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L'IDENTIFICATION
Séminaire
IX
Classe 17
J.LACAN
Séminaire du 11 avril 1962
J'avais avancé que je continuerai aujourd'hui sur le phallus. Eh
bien je ne vous en parlerai pas ou bien je ne vous en parlerai que sous
cette forme du huit inversé qui n'est pas tellement tranquillisante.
Ca n'est pas d'un nouveau signifiant qu'il s'agit. Vous
allez voir c'est toujours du même dont je parle en somme depuis
le début de cette année ; seulement pourquoi je le ramène
comme essentiel, c'est pour bien renouveler avec la base topologique dont
il s'agit : à savoir ce que ça veut dire l'introduction faite
cette année du tore.
Il n'est pas tellement bien sûr que ce que j'ai
dit sur l'angoisse ait été si bien entendu. Quelqu'un de très
sympathique et qui lit - parce que c'est quelqu'un d'un milieu où
je travaille m'a fort opportunément - je dois dire que je choisis
cet exemple parce qu'il est plutôt encourageant - fait remarquer que
ce que j'ai dit sur l'angoisse comme désir de l'Autre recouvrait ce
qu'on trouve dans Kierkegaard., Dans la première lecture - car c'est
tout à fait vrai - vous pensez bien que je m'en souvenais que Kierkegaard
pour parler de l'angoisse a évoqué la jeune fille au moment
où la première fois elle s'aperçoit qu'on la désire.
Seulement si Kierkegaard l'a dit, la différence avec ce que je dis
c'est, si je puis dire pour employer un terme kierkegaardien; que je (->p367)
(XVII/2) le répète. S'il y a quelqu'un qui a fait remarquer
que ce n'est jamais pour rien qu'on le dit "je le dis et je le répète",
c'est justement Kierkegaard. Si on éprouve le besoin de souligner
qu'on le répète après l'avoir dit, c'est parce que probablement
ce n'est pas du tout la même chose de le répéter que
de le dire ; et il est absolument certain que, si ce que j'ai dit la dernière
fois a un sens, c'est justement en ceci que le cas soulevé par Kierkegaard
est quelque chose de tout à fait particulier et comme tel obscurcit,
loin d'éclairer, le sens véritable de la formule que l'angoisse
est le désir de l'Autre - avec un grand A.
Il se peut que cet autre s'incarne pour la jeune fille
à un moment de son existence en quelque galvaudeux. Cela n'a rien
à faire avec la question que j'ai soulevée la dernière
fois et avec l'introduction du désir de l'autre comme tel pour dire
que c'est l'angoisse, plus exactement que l'angoisse est la sensation de
ce désir.
Aujourd'hui je vais donc revenir à ma voie de
cette année et d'autant plus rigoureusement que j'avais dû la
dernière fois faire une excursion. Et c'est pourquoi, plus rigoureusement
que jamais, nous allons faire de la topologie et il est nécessaire
d'en faire parce que vous ne pouvez faire que d'en faire à tout instant,
je veux dire, que vous soyez logiciens ou pas, que vous sachiez même
le sens du mot topologie ou pas. Vous vous servez par exemple de la conjonction
ou . Or, il est assez remarquable mais sûrement vrai que l'usage de
cette conjonction n'a été sur le champ de la logique technique,
de la logique des logiciens bien articulée, bien précisée,
bien mise en évidence qu'à une époque assez récente,
beaucoup trop récente pour qu'en somme les effets vous en soient
véritablement parvenus ; et c'est pour ça qu'il suffit de
lire le moindre texte analytique courant par exemple pour voir qu'à
tout instant la pensée achoppe dès qu'il s'agit, non seulement
du terme d'identification, mais même de la simple pratique d'identifier
quoi que ce soit du champ de notre expérience.
Il faut repartir des schémas malgré tout,
disons-le, inébranlés dans votre pensée, inébranlés
pour deux raisons : d'abord parce qu'ils ressortissent à ce que j'appellerai
une certaine incapacité à proprement parler propre à
la pensée intuitive ou plus simplement à l'intuition, ce qui
veut dire aux bases mêmes d'une expérience marquée par
l'organisation de ce qu'on appelle le sens visuel. Vous vous apercevrez
très facilement de cette impuissance intuitive, si j'ai le bonheur
qu'après ce petit entretien vous vous mettiez à vous poser
de simples problèmes de représentation sur ce que je vais
vous montrer qui peut se passer (->p368) (XVII/3) à la surface
d'un tore. Vous verrez la peine que vous aurez à ne pas vous embrouiller.
C'est pourtant bien simple un tore : un anneau. Vous vous embrouillerez,
et puis je m'embrouille comme vous : il m'a fallu de l'exercice pour m'y
retrouver un peu et même m'apercevoir de ce que ça suggérait
et de ce que ça permettait de fonder pratiquement.
L'autre terme est lie à ce qu'on appelle
instruction, c'est à savoir que cette sorte d'impuissance intuitive,
on fait tout pour 1'encourager, pour l'asseoir, pour lui donner un caractère
d'absolu, cela bien sûr dans les meilleurs intentions. C'est ce qui
est arrivé par exemple quand en 1741 M. Euler, un très
grand nom dans l'histoire des mathématiques, a introduit ses fameux
cercles qui, que vous le sachiez ou pas, ont beaucoup fait en somme pour
encourager l'enseignement de la logique classique dans un certain sens qui
loin de l'ouvrir ne pouvait tendre qu'à rendre fâcheusement
évidente l'idée que pouvaient s'en faire les simples écoliers.
La chose s'est produite parce qu'Euler s'était
mis en tête . Dieu sait pourquoi, d'enseigner une princesse, La princesse
d'Anhalt Dessau. Pendant toute une période on s'est beaucoup occupé,
des princesses, on s'on occupe encore et c'est fâcheux. Vous savez
que Descartes avait la sienne : la fameuse Christine. C'est une figure historique
d'un autre relief, il en est mort. Ca n'est pas tout à fait subjectif,
il y a une espèce de puanteur très particulière qui
dégage de tout ce qui entoure l'entité princesse ou prinzessin,
nous avons pendant une période d'à peu prés trois siècles,
quelque chose qui est dominé par les lettres adressées à
des princesses, les mémoires des princesses et ça tient une
place certaine dans la culture. C'est une sorte de suppléance de
cette tare dont j'ai tenté de vous expliquer la fonction si difficile
à comprendre, si difficile à approcher dans la structure de
la sublimation courtoise dont je ne suis pas sûr après
tout de vous avoir fait apercevoir qu'elle est vraiment la véritable
portée. Je n'ai pu vraiment vous en donner que des sortes de projections
comme on essaie de figurer dans un autre espace des figures à
quatre dimensions qu'on ne peut pas avoir.
J'ai appris avec plaisir que quelque chose est parvenu
à des oreilles qui me sont voisines et qu'on commence à s'intéresser,
ailleurs qu'ici, à ce que pourrait être l'amour courtois. C'est
déjà un résultat.
Laissons la princesse et les embarras qu'elle a pu donner
à Euler. Il lui a écrit 254 lettres , pas uniquement pour
lui faire comprendre les cercles d'Euler. Publiées en 1775 à
Londres, elles constituent une (->p369) (XVII/4) sorte de corpus de 1a
pensée scientifique à cette date. I1 n'en a surnagé
effectivement que ces petits cercles, ces cercles d'Euler qui sont des cercles
comme tous les cercles il s'agit simplement de voir l'usage qu'il en a fait.
C'était pour expliquer les règles du syllogisme et en fin
de compte l'exclusion, l'inclusion et puis ce qu'on peut appeler le recoupement
de deux quoi ? de deux champs applicables à quoi ? Mais, mon Dieu
applicables à bien des choses, applicables par exemple au champ où
une certaine proposition est vraie, applicables au champ où une certaine
relation existe, applicables tout simplement au champ où un objet
existe.
Vous voyez que l'usage du
cercle d'Euler (espace vide - note du claviste)
à la multiplicité des logiques telles qu'elles
se sont élaborées dans un immense (espace
vide-note du claviste) dont la plus grande part tient dans la
logique propositionnelle et logique de classe, a été distingué
de la façon la plus utile. Je ne peux même pas songer
entrer, bien sur dans dans détails que nécessiterait
ces élaborations. Ce que je veux
simplement faire ici reconnaître, c'est que vous avez sûrement
souvenir de tel ou tel moment de votre existence où vous est parvenue
sous cette forme de support une démonstration logique quelconque
quelque objet comme objet logique, qu'il s'agisse de proposition, relation
classe, voir simplement objet d'existence.
Prenons un exemple au niveau de la logique des classes et représentons
cet exemple par un petit cercle à l'intérieur du grand
(espace vide-note du claviste) à la
classe des vertébrés ; ceci va tout (espace
vide-note du claviste) la logique des classes c'est certainement
ce qui au départ (espace
vise-note du claviste) de la façon la plus aisée à
cette élaboration formelle et qu'on se rapporte à quelque chose
de déjà incarné dans une élaboration signifiante,
celle de 1a classification zoologique tout simplement qui vraiment en donne
le modèle. Seulement l'univers du discours, comme on s'exprime à
juste titre, n'est pas un univers zoologique ; et, à vouloir étendre
les propriétés de l'univers de la classification zoologique
à tout l'univers du discours, on glisse facilement dans un certain
nombre de pièges qui vous évitent des fautes (->p370)
(XVII/5) et laissent assez vite entendre le signal d'alarme de l'impasse
significative.
Un de ces inconvénients
est par exemple un usage inconsidéré de la négation.
C'est justement à une époque récente que cet usage
s'est trouvé ouvert comme possible, à savoir juste à
l'époque où on a fait la remarque dans l'usage de la négation
ce cercle d'Euler extérieur de l'inclusion devait jouer un rôle
essentiel à savoir que ce n'est absolument pas la même chose
de parler sans aucune précision par exemple de ce qui est non-homme
ou de ce qui est non-homme à l'intérieur des ani maux.
En d'autres termes que pour que la négation ait un sens à
peu près assuré, utilisable en logique, il faut
savoir par rapport à quel en semble quelque chose est nié.
En d'au tres termes que pour que la négation ait un sens à
peu près assuré, utilisable en logique, il faut savoir par
rapport à quel ensemble quelque chose est nié. En d'autres
termes si A' est non A, il faut savoir dans quoi il est non A, à
savoir ici dans B.
La négation vous la
verrez, si vous ouvrez à cette occasion Aristote, entraînée
dans toutes sortes de difficultés. Il n'en reste néanmoins
pas contestable qu'on n'a nullement ni attendu ces remarques, ni non plus
fait le moindre usage de ce support formel - je veux dire qu'il n'est pas
normal d'en faire usage pour se servir de la négation - à savoir
que le sujet dans son discours fait fréquemment usage de la négation
dans des cas où il n'y a pas le moindrement du monde de possibilité
de l'assurer sur cette base formelle ; d'où l'utilité des
remarques que je vous fais sur la négation en distinguant la négation
au niveau de l'énonciation ou comme constitutive de la négation
au niveau de l'énoncé. Cela veut dire que les lois de la négation
justement au point où elles ne sont pas assurées par cette
introduction tout à fait décisive et qui date de la distinction
récente de la logique des relations d'avec la logique des
classes que c'est en somme pour nous tout à fait ailleurs que
là où elle a trouvé son assiette que nous avons à
définir le statut de la négation. C'est un rappel, un rappel
destiné à vous éclairer rétrospectivement l'importance
de ce que depuis le début du discours de cette année je vous
suggère concernant l'originalité primordiale par rapport à
cette distinction de la fonction de la négation.
Vous voyez donc que ces cercles d'Euler, ce n'est pas
Euler qui (->p371) (XVII/6) s'en est servi à cette fin ; il a
fallu depuis que s'introduise l'oeuvre de Boole, puis de De Morgan pour
que ceci soit pleinement articulé.
Si j'en reviens à ces cercles d'Euler, donc ça
n'est pas qu'il en fait lui-même bon usage, mais c'est que c'est avec
son matériel, ave l'usage de ces cercles qu'ont pu être faits
les progrès qui ont suivi et dont je vous donne à la fois
1'un de ceux qui ne sont pas le moindre ni le moindre notoire, en tout cas
particulièrement saisissant, immédiat à faire sentir.
Entre Euler et de Morgan l'usage de ces cercles a permis
une symbolisation qui est aussi utile qu'elle vous paraît du reste
implicitement fondamentale, qui repose sur la position de ces cercles qui
se structurent ainsi : C'est ce que nous appellerons deux cercles qui se
recoupent, qui sont spécialement importants pour leur intuitive qui
paraîtra à chacun incontestable si je vous fais remarquer
que c'est autour de ces cercles que peuvent s'articuler
deux relations qu'il convient de bien accentuer, qui sont celle d'abord
de la réunion : qu'il s'agisse de quoi que ce soit que j'ai énuméré
tout à l'heure, leur réunion, c'est le fait qu'après
1'opération de la réunion, ce qui est unifié ce sont
deux champs.
L 'opération dite de la réunion qui se symbolise ainsi ordinairement
:
c'est précisément ce qui a introduit ce symbole - est, vous
le voyez, quelque chose qui n'est pas tout à fait pareil à
l'addition, c'est l'avantage de ces cercles que de la faire sentir. Ce n'est
pas la même chose que d'additionner par exemple deux cercles séparés
ou de les réunir dans cette position.
(->p372) (XVII/7) I1 y a une autre relation
qui est illustrée par ces cercles qui se recoupent : c'est celle de
l'intersection, symbolisée par ce signe dont la signification
est tout à fait différente. Le champ d'intersection est compris
dans le champ de réunion.
Dans ce qu'on appelle l'algèbre de Boole, on
montre que, jusqu'à un certain point tout au moins, cette opération
de la réunion est assez analogue à l'addition pour qu'on puisse
la symboliser par le signe de l'addition (+). On montre également
que l'intersection est structuralement assez analogue à la multiplication
pour qu'on puisse la symboliser par le signe de la multiplication (X).
Je vous assure que je fais là un extrait ultra-rapide
destiné à vous mener là où j'ai à vous
mener et dont je m'excuse bien sûr auprès de ceux pour qui
ces choses se présentent dans toute leur complexité quant
aux élisions que tout ceci comporte. Car il faut que nous allions
plus loin et sur le point précis que j'ai à introduire, ce
qui nous intéresse, c'est quelque chose qui jusqu'à de Morgan
- et on ne peut qu'être étonné d'une pareille omission
- n'avait pas été à proprement parler mis en évidence
comme justement une de ces fonctions qui découlent, qui devraient
découler d'un usage tout à fait rigoureux de la logique, c'est
précisément ce champ constitué par l'extraction, dans
le rapport de ces deux cercles, de la zone d'intersection.
Et considérer
ce qui est le produit, quand deux cercles se recoupent, au niveau du champ
ainsi défini, c'est-à-dire la réunion moins l'intersection,
c'est ce qu'on la différence symétrique.
Cette différence symétrique est
ceci qui va nous retenir, qui pour (->p373) (XVII/8) nous -vous
verrez pourquoi - est du plus haut intérêt. Le terme
différence symétrique est ici une appellation que je vous
prie simplement de prendre pour son usage additionnel. C'est comme cela
qu'on l'a appelée. N'essayez pas de donner un sens analysable grammaticalement
à cette soi disant symétrie. La différence symétrique,
c'est ça que cela veut dire, cela veut dire : ces champs, dans les
deux cercles d'Euler, en tant qu'ils définissent comme tel un "ou"
d'exclusion. Concernant deux champs différents, la différence
symétrique marque le champ tel qu'il est construit si vous donnez
au "ou", non pas le sens alternatif, mais qui implique la possibilité
d'une identité locale entre les deux termes ; et l'usage courant du
terme "ou" fait qu'en fait le terme "ou" s'applique ici fort bien au champ
de la réunion. Si une chose est A ou B, c'est ainsi que le champ de
son extension peut se dessiner, à savoir sous 1a forme première
où ces deux champs sont découverts. Si au contraire c'est exclusif
A ou B, c'est ainsi que nous pouvons le symboliser, à savoir
que le champ d'intersection est exclu.
Ceci doit
nous mener à un retour à une réflexion concernant ce
que suppose intuitivement l'usage du cercle comme base, comme support de
quelque chose qui se formalise en fonction d'une limite. Ceci se définit
très suffisamment dans ce fait que sur un plan d'usage courant , ce
qui ne veut pas dire un plan naturel, un plan fabricable, un plan qui est
tout à fait entré dans notre univers d'outil, à savoir
une feuille de papier , nous vivions beaucoup plus en compagnie de feuilles
de papier qu'en compagnie de tores. I1 doit y avoir pour ça des raisons
mais enfin des raisons qui ne sont pas évidentes. Pourquoi après
tout l'homme ne fabriquerait-il plus de tores ? D'ailleurs pendant des siècles,
ce que nous avons actuellement sous la forme de feuilles, c'étaient
des rouleaux qui devaient être plus familiers avec la notion du volume
à d'autres époques qu'à la nôtre. Enfin il y
a certainement une raison pour que cette surface plane soit quelque chose
qui nous suffise et plus exactement (->p374) (XVII/8) dont nous nous
suffisions. Ces raisons doivent être quelque part. Et je l'indiquais
tout à l'heure - on ne saurait accorder trop d'importance au fait
que, contrairement à tous les efforts des physiciens comme des philosophes
pour nous persuader du contraire, le champ visuel quoi qu'on en dise, est
essentiellement à deux dimensions : sur une feuille
de papier, sur une surface
prati quement simple, un cercle dessiné délimite de
la façon la plus claire un intérieur et un extérieur.
Voilà tout le secret, tout le mystère, le ressort
simple de l'usage qui en est fait dans l'illustration eulérienne
de la logique. Je vous pose la question suivante : qu'est-ce qui arrive
si Euler, au lieu de dessiner ce cercle, dessine mon huit inversé
celui dont aujourd'hui j'ai à vous entretenir ?
En apparence ce n'est qu'un cas particulier du cercle
avec le champ intérieur qu'il définit et la possibilité
d'avoir un autre cercle à l'in-
érieur. Simplement le cercle intérieur touche - voilà
ce qu'à un premier aspect certains pourront me dire - le cercle intérieur
touche à la limite constituée par le cercle extérieur.
Seulement c'est quand même pas tout à fait ça, en ce
sens qu'il est bien clair, à la façon dont je dessine, que
la ligne ici du cercle extérieur continue dans la ligne du cercle
intérieur pour se retrouver ici.
Et alors
pour simplement tout de suite marquer l'intérêt, la portée
de cette très simple forme, je vous suggèrerai que les remarques
que j'ai introduites à un certain point de mon séminaire quand
j'ai introduit la fonction du signifiant consistaient en ceci : à
vous rappeler le paradoxe prétendu tel introduit par la
classification des ensembles -rappelez-vous - qui ne se comprennent pas eux-mêmes.
Je vous rappelle la difficulté qu'ils introduisent
: doit-on, ces ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes, les
inclure ou non (->p375) (XVII/10) dans l'ensemble des ensembles qui ne
se comprennent pas eux-mêmes ? Vous voyez là la difficulté.
Si oui, c'est donc qu'ils se comprendront eux-mêmes dans cet ensemble
des ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes. Si non, nous nous
trouvons devant une impasse analogue.
Ceci est
facilement résolu à cette simple condition qu'on s'aperçoive
à tout le moins de ceci - c'est la solution qu'ont donnée
d'ailleurs les formalistes, les logiciens - qu'on ne peut pas parler, disons
de la même façon, des ensembles qui se comprennent eux-mêmes
et des ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes. Autrement dit
qu'on les exclut comme tels de la définition simple des ensembles,
qu'on pose en fin de compte que les ensembles qui se comprennent eux-mêmes
ne peuvent être posés comme des ensembles. Je veux dire que
loin que cette zone intérieure d'objets aussi considérables
dans la construction de la logique moderne que les ensembles, loin qu'une
zone intérieure définie par cette image du huit renversé
par le recouvrement ou le redoublement dans ce recouvrement d'une classe,
d'une relation, d'une proposition quelconque par elle-même, par sa
portée à la seconde puissance, loin que ceci laisse dans un
cas notoire la classe, la proposition, la relation d'une façon générale,
la catégorie à l'intérieur d'elle-même d'une
façon en quelque sorte plus pesante plus accentuée, ceci a
pour effet de la réduire à l'homogénéité
avec ce qui est à l'extérieur.
Comment ceci est-il concevable ? car enfin on doit tout
de même bien dire que, si c'est ainsi que la question se présente,
à savoir entre tous les ensembles un ensemble qui se recouvre lui-même,
il n'y a aucune raison a priori de ne pas en faire un ensemble comme les
autres. Vous définissez comme ensemble par exemple tous les ouvrages
concernant ce qui se rapporte aux humanités, c'est à dire aux
arts, (->p376) (XVIII/11) aux sciences, à l'ethnographie. Vous
en faites une liste ; les ouvrages qui sont des ouvrages faits sur la question
de ce qu'on doit classer comme humanités feront partie du même
catalogue, c'est-à-dire que ce que je viens même de définir
à l'instant to articulant le titre les ouvrages concernant les humanités,
fait partie de ce qu'il y a à cataloguer.
Comment pouvons-nous concevoir que quelque chose qui
se pose ainsi comme se redoublant soi-même dans la dignité d'une
certaine catégorie puisse se trouver pratiquement nous amener à
une antinomies, à une impasse logique telle que nous soyons au contraire
contraints de la rejeter ? Voilà quelque chose qui n'est pas d'aussi
peu d'importance que vous pourriez le croire puisqu'on a pratiquement
vu les meilleurs logiciens y voir une sorte d'échec, de point de
butée, de point de vacillation de tout l'édifice formaliste,
et non sans raison. Voilà qui pourtant fait à l'intuition une
sorte d'objection majeure, toute seule inscrite, sensible, visible dans
la forme même de ces deux cercles qui se présentent, dans la
perspective eulérienne, comme inclus l'un par rapport à l'autre.
C'est justement là-dessus que nous allons
voir que l'usage de l'intuition de représentation du tore est tout
à fait utilisable. Et étant donné que vous sentez
bien, j'imagine, ce dont il s'agit, à savoir un certain rapport du
signifiant à lui-même, je vous l'ai dit, c'est dans la
mesure ou la définition d'un ensemble s'est de plus en plus rapprochée
d'une articulation purement signifiante qu'elle a amené à cette
impasse, c'est toute la question du fait qu'il s'agit pour nous de mettre
au premier plan qu'un signifiant ne saurait se signifier lui-même.
En fait c'est une chose excessivement bête et simple ce point très
essentiel que le signifiant en tant qu'il peut servir à se signifier
lui-même doit se poser comme différent de lui-même. C'est
ceci qu'il s'agit de symboliser au premier chef parce que c'est aussi ceci
que nous allons retrouver, jusqu'à un certain point d'extension qu'il
s'agit de déterminer, dans toute la structure subjective jusqu'au
désir y compris.
Quand un de mes obsessionnels, tout récemment
encore après avoir développé tout le raffinement
de la science de ses exercices à l'endroit des objets féminins
auxquels comme il est commun chez les autres obsessionnels, si je puis dire,
il reste attaché par ce qu'on peut appeler une infidélité
constante : à la fois impossibilité de quitter aucun de (->p377)
(XVII/12) ces objets et extrême difficulté à les maintenir
tous ensemble, et qu'il ajoute qu'il est bien évident que dans cette
relation, dans ce rapport si compliqué qui nécessite ce si haut
raffinement technique, si je puis dire, dans le maintien de relations qui
en principe doivent rester extérieures les unes aux autres, imperméables
si l'on peut dire les unes aux autres et pourtant liées, que, si
tout ceci, me dit-il, n'a pas d'autre fin que de le laisser intact pour
une satisfaction dont lui-même ici achoppe, elle doit donc se trouver
ailleurs, non pas seulement dans un futur toujours reculé, mais manifestement
dans un autre espace puisque de cette intactitude et de sa
(espace vide -note du claviste) est incapable en fin de compte de
dire sur quoi comme satisfaction ceci peut déboucher.
Nous avons tout de même là sensible, quelque
chose qui pour nous pose la question de la structure du désir de
la façon la plus quotidienne.
Revenons à notre tore et inscrivons-y nos cercles
d'Euler. Ceci va nécessiter de faire - je m'en excuse - un tout petit
retour qui n'est pas, quoi qu'il puisse apparaître à quelqu'un
qui entrerait actuellement pour la première fois dans mon séminaire,
un retour géométrique - il le sera peut-être tout à
fait à la fin mais très incidemment - qui est à proprement
parler topologique. Il n'y a aucun besoin que ce tore soit un tore régulier
ni un tore sur lequel nous puissions faire des mesures, c'est une surface
constituée selon certaines relations fondamentales que je vais être
amené à vous rappeler, mais comme je ne veux pas paraître
aller trop loin de ce qui est le champ de notre intérêt je
vais me limiter aux choses que j'ai déjà amorcées et
qui sont très simples.
Je vous 1'ai fait remarquer : sur une telle surface,
nous pouvons décrire ce type de cercle qui est celui que je vous ai
déjà connoté (->p378) (XVII/13) comme réductible,
celui qui s'il est représenté par une petite ficelle qui passe
à la fin par une boucle, je peux en tirant sur la ficelle le réduire
à un point, autrement dit à zéro. Je vous ai fait remarquer
qu'il y a deux espèces d'autres cercles ou lacs quelque soit leur étendue
car pourrait aussi bien, par exemple celui-là avoir cette forme là
. (1)
Cela veut
dire un cercle qui traverse le trou quelle que soit sa forme plus ou moins
serrée plus ou moins laxe. C'est ça qui le définit
il traverse le trou, il passe de l'espace cité du trou. II est ici
représenté en pointillés alors que le 2 est représenté
en plein. C'est ceci que cela symbolise : ce cercle n'est pas réductible,
ce qui veut dire que si vous le supposez réalisé par une ficelle
passant toujours par ce petit arceau qui nous servirait à le serrer
nous ne pouvons pas le réduire à quelque chose de ponctiforme,
il restera toujours quelle que soit sa circonférence, au centre de
la circonférence de ce qu'on peut appeler ici l'épaisseur
du tore. Ce cercle irréductible du point de vue qui nous intéressait
tout à l'heure, à savoir de la définition d'un intérieur
et d'un extérieur, s'il montre d'un côté une résistance
particulière, quelque chose qui par rapport aux autres cercles lui
confère une dignité éminente, sur cet autre point voici
tout à coup qu'il va paraître singulièrement déchu
des propriétés du précédent ; car si; ce cercle
dont je vous parle, vous le matérialisez par exemple par une coupure
avec une paire de ciseaux, qu'est-ce que vous obtiendrez ? Absolument pas,
comme dans l'autre cas, un petit morceau qui s'en va et puis le reste du
tore. Le tore restera tout entier bien intact sous la forme d'un tuyau ou
d'une manche si vous voulez.
Si vous prenez d'autre part un autre type le cercle,
celui dont je vous ai déjà parlé, celui qui n'est pas
celui qui traverse le trou, mais qui en fait le tour, celui-là se trouve
dans la. même situation que le précédent quant à
l'irréductibilité. I1 se trouve également dans la même
situation que le précédent concernant le fait qu'il ne suffit
pas à définir un intérieur ni un extérieur. Autrement
dit que, si vous 1e suivez, ce cercle, et que vous ouvrez le tore à
l'aide d'une paire de ciseaux, vous aurez à 1a fin quoi ? Eh bien,
la même chose que dans le cas précédent : ça a
la forme du tore, mais c'est une forme qui ne présente une différence
qu'intuitive, qui est tout à fait essentiellement (->p379) (XVII/14)
la même du point de vue de la structure. Vous avez toujours après
cette opération, comme dans le premier cas, une manche, simplement
c'est une manche très courte et très large, vous avez une
ceinture si vous voulez mais il n'y a pas de différence essentielle
entre une ceinture et une manche du point de vue topologique, appelez ça
encore une bande si vous voulez.
Nous voilà donc en présence de deux types
de cercles qui de ce point de vue d'ailleurs n'en font qu'un, qui ne définissent
pas un intérieur et un extérieur. Je vous fait observer incidemment
que, si vous coupez le tore successivement suivant l'un et l'autre, vous
n'arrivez pas encore pour autant à faire ce dont il s'agit et que
vous obtenez pourtant tout de suite avec l'autre type de cercle 1 (p.12)
le premier que je vous ai dessiné, à savoir deux morceaux.
Au contraire le tore, non seulement reste bien tout entier, mais c'était,
la première fois que je vous en parlais, une mise à plat qui
en résulte et qui vous permet de symboliser éventuellement
d'une façon particulièrement commode le tore comme un rectangle
que vous pouvez en tirant un peu étaler comme une peau épinglée
aux quatre points, définir les propriétés de correspondance
de ces bords l'un à 1'autre, de correspondance aussi de ses sommets,
les quatre sommets se réunissent en un point et avoir ainsi, d'une
façon beaucoup plus accessible à vos facultés d'intuition
ordinaire, moyen d'étudier ce qui se passe géométriquement
sur le tore, c'est-à-dire il y aura un de ces types de cercle qui
se représentera par une ligne comme celle-ci,
un autre type de cercles
par des lignes comme celle-ci représentant deux points posés,
définis d'une façon préalable comme étant équivalents
sur ce qu'on appelle les bords de la surface étalée mise à
plat, si l'on peut dire encore que bien sûr ce ne soit pas d'une véritable
mise à plat, la mise à plat comme telle étant
impossible puisqu'il ne s'agit (->p380) (XVII/15) pas d'une surface
qui soit métriquement identifiable à une surface plane, je
le répète purement métriquement, pas topologiquement.
Où est-ce que ceci nous mène ?
Le fait que deux sections de cette espèce soient
possibles, avec d'ailleurs la nécessité de se regrouper l'une
ou 1'autre sans fragmenter d'aucune façon la surface, en la laissant
entière, en la laissant d'un seul lambeau, si je puis dire, ceci
suffit à définir un certain genre d'une surface. Toutes les
surfaces sont loin d'avoir de genre ; si vous faites en particulier une
telle section sur une sphère, vous n'aurez toujours que deux morceaux
quel que soit le cercle.
Ceci pour nous conduire à quoi ?
Ne faisons plus une seule section mais deux sections
sur la seule base du tore. Qu'est-ce que nous voyons apparaître ? nous
voyons apparaître quelque chose qui assurément va nous étonner
tout de suite, c'est à savoir que si les deux cercles se regroupent,
le champ dit de la différence symétrique existe bel et bien.
Est-ce que nous pouvons dire que pour autant existe le champ de l'intersection
? Je pense que cette figure, telle qu'elle est construite, est suffisamment
accessible à votre intuition pour que vous compreniez bien tout de
suite et immédiatement qu'il n'en est rien.
(->p381)
(XVII/16) C'est à savoir que ce quelque chose qui serait intersection,
mais qui ne l'est pas et qui, je dis, pour l'oeil car bien entendu il n'est
pas même question un seul instant que cette intersection existe mais
qui pour l'oeil est tel que je vous l'ai présenté ainsi sur
cette figure telle qu'elle est dessinée, se trouverait peut-être
quelque part ici (voir schéma) de ce champ parfaitement continué
d'un seul bloc, d'un seul lambeau avec ce champ là qui pourrait analogiquement,
de la façon la plus grossière pour une intuition justement habituée
à se fonder aux choses qui se passent uniquement sur le plan, correspondre
à ce champ externe où nous pourrions définir, par rapport
à deux cercles d'Euler se recoupant, le champ de leur négation,
à savoir si ici nous avons le cercle A et ici le cercle B, ici nous
avons A' négation de A et nous avons ici B' négation de B,
et il y a quelque chose à formuler concernant leur intersection à
ces champs extérieurs éventuels.
Ici nous voyons donc illustré de la façon
la plus simple par la structure du tore ceci que quelque chose est possible,
quelque chose qui peut s'articuler ainsi : deux champs se recoupant, pouvant
comme tels définir leur différence en tant que différence
symétrique, mais qui n'en sont pas moins deux champs dont on peut
dire qu'ils ne peuvent se réunir et qu'ils ne peuvent pas non plus
se recouvrir, en d'autres termes qu'ils ne peuvent ni servir à une
fonction de "ou..., ou...", de réunion, ni servir à une fonction
de multiplication (intersection) par soi même. Ils ne peuvent littéralement
pas se reprendre à la deuxième puissance, ils ne peuvent pas
réfléchir 1'un par l'autre et l'un dans l'autre ; ils n'ont
pas d'intersection ; leur intersection est exclusion d'eux-mêmes. Le
champ où l'on attendrait l'intersection est le champ où l'on
sort de ce qui les concerne, où on est dans le non-champ. Ceci est
d'autant plus intéressant qu'à la représentation de
ces deux cercles nous pouvons substituer notre huit inversé de tout
à l'heure.
(->p382) (XVII/17)
Nous nous trouvons alors devant une forme qui pour nous
est encore plus suggestive. Car essayons de nous rappeler ce à quoi
j'ai pensé tout de suite à les comparer, ces cercles qui font
le tour du trou du tore : là quelque chose, vous ai-je dit, qui a
rapport avec l'objet métonymique, avec l'objet du désir en
tant que tel. Qu'est-ce que ce huit inversé, ce cercle qui se reprend
lui-même à l'intérieur de lui-même, qu'est-ce que
c'est, si ce n'est un cercle qui à la limite se redouble et se ressaisit,
qui permet de symboliser - puisqu'il s'agit d'évidence intuitive et
que les cercles eulériens nous paraissent particulièrement
convenables à une certaine symbolisation de la limite - qui permet
de symboliser cette limite en tant qu'elle se reprend elle-même, qu'elle
s'identifie à elle-même. Réduisez de plus en plus la
distance qui sépare la première boucle, disons de la seconde
et vous avez le cercle en tant qu'il se saisit lui-même. Est-ce qu'il
y a pour nous des objets qui aient cette nature, à savoir, qu'ils
subsistent uniquement dans cette saisie de leur autodifférence
? Car de deux choses l'une : ou ils la saisissent, ou ils ne la saisissent
pas.. Mais il y a une chose en tout cas que tout ce qui se passe à
ce niveau de la saisie implique et nécessite, c'est que ce quelque
chose exclut toute réflexion de cet objet sur soi-même. Je veux
dire que supposez que ce soit petit a dont il s'agisse, comme je vous l'ai
déjà indiqué que c'était ce à quoi ces
cercles allaient nous servir, ceci veut dire que a 2, le champ ainsi défini,
est le même champ que ce qui est là, c'est-à-dire non
-a ou -a.
a2 = -a
Supposez pour l'instant, je n'ai pas dit que c'était démontré,
je vous dis que je vous fournis aujourd'hui un modèle, un support
intuitif à quelque chose qui est précisément ce dont
nous avons besoin concernant la constitution du désir. Peut-être
vous paraîtra-t-il plus accessible, plus immédiatement à
votre portée d'en faire le symbole de l'autodifférence du désir
à lui-même et le fait que c'est précisément à
son redoublement sur lui-même que nous voyons (->p383) (XVII/18)
apparaître ce qu'il enserre, se dérobe et fuit vers ce qui l'entoure.
Vous direz : arrêtez-vous, suspendez-vous ici, car ce n'est pas réellement
le désir que j'entends symboliser par la double boucle de ce huit intérieur
mais quelque chose qui convient beaucoup mieux à la conjonction du
petit a, de l'objet du désir comme tel avec lui-même. Pour que
le désir soit effectivement, intelligemment supporté dans cette
référence intuitive à la surface du tore, il convient
d'y faire entrer comme de bien entendu la dimension de la demande. Cette
dimension de la demande, je vous ai dit d'autre part que les cercles enserrant
1'épaisseur du tore comme telle pouvaient servir très intelligiblement
à la représenter et que quelque chose d'ailleurs qui est en
partie contingent, je veux dire lié à une aperception toute
extérieure, visuelle, elle même trop marquée de l'intuition
commune pour n'être pas réfutable, vous le verrez, mais enfin
telle que vous êtes forcés de vous représenter le tore,
à savoir quelque chose comme cet anneau, vous voyez facilement combien
aisément ce qui se passe dans la succession de ces cercles capables
de suivre en quelque sorte en hélice et selon une répétition
qui est celle du fil autour de la bobine, combien aisément 1a demande
dans sa répétition, son identité et sa distinction
nécessaires, son déroulement et son retour sur elle-même,
est quelque chose qui trouve facilement à se supporter de la structure
du tore.
Ce n'est pas là ce que j'entends aujourd'hui
répéter une fois de plus. D'ailleurs, si je ne faisais que
le répéter ici, ce serait tout à fait insuffisant ;
c'est au contraire quelque chose sur lequel je voudrais attirer votre attention,
à savoir ce cercle privilégié qui est constitué
par ceci que c'est non seulement un cercle qui fait le tour du trou central,
mais que c'est aussi un cercle qui le traverse. En d'autres termes qu'il
est constitué par une propriété topologique qui confond,
qui additionne la boucle constituée autour de l'épaisseur du
tore avec celle qui se ferait d'un tour fait par exemple autour du trou intérieur.
Cette sorte de boucle est pour nous d'un intérêt
tout à fait privilégié ; car c'est elle qui nous permettra
de supporter, d'imager les relations comme structurales de la demande et
du désir.
(->p384) (XVII/19) Voyons
en effet ce qui se peut se produire concernant de telles boucles observez
qu'il peut y en avoir d'ainsi constituées, qu'une autre qui lui est
voisine s'achève, revienne sur elle-même, sans du tout couper
la première. Vous le voyez étant donné ce que j'ai là
essayé de bien articuler, de bien dessiner à savoir la façon
dont ça se passé de l'autre côté de cet objet
que nous supposons massif parce que c'est comme ça que vous l'intui-
tionnez si facilement et
qui évidemment ne l'est pas, la ligne du cercle 1 passe ici, l'autre
ligne 3 passe un peu plus loin. Il n'y a aucune espèce d'intersection
de ces deux cercles.
Voici deux demandes qui tout en impliquant le cercle
central avec ce qu'il symbolise- à l'occasion, l'objet, et dans quelle
mesure il est effectivement intégré à la demande, c'est
ce que nos développements ultérieurs nous permettent d'articuler
- ces deux demandes ne comportent aucune espèce de recoupement, aucune
espèce d'intersection et même aucune espèce de différence
articulable entre elles encore qu'elles aient le même objet inclus
dans leur périmètre. Au contraire il y a un autre temps de
circuit, celui qui passe effectivement du l'autre côté du tore,
mais loin de se rejoindre à lui-même au point d'où il
est parti amorce ici une autre courbe pour venir une seconde fois passer
ici et revenir à son point de départ.
(->p385) (XVII/20) Je pense que vous avez saisi
ce dont il s'agit : il s'agit de rien moins que de quelque chose d'absolument
équivalent à la fameuse courbe du huit inverse dont je vous
ai parlé tout-à-1'heure. Ici les deux boucles représentent
la réitération, la réduplication de la demande et comportent
alors ce champ de différence à soi-même, d'autodifférence
qui est celui sur lequel nous avons mis l'accent tout à l'heure,
c'est-à-dire qu'ici nous trouvons le moyen de symboliser d'une façon
sensible, au niveau de la demande elle-même, une condition pour qu'elle
suggère, dans toute son ambiguïté et d'une façon
strictement analogue à la façon dont elle est suggérée
dans la réduplication de tout à l'heure de l'objet du désir
lui-même, la dimension centrale constituée par le vide du désir.
Tout ceci je ne vous l'apporte que comme une sorte de proposition d'exercices,
d'exercices mentaux d'exercices avec lesquels vous avez à vous familiariser,
si vous voulez pouvoir dans le tore trouver pour la suite la valeur métaphorique
que je lui donnerai quand j'aurai dans chaque cas, qu'il s'agisse de
l'obsessionnel, de l'hystérique, du pervers, voire même du
schizophrène, à articuler le rapport du désir et
de la demande. C'est pourquoi c'est sous d'autres formes, sous 1a forme
du tore déployé, mis à plat de tout à l'heure
que je vais essayer de bien vous marquer à quoi correspondent les
divers cas que j'ai jusqu'ici évoqués, à savoir les
deux premiers cercles par exemple qui étaient deus cercles qui faisaient
le trou central et qui se recoupaient en constituant à proprement
parler la même figure de différence symétrique qui est
celle des cercles d'Euler.
(->p386) (XVII/21) Voici ce que ça donne
sur le tore étalé, certainement de cette façon
figure plus satisfaisante que ce que vous voyiez tout à 1'heure en
ceci que vous pouvez toucher du doigt ce fait qu'il n'y a pas symétrie,
disons entre les quatre champs, deux par deux, tels qu'ils sont définis
par le recoupement des deux cercles.
Vous auriez pu tout à l'heure vous dire, et certainement
pas d'une façon qui aurait été le signe de peu d'attention,
qu'à dessiner les choses ainsi et à donner une valeur privilégiée
à ce que j'appelle ici différence
symétrique je ne fais
là que quelque chose d'assez arbitraire puisque les deux autres champs
dont je vous ai fait remarquer qu'ils se confondent occupaient peut-être
par rapport à ces deux-ci une place symétrique. Vous voyez
qu'il n'en est rien, à savoir que les champs définis par ces
deux, secteurs, de quelque façon que vous les raccordiez -et vous
pourriez le faire - ne sont d'aucune façon identifiables au premier
champ.
L'autre figure, à savoir celle du huit inversé
se présente ainsi :
La non symétrie de ces deux champs est encore
plus évidente : les deux cercles que j'ai dessinés ensuite successivement
sur le pourtour du tore comme définissant deux cercles de la demande
en tant qu'ils ne se recoupent pas, les voici ainsi symbolisés. Il
y en a un que nous (->p387) (XVII/22) pouvons identifier purement -
je parle des deux cercles de la demande tels que je viens de les définir
en tant qu'ils incluaient en plus le trou central - l'un peut très
facilement se définir, se situer sur le tore étalé
comme une oblique reliant en diagonale un sommet au même point qu'il
est réellement au bord opposé ; au sommet opposé de
sa
position AB. La seconde boucle que AA j'avais dessinée tout à
l'heure se symboliserait ainsi : commençant en un point ici quelconque,
nous avons ici A' ici E', un point C qui est le même que ce point
C' et finissant en B' : A' B' CB' .
Il
n'y a ici aucune possibilité de distinguer le champ qui est en
.I1 n'a aucun privilège par rapport à ce champ-ci. Il n'en
est pas de même si au contraire le huit intérieur que nous
symbolisons, car alors il se présente ainsi :
Voici l'un de ces champs : il est défini par
les parties ombrées ici. I1 n'est manifestement pas symétrique
avec ce qui reste de l'autre champ, de quelque façon que vous vous
efforciez de le recomposer. I1 est bien évident que vous pouvez le
recomposer de la façon suivante, que cet élément-là
- mettons le x - venant ici, cet y venant là et ce z venant
ici vous aurez la forme définie par l'autodifférence dessinée
par le huit intérieur.
Ceci dont nous verrons 1'utilisation par 1a suite peut
vous paraître quelque peu fastidieux, voir superflu au moment même
où j'essaie pour vous de l'articuler. Néanmoins je voudrais
vous faire remarquer à quoi ça sert. Vous le voyez bien :
tout l'accent que je porte sur la définition de ces champs est destiné
à vous marquer en quoi ils sont utílisables, ces champs de
1a différence symétrique et de ce que j'appelle (->p388)
(XVII/23) 1'autodifférence, en quoi ils sont utilisables pour une
certaine fin et en quoi ils se soutiennent comme existant par rapport à
un autre champ qu'ils excluent.
En d'autres termes à établir leur fonction
dissymétrique, si je me donne tellement de peine, c'est qu'il y a
une raison : la raison est celle-ci : c'est que le tore, tel qu'il est structuré
purement et simplement comme surface, il est très difficile de symboliser
d'une façon valable ce que j'appellerai sa dissymétrie. En
d'autres termes, quand vous le voyez étalé à savoir
sous la forme de ce rectangle dont il s'agira, pour reconstituer le tore,
que vous conceviez primo que je le replie et que je fais un tube, secondo
que je ramène un bout du tube sur l'autre et je fais un tube fermé,
il n'en reste pas moins que ce que j'ai fait dans un sens j'aurais pu le
faire dans l'autre.
Puisqu'il s'agit de topologie, et non de propriétés
métriques, la question de la plus grande longueur d'un côté
par rapport à l'autre n'a aucune signification. Que ce n'est pas
ceci qui nous intéresse, puisque c'est la fonction réciproque
de ces cercles qu'il s'agit d'utiliser. Or justement dans cette réciprocité
ils apparaissent pouvoir avoir des fonctions strictement équivalentes.
Aussi bien cette possibilité est elle à la base de ce que
j'avais d'abord laissé pointer apparaître dès le début
pour vous dans l'utilisation de cette fonction du tore comme d'une possibilité
d'image sensible à son propos, c'est que chez certains sujets, certains
névrosés par exemple, nous voyons en quelque sorte d'une façon
sensible la projection, si l'on peut s'exprimer ainsi, des cercles même
du désir dans toute la mesure où il s'agit pour eux, si je
puis dire, d'en sortir dans des demandes exigées de l'Autre. Et c'est
ce que j'ai symbolisé en vous montrant ceci : c'est que, si vous
dessinez un tore, vous pouvez simplement en imaginer un autre qui enserre,
si l'on peut dire, de cette façon le premier ; il faut bien voir
que chacun des cercles qui sont des cercles autour du trou peuvent avoir
par simple roulement leur correspondance dans des cercles qui passent à
travers le trou de l'autre tore, qu'un tore en quelque sorte est toujours
transformable en tous ses points en un tore opposé.
Ce qu'il s'agit donc
de voir c'est ce qui originalise une des fonctions circulaires, celle des
cercles pleins par exemple par rapport à ce que nous avons appelé
à un autre moment les cercles vides. Cette différence existe
très évidemment, on pourrait par exemple la symboliser, la
(->p389) (XVII/24) formaliser en indiquant par un petit signe sur la surface
du tore étalé en rectangle si vous le voulez l'antériorité
selon laquelle se ferait le repliement, et si nous appelons ce côté
petit a et ce coté petit b, noter par exemple petit a inférieur
à petit b, ou inversement. Ce serait là une notation à
laquelle jamais personne n'a songé en topologie et qui aurait quelque
chose de tout à fait artificiel, car on ne voit pas pourquoi un tore
serait d'aucune façon un objet qui aurait une dimension temporelle.
A partir de ce moment, il est tout à fait difficile
de 1e symboliser autrement, encore qu'on voit bien qu'il y a là quelque
chose d'irréductible et qui fait même à proprement parler
toute la vertu exemplaire de l'objet torique.
Il y aurait une autre façon d'essayer de l'aborder. I1 est
bien clair que c'est pour autant que nous ne considérons le tore que
comme surface et ne prenant ses coordonnées que de sa propre structure
que nous somme mis devant cette impasse, grosse pour nous de conséquences
puisque si évidemment les cercles dont vous voyez que je vais tendre
à les faire servir pour y
fixer la demande bien entendu dans ses rapports avec d'autres cercles qui
ont rapport avec le désir, s'ils sont strictement réversibles,
est-ce que c'est là quelque chose que nous désirons avoir
pour notre modèle ? Assurément pas. C'est au contraire
du privilège essentiel du trou central qu'il s'agit ; et par conséquent
le statut topologique que nous cherchons comme utilisable dans notre modèle,
va se trouver nous fuir et nous échapper. C'est justement parce qu'il
nous fuit et nous échappe qu'il va se révéler fécond
pour nous.
Essayons une autre méthode pour marquer ce dont
les mathématiciens, les topologistes se passent parfaitement dans
la définition, l'usage qu'ils font de cette structure du tore en topologie
: eux-mêmes, dans la théorie générale des
surfaces, ont mis en valeur la fonction du tore comme élément
irréductible de toute réduction des surfaces à ce qu'on
appelle une forme normale. Quand je dis que c'est un élément
irréductible, je veux dire qu'on ne peut réduire le tore
à autre chose. On peut imaginer des formes de surface aussi complexes
que vous voudrez mais il faudra toujours tenir compte de la fonction tore
dans toute planification, si je puis m'exprimer ainsi, dans toute triangulation
dans la théorie des surfaces. Le tore ne (->p390) (XVII/25)
suffit pas, il y faut d'autres termes, il y faut nommément la
sphère, il y faut ce à quoi je n'ai même pas pu
même aujourd'hui encore faire allusion, introduire la possibilité
de ce qu'on appelle cross-cap et la possibilités de trous.
Quand vous avez la sphère, le tore, le cross-cap
et le trou, vous pouvez représenter n'importe quelle surface qu'on
appelle compacte, autrement dit une surface qui soit décomposable
en lambeaux. 1l y a d'autres surfaces qui ne sont pas décomposables,
mais nous les laissons de côté.
Venons-en à notre tore et à la possibilité
de son orientation. Est-ce que nous allons pouvoir la faire par rapport
à la sphère idéale sur laquelle il s'accroche ? Nous
pouvons, cette sphère, toujours l'introduire, à savoir qu'avec
une suffisante puissance de souffle n'importe quel tore peut venir à
se représenter comme une simple poignée à la surface
d'une sphère qui est une partie de lui-même suffisamment gonflée.
Est-ce que par l'intermédiaire de la sphère nous allons pouvoir,
si je puis dire, replonger le tore dans ce que - vous le sentez bien - nous
cherchons pour l'instant, à savoir ce troisième terme qui
nous permette d'introduire la dissymétrie dont nous avons besoin
entre les deux types de cercles ?
Cette dissymétrie pourtant si évidente,
si intuitivement sensible, si irréductible même et qui est
pourtant telle qu'elle se manifeste à propos comme étant ce
quelque chose que nous observons toujours dans tout développement
mathématique : la nécessité pour que ça démarre,
d'oublier quelque chose au départ, ceci vous 1e retrouvez dans
toute espèce de progrès formel, ce quelque chose d'oublié
et qui littéralement se dérobe à nous, nous fuit dans
le formalisme, est-ce que nous allons pouvoir le saisir, par exemple dans
la référence de quelque close qui s'appelle tuyau à
la sphère ?
En effet, regardez bien ce qui se passe et ce qu'on
nous dit que toute surface formalisable peut nous donner dans la réduction
la forme normale? On nous dit ceci se ramènera toujours à
une sphère, avec quoi ? avec des tores insérés sur
celle-ci et que nous pouvons valablement symboliser ainsi. Je vous passe
la théorie, l'expérience prouve que c'est strictement exact.
Qu'en outre nous aurons ce qu'on appelle des cross-cap. ( ces cross-cap,
je renonce à vous en parler aujourd'hui, il faudra que je vous en
parle parce qu'ils nous rendront le plus grand service. Contentons-nous de
considérer le tore.
(->p391) (XVII/26) I1 pourrait nous venir à
l'idée qu'une poignée comme celle-ci, qui ne serait non pas
extérieur à la sphère, mais intérieure avec
un trou pour y entrer,
c'est quelque chose d'irréductible,
d'inéliminable et qu'il faudrait en quelque sorte distinguer les
tores extérieurs et les tores intérieurs.
En quoi est-ce que ceci nous intéresse ? Très
précisément à propos d'une forme mentale qui est nécessaire
à toute notre intuition de notre objet. En effet, dans la perspective
platonicienne, aristotélicienne, eulérienne d'un Umwelt et
d'un Innenwelt, d'une dominance mise d'emblée sur la division de l'intérieur
et l'extérieur, est-ce que nous ne placerons pas tout ce que nous
expérimentons, et nommément en analyse, dans la dimension de
ce que j'ai appelé l'autre jour le sous-terrain, à savoir le
couloir qui s'en va dans la profondeur, autrement dit, au maximum, je veux
dire dans sa forme la plus développée selon cette forme.
Il est extrêmement exemplaire de faire sentir
à ce propos la non-indépendance absolue de cette forme ; car
je vous le répète pour autant qu'on arrive à des formes
réduites qui sont les formes inscrites, vaguement croquées
au tableau dans le dessin pour donner un support à ce je dis
, il est absolument impossible de soutenir même un instant, dans la
différence l'originalité éventuelle de la poignée
intérieure (->p392) (XVII/27) par rapport à la poignée
extérieure, pour employer les termes techniques. I1 vous suffit,
je pense, d'avoir un peu d'imagination pour voir que s'il s'agit de quelque
chose que nous matérialisons en caoutchouc il suffit d'introduire
le doigt ici (voir schéma) et d'accrocher de l'intérieur l'anneau
central de cette poignée telle qu'elle est ainsi constituée
pour l'extraire à l'extérieur selon exactement une forme qui
sera celle-ci, c'est-à-dire une tore exactement le même, sans
aucune espèce de déchirure, ni même à proprement
parler d'inversion. Il n'y a aucune inversion : ce qui était intérieur,
à savoir le cheminement ainsi de l'intérieur du couloir, devient
extérieur parce que ça l'a toujours été. Si cela
vous surprend, je peux encore l'illustrer d'une façon plus simple
qui est exactement la même parce qu' il n'y a aucune différence
entre ceci et ce que je vais vous montrer maintenant et que je vous avais
montré dès le premier jour, espérant vous faire sentir
de quoi il s'agissait. Supposez que ce soit au milieu de son parcours, ce
qui est exactement la même chose du point de vue topologique que le
tore soit pris dans la sphère ; vous avez ici un petit couloir qui
chemine d'un trou à un autre trou. Là je pense qu'il vous est
suffisamment sensible qu'il n'est pas difficile, simplement en faisant bomber
un peu ce que vous pouvez saisir par le couloir avec le doigt, de faire apparaître
une figure qui sera à peu près celle ci : de quelque chose qui
est ici une poignée et dont les deux trous communiquant avec l'intérieur
sont ici en pointillés.
Nous arrivons donc à un échec de plus,
je veux dire à 1'impossibilité, par une référence
à une troisième dimension ici représentée par
la sphère, de symboliser ce quelque chose qui mette le tore, si l'on
peut dire, dans son assiette, par rapport à sa propre dissymétrie.
Ce que nous voyons une fois de plus se manifester, c'est ce quelque chose
qui est introduit par ce très simple signifiant que je vous ai apporté
(->p392) (->XVII/28) d'abord du huit intérieur, à
savoir la possibilité d'un champ intérieur comme étant
toujours homogène au champ extérieur.
Ceci est une catégorie tellement essentielle
à marquer, à imprimer dans votre esprit que j'ai cru devoir
aujourd'hui, au risque de vous lasser, voir de vous fatiguer, insister pendant
une seule de nos leçons. Vous en verrez, je l'espère, l'utilisation
dans la suite.