment où
il craint que je ne puisse devenir un objet de désir ; car, à
partir de ce moment-là le surgissement de son désir impliquerait
pour lui la nécessité d'assumer ce que j'ai appelé le
manque fondamental qui le constitue.
A partir de ce moment, l'angoisse surgit ; car sa position
de fantôme, de robot, n'est plus soutenable : il risque de ne plus
pouvoir nier ses sensations fausses d'un corps qu'il ne peut reconnaître.
Ce qui provoque son angoisse, c'est bien le moment précis où
face à l'irruption de son désir il se demande quelle image
de lui-même va lui renvoyer le miroir et cette image il sait qu'elle
risque d'être celle du manque, du vide, de ce qui n'a pas de nom, de
ce qui rend impossible toute reconnaissance réciproque et que nous,
spectateurs et auteurs involontaires du drame, appelons angoisse.
M. LACAN
J'aimerai bien, avant d'essayer de pointer la place de
ce discours que certaines des personnes que j'ai vues avec des mimiques diverses
interrogatives, d'attente, mimiques qui se sont précisées à
tel ou tel tournant du discours de Mme Aulagnier, veuillent bien simplement
indiquer les suggestions, les pensées produites chez eux à
tel ou tel détour de ce discours à titre de signe que ce discours
a été entendu. Je ne regrette qu'une chose : il a été
lu. Cela me fournira à moi-même les appuis sur lesquels j'accentuerai
plus précisément les commentaires.
M. AUDOUARD.
Ce qui m'a frappé associativement, c'est véritablement
l'exemple clinique que vous avez porté à la fin de l'exposé,
c'est cette phrase du malade sur la parole qu'il compare à une roue
dont diverses personnes ne voient jamais la même partie. Cela m'a paru
éclairer tout ce que vous avez dit et ouvrir - je ne sais pas pourquoi
d'ailleurs - toute une amplification des thèmes que vous avez présentés.
Je crois avoir à peu près compris le sens
de l'exposé ; je n'ai pas l'habitude des schizophrènes, mais
en ce qui concerne les névrosés et les pervers l'angoisse en
tant qu'elle ne peut pas être objet de symbolisation parce qu'elle
est justement la marque que la symbolisation n'a pas pu se faire et se symboliser
c'est vraiment disparaître dans une sorte de non-symbolisation d'où
part à chaque instant l'appel de l'angoisse c'est évidemment
quelque chose d'extrêmement riche mais qui peut-être sur un certain
plan logique demanderait quelques éclaircissements. Comment en effet
est-il possible que cette expérience fondamentale qui est en quelque
sorte le négatisme de la parole vienne se symboliser et qu'est-ce
qui se passe donc pour que de ce trou central jaillisse quelque chose que
nous ayons à comprendre. Enfin, comment naît la parole ? Quelle
est l'origine du signifiant dans ce cas précis de l'angoisse en tant
quelle ne peut pas se dire, à l'angoisse en tant qu'elle se dit ?
I1 y a peut-être là un mouvement qui n'est pas sans rapports
avec cette roue qui tourne, qui aurait peut-être besoin d'être
un peu éclairé et précisé
M. VERGOTTE
Je me suis demandé s'il n'y a pas deux sortes d'angoisses
; Mme Aulagnier a dit l'angoisse-castration : le sujet a peur qu'on le lui
enlève et qu'on l'oublie comme sujet, c'est là la disparition
du sujet comme tel ; mais je me demande s'il n'y a pas une angoisse où
le sujet refuse d'être sujet, si par exemple dans certains fantasmes
il veut au contraire cacher le trou ou le manque. Dans l'exemple clinique
de Mme Aulagnier, le sujet refuse son corps parce que le corps lui rappelle
son désir et son manque ; dans l'exemple de l'angoisse-castration
vous avez plutôt dit : le sujet a peur qu'on le méconnaisse
comme sujet. Une angoisse a donc les deux sens possibles : ou bien il refuse
d'être sujet. I1 y a aussi l'autre angoisse où il a, par exemple
dans la claustrophobie, l'impression que là il n'est plus sujet, où
au contraire il est enfermé, qu'il est dans un monde clos où
le désir n'existe pas ; il peut être angoissé devant
son désir et aussi devant l'absence de désir.
M AULAGNIER
Vous ne croyez pas que quand on refuse d'être
sujet c'est justement parce qu'on a l'impression que pour l'Autre on ne peut
être sujet qu'en le payant de sa castration, je ne crois pas que le
refus d'être sujet soit d'être vraiment un sujet.
LACAN
Nous sommes bien au coeur du problème. Vous voyez
bien tout de suite là le point sur lequel on s'embrouille. Je trouve
que ce discours est excellent en tant que le maniement de certaines des notions
que nous trouvons ici a permis à Mme Aulagnier de mettre en valeur,
d'une façon qui ne lui eût pas été autrement possible,
plusieurs dimensions de son expérience. Je vais reprendre ce qui m'a
paru remarquable dans ce qu'elle a produit, Je dis tout de suite que ce discours
me parait rester à mi-chemin, C'est une sorte de conversion, vous
n'en doutez pas, c'est bien ce que j'essaie d'obtenir de vous par mon enseignement,
ce qui n'est pas, mon Dieu, après tout une prétention si unique
dans l'histoire qu'elle ait pu être tenue pour exorbitante. Mais i1
est certain que toute une part du discours de Mme Aulagnier et très
précisément le passage où dans un souci d'intelligibilité,
aussi bien le sien que celui de ceux auxquels elle s'adresse, à qui
elle croit s'adresser, retourne à des formules qui sont celles contre
lesquelles je vous avertis, je vous adresse, je vous mets en garde, et non
point simplement parce que c'est chez moi une forme de tic ou d'aversion,
mais parce que leur cohérence avec quelque chose qu'il s'agit d'abandonner
radicalement se montre toujours chaque fois qu'on les emploie, fût-ce
à bon escient.
L'idée d'une antinomie, par exemple, quelconque,
quelle qu'elle soit, de la parole avec l'affect, encore qu'elle soit d'expérience
empiriquement vérifiée, n'est néanmoins pas quelque
chose sur lequel nous puissions articuler une dialectique, si tant est ce
que j'essaie de faire devant vous ait une valeur, c'est-à-dire vous
permette de développer aussi loin qu'il est possible toutes les conséquences
de l'effet que l'homme soit un animal condamné à habiter le
langage. Moyennant quoi, nous ne saurions d'aucune façon tenir l'affect
pour quoi que ce soit sans donner dans une primarité quelconque. Aucun
affect significatif, aucun de ceux auxquels nous avons affaire de l'angoisse
à la colère et à tous les autres, ne peut même
commencer d'être compris sinon dans une référence où
le rapport de x au signifiant est premier. Avant de marquer des distorsions,
je veux dire que par rapport à certains franchissements qui seraient
l'étape ultérieure, je veux bien entendu marquer le positisme
de ce que déjà lui a permis 1e seul usage de ces termes au
premier plan desquels sont ceux dont elle s'est servie avec justesse et adresse
le désir et la demande. Il ne suffit pas d'avoir entendu parler de
ceci qui - si on s'en sert dune certaine façon, mais ce ne sont pas
tout de même des mots tellement ésotériques que chacun
ne puisse se croire en droit de s'en servir - il ne suffit pas d'employer
ces termes : désir et demande, pour en faire une application exacte.
Certains s'y sont risqués récemment et je ne sache pas que
le résultat en ait été d'aucune façon ni brillant
ce qui après tout n'aurait qu'une importance secondaire - ni même
ayant le moindre rapport avec la fonction que nous donnons à ces termes.
Ce n'est pas dans le cas de Mme Aulagnier, mais ce qui
lui a permis d'atteindre à certains moments une tonalité qui
manifeste quelle sorte de conquête, ne serait-ce que sous forme de
question posée, le maniement des termes nous permet pour désigner
la première très impressionnante ouverture qu'elle nous a donnée.
Je vous signalerai ce qu'elle a dit de l'orgasme ou plus exactement de la
jouissance amoureuse.
S'il m'est permis de m'adresser à elle comme Socrate pouvait
s'adresser à quelque
(espace vide-note du claviste) je lui dirais qu'elle fait là preuve
qu'elle sait de quoi elle parle. Qu'elle le fasse en étant femme,
c'est ce qui semble traditionnellement aller de soi, j'en suis moins sûr
: les femmes, dirai-je sont rares, sinon à savoir, du moins à
pouvoir parler en sachant ce qu'elles disent des choses de l'amour. Socrate
disait qu'assurément cela il pouvait en témoigner lui-même,
qu'il savait. Les femmes sont donc rares, mais entendez bien ce que je veux
dire par là : les hommes le sont encore plus.
Comme nous l'a dit Mme Aulagnier, à propos de ce
que c'est que la jouissance de l'amour, en repoussant une fois pour toutes
cette fameuse référence à la fusion dont justement nous
qui avons donné un sens tout à fait archaïque à
ce terme de fusion, cela devrait nous mettre en éveil. On ne peut
pas à la fois exiger que ce soit au bout d'un processus qu'on arrive
à un moment qualifié et unique et en même temps supposer
que ce soit par un retour à je ne sait qu'elle différenciation
primitive. Bref, je ne relirai pas son texte parce que le temps me manque,
mais dans l'ensemble il ne me paraîtrai pas inutile que ce texte auquel
certes je suis loin de donner la note 20/20, je veux dire le considérer
comme un discours parfait, soit considéré plutôt comme
un discours définissant un échelon à partir duquel nous
pourrons situer les progrès auxquels nous pourrons nous référer
à quelque chose qui a été touché ou en tout cas
parfaitement saisi, attrapé, compris par Mme Aulagnier.
Bien sûr, je ne dis pas qu'elle nous donne là
son dernier mot , je dirai m^me plus : à plusieurs reprises elle indique
les points où il lui semblerai nécessaire de s'avancer pour
compléter ce qu'elle dit et sans doute une grande part de ma satisfaction
vient des points qu'elle désigne. Ce sont justement ceux-là
même qui pourraient être tournés, si je puis dire. Ces
deux points, elle les a désignés à propos du rapport
psychotique à son propre corps d'une part - elle a dit qu'elle avait
beaucoup de choses à dire, elle nous en a indiqué un petit
peu - et d'autre part à propos du fantasme dans l'obscurité
dans la quelle elle l'a laissé ma paraîtrait suffisamment indicative
du fait que cette ombre est dans les groupe un peu générale.
C'est un point.
Second point que je trouve très remarquable dans
ce qu'elle nous a apporté, c'est ce qu'elle a apporté quand
elle nous a parlé de la relation perverse. Non certes que je souscrive
en tous points à ce qu'elle a dit sur ce sujet, qui est vraiment d'une
audace incroyable. C'est pour la féliciter hautement d'avoir été
en état, même si c'est un pas à rectifier, de l'avoir
fait tout de même; pour ne point le qualifier autrement, ce pas, je
dirai que c'est la première fois, non pas seulement dans mon entourage
- et en cela je me félicite d'avoir été ici précédé
- que vient en avant quelque chose, une certaine façon, un certain
ton pour parler de la relation perverse qui nous suggère l'idée
qui est proprement ce qui m'a empêché d'en parler jusqu'ici
parce que je ne veux pas passer pour être celui qui dit : tout ce qu'on
a fait jusqu'à présent ne vaut pas tripette. Mais Mme Aulagnier,
qui n'a pas les mêmes raisons de pudeur que nous, et d'ailleurs qui
le dit en toute innocence, je veux dire qui a vu des pervers et qui s'y est
intéressée d'une façon vraiment analytique, commence
à articuler quelque chose qui, du seul fait de pouvoir présenter
sous cette forme générale, je vous le répète,
incroyablement audacieuse que que le pervers est celui qui se fait objet
pour la jouissance d'un phallus dont il ne soupçonne pas l'appartenance
: il est l'instrument de la jouissance d'un dieu. Ca veut dire en fin de
compte, que ceci mérite quelque appointements , quelque rectification
de manœuvre directive et, pour tout dire, que cela pose la question de réintégrer
ce que nous appelons le phallus, que cela pose l'urgence de la définition
de phallus - cela n'est pas douteux - puisque ça a sûrement
comme effet de nous dire que si ça doit , pour nous analystes, avoir
un sens, un diagnostic de structure perverse. Cela veut dire qu'il faut que
nous commencions par jeter par la fenêtre tout ce qui s'est écrit
de Kraft Ebing à Havelock Ellis et tout ce qui s'est écrit
d'un catalogue quelconque prétendu clinique des perversions. Bref,
il y a sur le plan des perversions à surmonter cette sorte de distance
prise sous le terme de clinique qui n'est en réalité qu'une
façon de méconnaître ce qu'il y a dans cette structure
d'absolument radical, d'absolument ouvert à quiconque aura su franchir
ce pas qui est justement celui que j'exige de vous, ce pas de conversion
qui nous permette d'être au point de vue de la perception où
nous sachons ce que structure perverse veut dire d'absolument universel.
Si j'ai évoqué des dieux ce n'est point
pour rien, car aussi bien eussè-je pu évoquer le thème
des métamorphoses et tout le rapport mystique, certain rapport païen
au monde qui est celui dans lequel la dimension perverse a sa valeur je dirai
classique.
C'est la première fois que j'entends parler d'un
certain ton qui est vraiment décisif, qui est l'ouverture dans ce
champ où justement le moment où je vais vous expliquer ce que
c'est que le phallus, nous en avons besoin.
La troisième chose, c'est ce qu'elle nous a dit
à propos de son expérience des psychotiques. Je n'ai pas besoin
de souligner l'effet que ça peut faire, je veux dire qu'Audouard en
a assurément témoigné. Là encore ce qui m'apparaît
éminent, c'est justement ce par quoi ça nous ouvre aussi cette
structure psychotique comme étant quelque chose où nous devons
nous sentir chez nous. Si nous ne sommes pas capables de nous apercevoir
qu'il y a un certain degré, non pas archaïque à mettre
quelque part du côté de la naissance, mais structural au niveau
duquel les désirs sont à proprement parler fous, si pour nous
le sujet n'inclut pas dans sa définition, dans son articulation première,
la possibilité de la structure psychotique, nous ne serons jamais
que des aliénistes. Or comment ne pas sentir vivant, comme il arrive
tout le temps à ceux qui viennent écouter ce qui se dit ici
à ce séminaire, comment ne pas nous apercevoir que tout ce
que j'ai commencé d'articuler cette année à propos de
la structure de surface du système et de l'énigme concernant
la façon dont le sujet peut accéder à son propre corps
est que ça ne va pas tout seul, ce dont tout le monde depuis tout
le temps est parfaitement averti puisque cette fameuse et éternelle
distinction de désunion ou union de l'âme et du corps est toujours
après tout le point d'aporie sur lequel toutes les articulations philosophiques
sont venues se briser. Et pourquoi est-ce que, à nous analystes, justement,
il ne serait pas possible de trouver le passage ? Seulement cela nécessite
une certaine discipline et au premier rang de quoi savoir comment faire pour
parler du sujet est ceci que vous ne vous mettrez jamais assez dans la tête
sous la forme brutale où je vais l'énoncer, c'est que le sujet
n'est rien d'autre que ceci, que la conséquence de ceci qu'il y a
du signifiant et que la naissance du sujet tient en ceci qu'il ne peut se
penser que comme exclu du signifiant qui le détermine. C'est là
la valeur du
petit cycle que je vous ai introduit la dernière fois et dont
no us n'avons pas fini d'entendre parler car, à la vérité
il faudra quand même que je déplie plus d'une fois devant vous
avant que vous puissiez voir bien exactement où il nous mène.
Si le sujet n'est que cela : cette part exclue d'un champ entièrement
défini par le signifiant, si ce n'est qu'à partir de cela que
tout peut naître, il faut toujours savoir à quel niveau on le
fait intervenir ce terme sujet. Et malgré elle, parce que c'est à
nous qu'elle parle et parce que c'est à elle et parce qu'il y a encore
quelque chose qui n'est pas encore acquis, assumé malgré
tout quand elle parle de ce choix par exemple qu'il y a à être
sujet ou objet à propos dans la relation au désir, eh bien,
malgré elle, Mme Aulagnier se laisse glisser à réintroduire
dans le sujet la personne avec toute la dignité subséquente
que vous savez que nous lui donnons dans nos temps éclairés
: personnologie, personnalisme, personnalité et tout ce qui s'en suit,
aspect qui convient, dont chacun sait que nous vivons au milieu de cela.
Jamais on n'en a autant parlé de la personne. Mais enfin comme notre
travail n'est pas un travail qui doive beaucoup s'intéresser à
ce qui se passe sur la place publique, nous avons à nous intéresser
autrement au sujet. Alors là Mme Aulagnier a appelé à
son secours le terme de paramètres de l'angoisse. Eh bien, là
quand même à propos de personne et de personnologie, vous voyez
un travail assez considérable qui m'a pris quelques mois, un travail
de Remarques sur le Discours de notre ami Daniel Lagache. Je vous prie de
vous y reporter, je vous prie de vous y reporter pour voir 1'importance qu'aurait
eu dans l'articulation qu'elle nous a donnée de la fonction de l'angoisse
et de cette espèce de sifflet coupé qu'elle constituerait au
niveau de la parole, l'importance que devait normalement prendre dans son
exposé la fonction i (a) , autrement dit l'image spéculaire
qui n'est certes pas absente du tout dans son exposé puisqu'en fin
de compte c'est devant son miroir qu'elle a fini par nous traîner son
psychotique, et c'est pourquoi c'est parce qu'il y était venu tout
seul ce psychotique, c'est donc là qu'elle lui avait à juste
titre donné rendez-vous. Et pour mettre un peu de sourire j'inscrirai
en marge des remarques qui ont fait son admiration dans ce qu'elle a cité
ces quatre petits vers inscrits au fond d'une assiette que j'ai chez moi
:
A Mina
son miroir fidèle
Montre, hélas, des traits allongés
Ah ciel, oh Dieu, s'écrit-elle
Comme les miroirs sont changés.
C'est effectivement
ce que vous dit votre psychotique, montrant l'importance ici de la fonction,
non pas de l'idéal du moi, mais du moi idéal comme place où
viennent se former les identifications proprement moïques, ceci comme
place où l'angoisse se produit, l'angoisse que je vous ai qualifiée
de sensation du désir de l'Autre. La ramener, cette sensation du désir
de l'Autre, à la dialectique du désir propre du sujet en face
du désir de l'Autre, voilà toute la distance qu'il y a entre
ce que j'avais amorcé et le niveau déjà très
efficace où s'est soutenu tout le développement de Mme Aulagnier.
Mais ce niveau en quelque sorte, comme elle l'a dit, conflictuel
qui est de référence de deux désirs déjà
dans le sujet constitué, ce n'est pas là ce qui d'aucune façon
peut nous suffire pour situer la différence, la distinction qu'il
y a dans les rapports du désir par exemple au niveau des quatre espèces
ou genres qu'elle a pour nous définis sous les termes de : normal,
pervers, névrosé, psychotique.
Que la parole, en effet, fasse défaut en quelque
chose à propos de l'angoisse, c'est en ceci que nous ne pouvons méconnaître
comme un des paramètres absolument essentiels qu'elle ne peut désigner
qui parle, qu'elle ne peut référer à ce point i (a)
le je du discours lui-même, le je qui dans le discours se désigne
comme celui-là qui actuellement parle et l'associe à cette
image de maîtrise qui se trouve à ce moment vacillante. Et ceci
a pu lui être rappelé parce que j'ai noté dans ce qu'elle
a bien voulu prendre comme point de départ à propos du séminaire
du 4 avril, rappelez-vous l'image vacillante que j'ai essayé de dresser
devant vous de ma confrontation obscure avec la mante religieuse et de ceci
que, si j'ai d'abord parlé de l'image qui se reflétait dans
son oeil, c'était pour dire que l'angoisse commence à partir
de ce moment essentiel où cette image est manquante. Sans doute le
petit a que je suis pour le fantasme de l'Autre est essentiel, mais où
il manque ceci - Mme Aulagnier ne le méconnaît pas, car elle
l'a rétabli à d'autres passages de son discours - la
médiation de l'imaginaire- c'est ça qu'elle veut dire, mais
ce n'est point encore suffisamment articulé - c'est le i de a qui
manque et qui est là en fonction.
Je ne veux pas pousser plus loin parce que vous vous rendez
bien compte qu'il ne s'agit de rien moins que de la reprise du discours du
séminaire, mais c'est là que vous devez sentir l'importance
de ce que nous introduisons. Il s'agit de ce qui va faire la liaison dans
l'économie signifiante de la constitution du sujet à la place
de son désir. Et vous devez ici entrevoir, supporter, vous résigner
à ceci qui exige de nous quelque chose qui parait aussi loin de vos
préoccupations ordinaires, enfin d'une chose qu'on peut décemment
demander à d'honorables spécialistes comme vous qui ne venez
tout de même pas ici pour faire de la géométrie
élémentaire. Rassurez-vous, ce n'est pas de la géométrie,
puisque ce n'est pas de la métrique, c'est quelque chose dont les
géomètres n'ont eu jusqu'à présent aucune
espèce d'idée : les dimensions de l'espace. J'irai jusqu'à
vous dire que M. Descartes n'avait aucune idée des dimensions de
l'espace.
Les dimensions de l'espace, c'est quelque chose
d'un autre côté qui a été décidé,
valorisé par un certain nombre de plaisanteries faites autour de ce
terme comme la quatrième ou la cinquième dimension et
autres choses qui ont un sens tout à fait précis et mathématiques,
mais dont il est toujours assez marrant d'entendre parler par les incompétents,
de sorte que quand on parle de ça on a toujours le sentiment
qu'on fait ce qu'on appelle de la science-fiction et ça a malgré
tout quand même assez mauvaise réputation.
Mais après tout vous verrez que nous avons notre
mot à dire la-dessus. J'ai commencé à l'articuler en
ce sens que psychiquement je vous ai dit que nous n'avons accès
qu'à deux dimensions ; pour 1e reste il n'y a qu'une ébauche,
qu'un au-delà. Pour ce qui est de 1'expérience, en tout cas
pour une hypothèse de recherche qui peut nous servir à quelque
chose, de bien vouloir admettre qu'il n'y a rien de bien établi au-delà
- et c'est déjà bien suffisamment riche et compliqué
- de l'expérience de la surface. Mais ça ne veut pas dire que
nous ne pouvons pas trouver dans l'expérience de la surface à
elle toute seule le témoignage qu'elle, la surface, est plongée
dans un espace qui n'est pas du tout celui que vous imaginez avec votre expérience
visuelle de l'image spéculaire. Et
pour tout dire, ce petit objet qui n'est rien quand le noeud
le plus élémentaire, non pas celui quo je n'ai fait que
faute d'avoir pu me faire tresser une cordelette qui se fermerait sur
elle-même, simplement ceci {schéma) le noeud le plus élémentaire,
celui qui se trace comme ça, suffit à porter en lui-même
un certain nombre de questions que j'introduis en vous disant que la troisième
dimension ne suffit absolument pas à rendre compte de la possibilité
de cela. Pourtant un noeud quand même, c'est quelque chose qui est
à la portée de tout le monde, ce n'est pas à 1a portée
de tout le monde de savoir ce qu'il faisait en faisant un noeud, mais enfin
cela a pris une valeur métaphorique : les noeuds du mariage, les noeuds
de 1'amour. Les noeuds sacrés ou pas, pourquoi est-ce qu'on en parle
?
Ce sont des modes tout à fait simples, élémentaires,
de mettre à votre porté le caractère usuel si vous voulez
bien vous y mettre et devenu, une fois usuel, support possible d'une conversion
qui, si elle se réalise montrera bien tout de même après-coup
que peut-être ces termes doivent avoir quelque chose à faire
avec ces références de structure dont nous avons besoin pour
distinguer ce qui se passe par exemple à ces échelons que Mme
Aulagnier a divisés en allant du normal au psychotique. Est-ce qu'à
ce point de jonction où pour le sujet se constitue l'image noeud,
l'image fondamentale, l'image qui permet la médiation entre le sujet
et son désir, est-ce que nous ne pouvons pas introduire des distinctions
fort simples et, vous le verrez, tout à fait utilisables en pratique,
qui nous permettent de nous représenter d'une façon plus simple
et moins source d'antinomie, d'aporie, d'embrouillis, de labyrinthe finalement,
que ce que nous avions jusqu'ici à notre disposition, à savoir
cette notion sommaire par exemple d'un intérieur et d'un extérieur
qui a en effet bien l'air d'aller de soi à partir de l'image spéculaire
et qui n'est pas du tout forcément celle qui nous est donnée
par l'expérience.