LE DÉSIR
ET SON INTERPRÉTATION
Séminaire VI
1er juillet 1959
Nous arrivons à la fin de cette année que
j'ai consacrée, à mes risques et périls tout autant
qu'aux vôtres, à cette question du désir et de son interprétation.
Vous avez pu voir en effet que c'est sur la question de
la place du désir dans l'économie de l'expérience analytique
que je suis resté sans en bouger parce que je pense que c'est de là
que doit partir toute interprétation particulière d'aucun désir.
Cela n'a pas été, cette place, facile
à cerner. C'est pourquoi aujourd'hui je voudrais simplement, en un
mot de conclusion, vous indiquer les grands termes, les points cardinaux
par rapport auxquels se situe ce que nous sommes arrivés cette année,
j'espère, à vous faire sentir de l'importance de la précision
à donner à cette fonction du désir comme tel.
Vous le savez, la moindre expérience que vous pouvez
avoir des travaux analytiques modernes, et spécialement de ce qui
est constitué par exemple par une observation d'analyse, vous montrera
comme trait constant - je parle d'une observation quelconque qu'on se plait
à communiquer - au moment analytique que nous vivons, et qui commence
déjà il y a une vingtaine d'années - ce sont des cas
qu'on appelle par rapport aux névroses typiques de l'ancienne littérature,
des caractères névrotiques, des cas limites quant à
la névrose. Qu'est-ce que nous rencontrons dans le mode d'abord du
sujet ?
J'en ai lu un certain nombre ces derniers temps, histoire
de faire le point, où en est la cogitation analytique concernant ce
qui fait l'essentiel du progrès impliqué par l'expérience
. Eh bien en gros, on peut dire qu'avec une surprenante constance, l'état
actuel des choses - c'est-à-dire au moment d'analyse où nous
sommes - est dominé de quelque côté qu'elle prenne
ses mots d'ordre, par la relation d'objet. Elle converge vers la relation
d'objet.
Ce qui, sous cette rubrique, se rattache à
l'expérience kleinienne se présente, après tout, plus
comme un symptôme que comme un centre de diffusion. Je veux dire une
zone où a été particulièrement approfondi tout
ce qui s'y rapporte. Mais foncièrement l'un quelconque des autres
centres d'organisation de la pensée analytique qui structurent la
recherche n'en est pas tellement foncièrement éloigné.
Car la relation d'objet vient à dominer toute la conception que nous
nous faisons du progrès de l'analyse.
Ce n'est pas là une observation qui soit des moins
frappantes de celles qui s'offrent à nous en cette occasion. Néanmoins
dans le concret d'une observation rapportée aux fins d'illustration
d'une structure quelconque auquel se situe le champ de notre objet nosologique,
l'analyse paraît se poursuivre pendant un certain temps sur une ligne
de ce que l'on pourrait appeler de normativation moralisante.
Je ne dis pas que c'est dans ce sens que se passent directement
les interventions de l'analyste. C'est selon le cas . Mais c'est dans cette
perspective que l'analyste lui-même prend ses repères. La façon
même dont il articule les particularités de la position du sujet
par rapport à ce qui l'entoure, à cet objet, seront toujours
ceux d'une appréciation de cette appréhension de l'objet par
le sujet qu'il a en analyse . Et les déficiences de cette appréhension
de l'objet en fonction d'une normale supposée de cette approche de
l'autre comme tel, où en somme, il nous sera montré que l'esprit
de l'analyste s'arrête essentiellement sur les dégradations
de cette dimension de l'autre qui en somme est repéré comme
étant à tout instant méconnu, oublié, déchu
dans le sujet de sa propre condition de sujet autonome indépendant
de l'autre pur, de l'autre absolu. C'est tout .
C'est un repérage qui en vaut un autre ; pour ce
qui y est pris essentiellement, qui est d'accorder dans toute vie pléniaire
[ ne plus nier ] cette appréciation de l'autre dans son autonomie,
son relief.
Ce qui est frappant ce n'est pas tellement cela pourtant
avec tous les présupposés culturels que cela implique. C'est
un ralliement implicite à ce qu'on peut appeler un système
de valeurs qui pour être implicite n'en est pas moins là présent.
Ce qui est frappant c'est si l'on peut dire, la précipitation d'un
certain tournant qui est qu'après avoir avec le sujet longuement élaboré
les insuffisances de son appréhension affective quant à l'autre,
nous voyons en général, soit que cela traduise directement
je ne sais quel tournant de l'analyse concrète, soit simplement que
ce soit par une sorte de hâte à résumer ce qui paraît
à l'analyste les derniers termes de l'expérience, nous voyons
toute une articulation essentiellement moralisante de l'observation tomber
en quelque sorte brusquement à une sorte d'étage inférieur,
et trouver ce dernier terme de référence dans une série
d'identifications extrêmement primitives, celles qui, de quelque façon
qu'on les intitule se rapprochent toujours plus ou moins de cette notion
des bons et des mauvais objets, internes, introjectés, internalisés
ou externes, externalisés, projetés.
Il y a toujours quelque penchant kleinien dans cette référence
aux expériences d'identification primordiale. Et le fait que ce soit
masqué dans d'autres occasions par la mise en valeur des derniers
ressorts auxquels sont attribuées les fixations, qu'on les appelle
à cette occasion dans des termes plus anciens, dans des termes de
référence instinctuelle, dans des rapports par exemple à
un sadisme oral comme ayant profondément infléchi la relation
oedipienne, et que le sujet motive en dernier ressort cet accident du drame
œdipien, l'identification oedipienne, c'est toujours à quelque chose
du même ordre qu'il s'agit de se référer au dernier terme.
C'est à savoir ces identifications dernières où nous
rapportons en somme tout le développement du drame subjectif, que
ce soit dans la névrose, voire dans les perversions ; c'est à
savoir ces identifications qui laissent dans une ambiguïté profonde
la notion même de la subjectivité.
Le sujet y apparaît essentiellement comme identification
à ce qu'il peut considérer comme étant de lui-même,
plus ou moins, et la thérapeutique se présente comme un réarrangement
de ces identifications au cours d'une expérience [ . . . . ] qui prend
son principe dans une référence à la réalité,
dans ce que le sujet a en somme à accepter ou à refuser de
lui-même, dans quelque chose qui dès lors prend un aspect qui
peut sembler être extrêmement hasardeux pour ce qu'en fin de
compte cette référence à la réalité n'est
rien d'autre qu'une réalité. Et la réalité supposée
par l'analyste en fin de compte, qui revient sous une forme encore plus implicite
cette fois, encore plus masquée cette fois, peut être tout à
fait scabreuse, [ et ] surtout impliquer une normativité idéale
qui est à proprement parler celle des idéaux de l'analyste
comme étant la mesure dernière à quoi est sollicité
de se rallier la conclusion du sujet qui est une conclusion identificatoire
.
Je suis en fin de compte ce que je reconnais être en moi,
le bon et le bien, j'aspire à me conformer à une normativité
idéale qui pour cachée, pour implicite qu'elle soit est quand
même celle qu'après tant de détours je reconnais pour
m'être désignée.
Par une subtile, plus subtile qu'une autre, mais en fin
de compte non différente, action suggestive, se trouve être
ici dans ce rapport, l'action, l'interaction analysée . .
Ce que je m'efforce d'indiquer ici dans ce discours que
j'ai poursuivi devant vous cette année, c'est en quoi cette expérience,
pour s'être ainsi organisée par une sorte de glissement progressif
à partir de l'indication freudienne primordiale, est une expérience
qui recèle en elle de façon de plus en plus masquée
la question qui je crois est la question essentielle sans laquelle il n'y
a pas de juste appréciation de notre action analytique, et qui est
celle de la place du désir.
Le désir, tel que nous l'articulons, a cet effet de ramener
au premier plan de notre intérêt, d'une façon elle non
ambiguë, mais vraiment cruciale, la notion de ce à quoi nous
avons affaire qui est d'une subjectivité. Le désir est-il ou
non subjectivité ?
Cette question n'a pas attendu l'analyse pour être
posée. Elle est là depuis toujours, depuis l'origine de ce
qu'on peut appeler l'expérience morale. Le désir est à
la fois subjectivité, il est ce qui est au cœur même de notre
subjectivité, ce qui est le plus essentiellement sujet, il est en
même temps quelque chose qui est aussi le plus contraire, qui s'y oppose
comme une résistance, comme un paradoxe, comme un noyau rejeté,
comme un noyau réfutable. C'est à partir de là - j'y
ai insisté plusieurs fois - que toute l'expérience éthique
s'est développée dans une perspective au terme de laquelle
nous avons la formule énigmatique de Spinoza que Le désir,
cupiditas, est l'essence même de l'homme ( SPINOZA, Op.
cit ) .
Enigmatique pour autant que sa formule laisse ouverte
ceci : si ce qu'il définit est bien 1) ce que nous désirons,
2) ou ce qui est désirable, il laisse ouverte la question de savoir
3) si cela ou non se confond. Même dans l'analyse, la distance entre
ce qui est désiré et ce qui est désirable est pleinement
ouverte. C'est à partir de là que l'expérience analytique
s'instaure et s'articule. Le désir n'est pas simplement exilé,
repoussé au niveau de l'action et du principe de notre servitude ;
ce qu'il est jusque-là ? Il est interrogé comme étant
la clef même, ou le ressort en nous, de toute une série d'actions
et de comportements qui sont compris comme représentant le plus profond
de notre vérité. Et c'est là le point maximum, le point
d'acmé d'où à chaque instant l'expérience tend
à redescendre.
Est-ce à dire, comme on a pu le croire pendant
longtemps, que ce désir dont il s'agit est pur et simple recours à
un jaillissement vital ? Il est bien clair qu'il n'en est rien puisque dès
le premier épellement de notre expérience, ce que nous voyons,
c'est qu'à mesure même que nous approfondissons ce désir
nous le voyons moins se confondre avec cet élan pur et simple. Il
se décompose, il se désarticule en quelque chose qui se présente
comme toujours plus distant d'un rapport harmonique. Nul désir ne
nous apparaît dans la remontée régressive que constitue
l'expérience analytique ; plus il nous apparaît comme un élément
problématique, dispersé, polymorphe, contradictoire et, pour
tout dire, bien loin de toute coaptation orientée.
C'est donc à cette expérience du désir
qu'il s'agit de nous référer comme à quelque chose que
nous ne saurions quitter sans l'approfondir, au point que nous ne puissions
donner quelque chose qui nous fixe sur son sens, qui nous évite de
nous détourner de ce qu'il y a là d'absolument original, d'absolument
irréductible. Tout bien sûr, dans la façon dont je l'ai
dit, s'articule, l'expérience analytique, est fait, ce sens du désir,
pour nous le voiler.
Ce dégagement des voies vers l'objet dans l'expérience
de transfert nous montre en quelque sorte que le négatif de ce dont
il s'agit, l'expérience de transfert, si nous la définissons
comme une expérience de répétition obtenue par une régression
elle-même dépendante d'une frustration, laisse de côté
le rapport fondamental de cette frustration à la demande. Il n'y en
a pourtant pas d'autre dans l'analyse. Et seule cette façon d'articuler
les termes nous permettra de voir que la demande régresse parce que
la demande élaborée, telle qu'elle se présente, dans
l'analyse, reste sans réponse.
Mais d'ores et déjà une analyse, par une
voie détournée, s'engage dans la réponse pour guider
l'analysé vers l'objet d'où il sort . De toutes sortes d'incroyables
idées dont un des exemples que j'ai eu à critiquer bien des
fois est constitué par ce réglage de la distance dont j'ai
parlé parce que peut-être il joue plus un rôle ici dans
le contexte français, ce réglage de la distance de l'objet,
qui si je puis dire, à soi tout seul montre assez dans quelle sorte
d'impasse contradictoire s'engage, dans une certaine voie, l'analyse quand
elle se centre étroitement sur la relation d'objet, pour autant qu'assurément
tout rapport quel qu'il soit, de quelque façon que nous devions en
supposer la normale, semble bien présupposer le maintien, quoi qu'on
en dise, d'une certaine distance, et qu'à vrai dire nous pouvons reconnaître
là une espèce d'application courte, et à la vérité
prise à contre sens de quelques considérations sur la relation
du stade du miroir, sur le rapport narcissique en tant que tel, qui ont constitué
chez des auteurs qui ont mis au premier plan la référence de
l'action analytique, qui leur a servi de bagage théorique à
une époque où ils n'ont pas pu en situer la place dans des
références plus larges . . . En fait toute espèce de
référence de l'expérience analytique a quelque chose
qui, au dernier terme s'appuierait sur la prétendue réalité,
de l'expérience analytique prise comme mesure, comme étalon
de ce qu'il s'agit de réduire dans la relation transférentielle;
tout ce qui aussi mettra dans la place complémentaire de cette action
de réduction analytique une plus ou moins poussée, plus ou
moins analysée, plus ou moins critiquée, distorsion du moi
avec la notion de cette [ distance ? ] .
En référence à cette distorsion du
moi, en référence à ce qui subsiste dans ce moi de possible
allié de la réduction de l'analyse à une réalité,
tout ce qui s'organise dans ces termes ne fait que restaurer cette séparation
du médecin et du malade sur quoi est fondée toute une nosographie
classique, ce qui en soi n'est nullement une objection, mais aussi l'inopérance
d'une thérapeutique subjective qui est celle de la psychothérapie
pré-analytique se livrant si l'on peut direà la norme omnipotente
du jugement du médecin ce dont il s'agit dans l'expérience
du patient, faisant du rapport du médecin au patient ceci : à
savoir la soumettant à une structuration subjective qui est celle
d'un semblable assurément, mais d'un semblable engagé dans
l'erreur, avec tout ce que ceci comporte de distance précisément,
et de méconnaissance impossible à réduire.
Ce que l'analyse instaure est une structuration intersubjective
qui se distingue strictement de la précédente en ceci que quelque
qu'éloigné que puisse être le sujet, patient, de nos
normes - et ceci jusqu'aux limites de la psychose, de la folie , nous le
supposons non pas comme ce semblable auquel nous sommes liés par des
liens de charité, de respect de notre image.
Sans doute est-ce là une relation qui a son fondement
quant à ce quelque chose qui constitue un progrès, assurément,
qui a constitué un progrès et un progrès historique
dans la façon de se comporter vis-à-vis du malade mental. Mais
le pas qui ressort, décisif, instauré par l'analyse, est ce
que nous le considérons essentiellement de sa nature, dans son rapport
avec lui, comme un sujet parlant, c'est-à-dire comme tel pris alors
exactement comme nous quelle que soit sa position dans les conséquences
et les risques d'un rapport à la ( psychose ? / l'aphanisis ? ] .
Ceci suffit à changer du tout au tout nos rapports
à ce sujet, passif dans l'analyse . Car à partir de ceci, le
désir se situe au-delà du sentiment d'une poussée obscure
et radicale comme telle, car si nous considérons cette poussée,
la pulsion, le cri, cette poussée pour nous ne vaut , n'existe, n'est
définie, n'est articulée par Freud que comme prise dans une
séquence temporelle d'une nature spéciale, cette séquence
que nous appelons la chaîne signifiante et dont les propriétés,
les incidences sur tout ce à quoi nous avons affaire comme poussée,
comme pulsion, est que cette poussée elle l'a déconnecte essentiellement
de tout ce qui la définit, et la situe comme vitale ; elle la rend
essentiellement séparable de tout ce qui l'assure dans sa consistance
vivante.
Elle rend possible, comme l'articule dès le départ
la théorie freudienne, que la poussée soit séparée
de sa source même, de son objet, de sa tendance si l'on peut dire.
Elle-même elle est séparée d'elle-même puisqu'elle
elle est essentiellement reconnaissable dans cette tendance même qu'elle
est sous une forme inverse.
Elle est primitivement, primordialement décomposable,
décomposée pour tout dire en une décomposition signifiante.
Le désir n'est pas cette séquence, il est
un repérage du sujet par rapport à cette séquence où
il se reflète dans la dimension du désir de l'autre ( l'Autre
) . Prenons un exemple . Prenons-le sous la forme la plus primitive de ce
qui nous est offert par l'expérience analytique, le rapport du sujet
avec le nouveau venu dans la constellation familiale ; ce que nous appelons
une agression dans cette occasion n'est pas une agression, c'est un souhait
de mort, c'est-à-dire, si inconscient que nous le supposions, c'est
quelque chose qui s'articule : qu'il meure.
Et c'est quelque chose qui ne se conçoit que dans
le registre de l'articulation, c'est-à-dire là où les
signifiants existent. C'est pour autant que c'est en termes signifiants,
si primitifs que nous les supposions, de l'agression vis-à-vis du
semblable rival que l'agression du semblable rival s'articule. [ Chez les
animaux ] le petit semblable se livre à des agressions, et mordille,
les pousse, voire les rejette hors de l'enceinte où ils peuvent accéder
à leur nourriture.
Le passage de la rivalité primitive dans l'inconscient
est lié au fait que quelque chose de si rudimentaire que nous le supposions
s'articule qui n'est pas essentiellement différent de par sa nature
de l'articulation parlée : qu'il meure . Et c'est pour cela
que ce qu'il meure veut rester par en dessous du qu'il est beau
ou du je l'aime qui est l'autre discours qui se superpose au précédent.
C'est dans l'intervalle de ces deux discours que se situe
ce à quoi nous avons affaire comme désir, c'est dans l'intervalle
que se constitue, si vous voulez, ce que la dialectique kleinienne a articulé
comme étant le mauvais objet, et dont nous voyons comment peuvent
venir converger la pulsion rejetée d'une part, de l'objet introjecté
dans une ambiguïté pareille.
Néanmoins c'est de la façon dont se structure
ce rapport dans l'intervalle, cette fonction imaginaire en tant qu'elle est
appendue, qu'elle attient aux deux chaînes de discours, la chaîne
refoulée et la chaîne patente patente ( manifeste ) , c'est
ici que nous sommes appelés essentiellement à préciser
ce qu'il convient de soulever dans l'articulation pour savoir à quel
niveau se situe le désir.
Le désir, vous avez pu à telle ou telle
occasion penser, suggérer, que j'en donne ici une conception phallocentrique.
Bien sûr il est tout à fait évident que le phallus y
joue un rôle absolument essentiel, mais comment véritablement
comprendre cette fonction du phallus si ce n'est à l'intérieur
des repères ontologiques qui sont ceux qu'ici nous essayons d'introduire
.
Le phallus, comment concevoir l'usage qu'en fait Mme Mélanie
Klein ? Je veux dire au niveau le plus premier, le plus archaïque de
l'expérience de l'enfant . C'est à savoir au moment où
l'enfant pris dans telles ou telles difficultés du développement
qui peuvent être à l'occasion sévères . Au premier
tournant Mme. Mélanie Klein lui interprétera ce petit jouet
qu'il manipule et qu'il va faire toucher tel autre élément
de la partie du jeu avec lequel l'expérience s'instaure, en lui disant
ceci est le pénis de papa.
Il est de fait que n'importe qui ne peut pas ( ne pas
) rester, au moins s'il vient du dehors, dans une telle expérience,
quelque peu interloqué par la hardiesse parfaitement brutale de l'intervention.
Mais plus encore par le fait qu'en fin de compte cela prend . Je veux dire
que le sujet qui peut dans certains cas sûrement résister -
mais s'il résiste, c'est bien assurément comme Mélanie
Klein n'en doute pas elle-même que quelque chose est là en jeu
dont il n'y a nullement lieu de désespérer quant à la
compréhension future - et Dieu sait si elle se permet à l'occasion,
( on m'a rapporté des expériences, toutes vues du dehors, mais
rapportées d'une façon très fidèle ) d'insister.
Il est clair que le symbole phallique entre dans le jeu à cette période
ultra-précoce comme si le sujet n'attendait que cela.
Que Mme Mélanieà l'occasion justifie ce
phallus comme étant le modèle d'un simple [ mamelon ] plus
maniable et plus commode, nous pouvons voir là comme une singulière
pétition de principe.
Ce qui dans notre registre, dans notre vocabulaire reste,
et justifie une pareille intervention, ne peut s'exprimer qu'en ces termes
: c'est que le sujet n'accepte, en tout cas c'est manifeste, cet objet dont
il n'a dans la plupart des cas que l'expérience la plus indirecte,
que comme signifiant : et que c'est comme signifiant que l'incidence de ce
phallus se justifie de la façon la plus claire. Si le sujet le prend
pour tel à l'âge où il est, peut-être la question
reste indiscernable. Mais assurément si Mélanie Klein le prend,
cet objet, qu'elle le sache ou qu'elle ne le sache pas, c'est parce qu'elle
n'en a pas de meilleur comme signifiant du désir en tant qu'il est
désir du désir de l'autre ( l'Autre ).
S'il y a quelque chose que le phallus signifie - je veux
dire lui dans la position du signifiant - c'est justement cela : c'est le
désir du désir de l'autre ( l'Autre ). Et c'est pour cela qu'il
va prendre sa place privilégiée au niveau de l'objet.
Mais je crois que bien loin de nous en tenir à
cette position phallocentrique, comme ceux-ci s'expriment ceux qui s'en tiennent
à l'apparence de ce que je suis en train d'articuler, ceci nous permet
de voir où est le véritable problème. Le véritable
problème est celui-ci : c'est que l'objet auquel nous avons affaire
depuis l'origine, concernant le désir, loin d'être à
aucun degré cet objet préformé, cet objet de la satisfaction
instinctuelle, cet objet destiné à satisfaire dans je ne sais
quelle préformation vitale le sujet comme son complément instinctuel,
l'objet du désir n'est absolument pas distinct de ceci : il est le
signifiant du désir du désir.
L'objet comme tel, l'objet a, si vous voulez, du graphe,
c'est comme tel le désir de l'autre ( l'Autre ) en tant dirais-je
qu'il parvient - si le mot a un sens - à la connaissance d'un sujet
inconscient . C'est-à-dire qu'il est, bien sûr, par rapport
à ce sujet, dans la position contradictoire : la connaissance d'un
sujet inconscient . Ce qui n'est point impensable mais c'est quelque chose
d'ouvert.
Ceci veut dire que, s'il parvient à quelque chose
du sujet inconscient, il y parvient en tant qu'il est vœu de le reconnaître,
qu'il est signifiant de sa reconnaissance. Et c'est cela que cela veut dire
. C'est que le désir n'a pas d'autre objet que le signifiant de sa
reconnaissance. Le caractère de l'objet en tant qu'il est l'objet
du désir, nous devons donc aller le chercher là où l'expérience
humaine nous le désigne, nous l'indique sous sa forme la plus paradoxale,
j'ai nommé ce que nous appelons communément le fétiche,
ce quelque chose qui est toujours plus ou moins implicite dans tout ce qui
fait communément les objets d'échanges interhumains mais là
sans doute masqué par le caractère régulier, ou régularisé
de ces échanges.
On a parlé du côté fétiche
de la marchandise, et après tout il n'y a pas là quelque chose
qui soit simplement un fait d'homophonie, je veux dire d'homophonie ( ? )
. Il y a bien une communauté de sens dans l'emploi du mot fétiche,
mais pour nous ce qui doit mettre au premier plan l'accent que nous devons
conserver concernant l'objet du désir, c'est ce quelque chose qui
le définit d'abord et avant tout comme étant emprunté
au matériel signifiant.
J'ai vu le Diable l'autre nuit, dit quelque part
Paul-Jean Toulet, et dessous sa pelure il dépassait ses deux
. . . ( " . . . Il n'est pas aisé de conclure s'il faut dire : elle,
ou : lui " , in Les Contrerimes, Paris 1921, Gallimard-Poésie,
p. 62. " ) .
Cela se termine par ils ne tombent pas tous d'une
fois les fruits de la Science. Eh bien qu'ils ne tombent pas tous aussi
pour nous à cette occasion, et que nous nous apercevions que ce qui
importe n'est pas tellement ces fruits cachés que le mirage présente
au désir, que précisément la pelure, le fétiche
se caractérise en ceci qu'il est la pelure, le bord, la frange, la
fanfre-luche, la chose qui cache, la chose qui tient précisément
en ceci que rien n'est plus désigné pour la fonction de signifiant
de ce dont il s'agit, à savoir du désir de l'autre ( l'Autre
). C'est-à-dire ce à quoi a affaire l'enfant primitivement,
dans son rapport au sujet de la demande, c'est à savoir ce qu'il est
en dehors de la demande ce désir de la mère que comme tel il
ne peut déchiffrer, sinon dans la façon la plus virtuelle à
travers ce signifiant que nous analystes, quoique nous fassions dans notre
discours nous rapporterons à cette commune mesure, à ce point
central de la partie signifiante qu'est à l'occasion le phallus car
il n'est rien d'autre que ce signifiant du désir du désir.
Le désir n'a pas d'autre objet que le signifiant
de sa reconnaissance. Et c'est dans ce sens qu'il nous permet de concevoir
ce qui se passe, ce dont nous sommes nous-mêmes les dupes quand nous
nous apercevons que dans ce rapport sujet-objet, au niveau du désir,
le sujet est passé de l'autre côté. Il est passé
au niveau du a, pour autant justement qu'à ce dernier terme, il n'est
plus lui-même que le signifiant de cette reconnaissance, il n'est plus
que le signifiant du désir du désir.
Mais justement ce qu'il importe de maintenir c'est l'opposition
à partir duquelle cet échange s'opère, à savoir
le groupement en face de a d'un sujet sans aucun doute imaginaire,
mais au sens le plus radical, en ce sens qu'il est le pur sujet de la déconnexion,
de la coupure parlée, en tant que la coupure est la scansion essentielle
où s'édifie la parole. Le groupement dis-je de ce sujet avec
un signifiant qui est quoi ? Qui n'est rien d'autre que le signifiant de
l'être à quoi est confronté le sujet en tant que cet
être est lui-même marqué par le signifiant.
C'est-à-dire que le a, l'objet du désir,
dans sa nature est un résidu, est un reste. Il est le résidu
que laisse l'être auquel le sujet parlant est confronté comme
tel à toute demande possible. Et c'est par là que l'objet rejoint
le réel. C'est par là qu'il y participe. Je dis le réel,
et non pas la réalité, car la réalité est constituée
par tous licols que le symbolisme humain, de façon plus ou moins perspicace,
passe au ( cou ) du réel en tant qu'il en fait les objets de son expérience.
Remarquons, le propre des objets de l'expérience,
c'est précisément de laisser de quelque côté,
comme dirait M. de la Palisse, tout ce qui dans l'objet y échappe.
C'est pour cela que contrairement à ce qu'on croit, l'expérience
- la prétendue expérience - est à double tranchant.
C'est à savoir que quand vous vous fixez sur l'expérience pour
résoudre une situation historique par exemple, les chances sont tout
aussi grandes d'erreur et de faute grave que du contraire, pour la très
simple raison que par définition, si vous vous fixez sur l'expérience,
c'est justement par là que vous méconnaissez l'élément
nouveau qu'il y a dans la situation.
L'objet dont il s'agit, pour autant qu'il rejoint le réel,
y participe en ceci que le réel s'y présente justement comme
ce qui résiste à la demande, ce que j'appellerai l'inexorable.
L'objet du désir est l'inexorable comme tel, et
si il rejoint le réel, ce réel auquel j'ai fait allusion au
moment où nous faisions l'analyse de Schreber, c'est sous cette forme
du réel qu'il incarne le mieux cet inexorable, cette forme du réel
qui se présente en ceci qu'il revient toujours à la même
place. Et c'est pour cela que nous en avons vu le prototype dans les astres
curieusement.
Comment expliquerait-on autrement la présence à
l'origine de l'expérience culturelle de cet intérêt pour
l'objet vraiment le moins intéressant qui existe pour quoi que ce
soit de vital, c'est à savoir les étoiles. La culture et la
position du sujet comme tel dans le domaine du désir, pour autant
que ce désir s'instaure, s'instituent foncièrement dans la
structure symbolique comme telle. Ceci s'explique par ceci que de toute la
réalité, c'est le plus purement réel qui soit à
partir d'une seule condition, c'est que le berger dans sa solitude, celui
qui le premier commence à observer ceci qui n'a là d'autre
intérêt que d'être repéré comme revenant
toujours à la même place, il le repère par rapport à
ce avec quoi il s'institue radicalement comme objet, par rapport à
une forme aussi primitive que vous pouvez la supposer de fente qui permette
de le repérer quand il revient à cette même place.
Voici donc où nous en arrivons : c'est à
poser ceci que l'objet du désir est à définir foncièrement
comme signifiant. Comme signifiant d'un rapport qui lui-même est un
rapport en quelque sorte indéfiniment répercuté. Le
désir, s'il est le désir du désir de l'autre ( l'Autre
), s'ouvre sur l'énigme de ce qu'est le désir de l'autre (
l'Autre ) comme tel. Le désir de l'autre ( l'Autre ) comme tel est
articulé et structuré foncièrement dans le rapport du
sujet à la parole, c'est-à-dire dans la déconnexion
de tout ce qui est chez le sujet vitalement enraciné.
Ce désir, c'est le point central, le point pivot
de toute l'économie à laquelle nous avons affaire dans l'analyse.
À ne pas en montrer la fonction, nous sommes amenés nécessairement
à ne trouver de repères que dans ce qui est symbolisé
effectivement sous le terme de réalité, réalité
existante de contexte social. Et il semble dès lors que nous méconnaissions
une autre dimension en tant pourtant qu'elle est introduite dans notre expérience,
qu'elle est réintégrée dans l'expérience humaine,
et spécialement par le freudisme comme quelque chose d'absolument
essentiel.
Ici prennent leur valeur les faits sur lesquels je me
suis maintes fois appuyé de ce à quoi aboutit dans l'analyse
toute intervention qui tend à [ écraser ] l'expérience
transférentielle par rapport à ce qu'on appelle cette réalité
si simple, cette réalité actuelle de la séance
analytique, comme si cette réalité n'était pas l'artifice
même, à savoir la condition dans laquelle le plus normalement,
et pour cause car c'est ce que nous en attendons, doivent se produire de
la part du sujet tout ce que nous avons sans aucun doute à reprendre,
mais certainement pas à réduire à aucune réalité
qui soit immédiate. Et c'est pourquoi maintes fois j'ai insisté
sous différentes formes sur le caractère commun de ce qui se
produit chaque fois que les interventions de l'analyste, d'une façon
trop insistante, voire trop brutale, prétendent prouver dans cette
réactualisation d'une relation objectale considérée
comme typique dans la réalité de l'analyse, ce qui se produit
avec une constante dont je dois dire que si maintes observations en témoignent,
il ne semble pas que les analystes en aient toujours fait l'identification.
Quoi qu'il en soit, pour nous en tenir à quelque
chose qui a fait l'objet ici de notre critique, la fameuse observation qui
est dans le Bulletin des analystes belges auquel je me suis référé
une fois, je m'y réfère à nouveau pour autant que j'y
trouve un recoupement remarquable dans un des articles de Glover précisément
qui est celui autour duquel lui-même essaie déjà de poser
la fonction de la perversion en relation avec le système de la réalité
du sujet (LEBOVICI R., op. cit ).
On ne peut qu'être frappé de ceci : c'est
que si c'est pour autant que l'analyste femme, j'ai visé la première
observation puisque c'est elle qui en est l'auteur, à propos des phantasmes
( fantasmes ) du sujet, c'est-à-dire phantasmes ( fantasmes ) que
le sujet élabore de coucher avec elle . Elle lui répond textuellement
ceci : vous vous faites peur d'une chose dont vous savez que cela n'arrivera
jamais. Tel est le style dans lequel se présente l'intervention
analytique marquant à cette occasion quelque chose qu'il n'y a pas
lieu de qualifier concernant les motivations personnelles de l'analyste dans
cette occasion.
Sans aucun doute, elles sont justifiées pour lui
par quelque chose pour l'analyste. Et l'analyste était une analyste
qui a été contrôlée par quelqu'un qui est précisément
quelqu'un auquel j'ai déjà fait allusion dans mon discours
d'aujourd'hui, nommément concernant la thématique de la distance.
Il est clair que, quoi que ce soit que représente
une telle intervention de panique par rapport à l'analyste ( l'analyse
) , on essayera de la justifier dans une juste appréhension de ( la
réalité ), à savoir des rapports des objets en présence.
Il est certain que le rapport est décisif et que c'est immédiatement
après ce style d'intervention que se déclenche ce qui fait
l'objet de la communication, à savoir ce rejet, cette espèce
de surjet brutal chez le sujet - chez un sujet qui peut-être n'est
pas très bien qualifié au point de vue diagnostic, qui nous
a semblé assurément plus proche d'ébauches d'illusions
paranoïdes que vraiment de ce qu'on [ en ] a fait, c'est à savoir
d'une phobie . Ce sujet vient en effet absolument hanté par une honte
d'être trop grand, et il y a là toute une série de thèmes
proches de la dépersonnalisation auxquels on ne saurait donner trop
d'importance.
Ce qui est certain c'est que c'est une néo-formation,
c'est d'ailleurs l'objet de l'observation, ce n'est pas nous qui le disons,
de voir ce sujet se livrer à ce qu'on appelle la perversion transitoire,
c'est-à-dire se ruer vers le point géographique où il
a trouvé les circonstances particulièrement favorables à
l'observation à travers une fente des personnes, spécialement
féminines, dans un cinéma, alors qu'elles sont en train de
satisfaire leurs besoins urinaires.
Cet élément qui jusque-là n'avait
tenu aucune place dans la symptomatologie, ne nous paraît intéressant
que pour la raison qu'à la page 494 de l'International journal,
vol 14, octobre 1933, article 4, The relation of perversion formation
to the development of reality-sense, c'est-à-dire l'article de
Glover sur les fonctions de la perversion, en présence d'un sujet
très voisin du précédent - en ce sens que lui Glover
le diagnostique plutôt paranoïde, mais que nous le rattacherions
nous inversement assez volontiers à une phobie, Glover, en raison
d'interventions sans aucun doute analogues réalise, produit une mise
en scène analogue d'une explosion perverse transitoire et occasionnelle.
Il n'y a pas une différence essentielle entre ces
deux cas. Et ce sur quoi par exemple j'ai mis l'accent dans le discours sur
la Fonction de la parole et le champ du langage (Fonction et champ de
la parole et du langage en psychanalyse, prononcé en 1953, publié
dans La Psychanalyse, P.U.F., vol 1, 1956, repris dans Écrits.
En fait, le commentaire de l'article de Kris, Ego psychology and interpretation
in psychoanalytic therapy se trouve dans la Réponse au commentaire
de Jean Hyppolite, Écrits, p. 393-398. ) , c'est à
savoir l'intervention d'Ernest Kris [ auprès d'un patient ], concernant
sa crainte phobique du plagiat, qui explique qu'il n'est pas un plagiaire
du tout, moyennant quoi l'autre se rue au-dehors et demande un plat de cervelles
fraîches pour la plus grande joie de l'analyste qui y voit une réaction
vraiment significative à son intervention, mais dont nous pouvons
dire que, sous une forme atténuée, cela représente si
l'on peut dire la réaction, la réforme de la dimension propre
du sujet à chaque fois que l'intervention essaye de la réduire,
de la collapser, de la comprimer dans une pure et simple réduction
aux données qu'on appelle objectives, c'est-à-dire aux données
cohérentes avec les préjugés de l'analyste.
Si vous me permettez de terminer sur quelque chose qui
introduit la place dans laquelle nous, analystes, dans ce rapport au désir,
nous devons nous situer, c'est quelque chose qui assurément ne peut
aller, si nous ne nous faisons pas une certaine conception cohérente
de ce qui est justement notre fonction par rapport aux normes sociales -
ces normes sociales, s'il y a une expérience qui doit nous apprendre
combien elles sont problématiques combien elles doivent être
interrogées, combien leur détermination se situe ailleurs que
dans leur fonction d'adaptation, il semble que c'est celle de l'analyste.
Si dans cette expérience du sujet logique qui est
la nôtre nous découvrons cette dimension toujours latente mais
aussi toujours présente, qui se soutient sous toute relation intersubjective
et qui se trouve dans un rapport donc d'interaction, d'échange avec
tout ce qui de là se cristallise dans la structure sociale, nous devons
arriver à peu près à la conception suivante.
C'est que nous appellerons quelque chose culture - je
ne tiens pas à ce mot, j'y tiens même fort peu ; ce que je désigne
par là, c'est certaines histoires du sujet dans son rapport au logos
dont assurément l'instance a pu longtemps rester masquée au
cours de l'histoire, dont il est difficile de ne pas voir à l'époque
où nous vivons - c'est pour cela que le freudisme y existe - quelle
béance, quelle distance il représente par rapport à
une certaine inertie sociale.
Le rapport de ce qui passe entre la culture et la société
nous pouvons provisoirement le définir comme quelque chose qui s'exprimerait
assez bien dans un rapport d'entropie . Pour autant que quelque chose se
produit, de ce qui passe de la culture dans la société, qui
inclut toujours quelque fonction de désagrégation, ce qui se
présente dans la société comme culture, - autrement
dit pour autant qu'il soit à divers titres rentré dans un certain
nombre de conditions stables, elles aussi latentes, qui sont ce qu'on peut
appeler des conditions d'échanges à l'intérieur du troupeau,
- est quelque chose qui instaure un mouvement, une dialectique, laissant
ouverte la même béance à l'intérieur de laquelle
nous essayons de situer la fonction du désir ; c'est en ce sens que
nous pouvons qualifier ce qui se produit comme perversion comme étant
le reflet, la protestation au niveau du sujet logique de ce que le sujet
subit au niveau de l'identification, en tant que l'identification est le
rapport qui ordonne, qui instaure les normes de la stabilisation sociale
des différentes fonctions.
En ce sens nous ne pouvons pas ne pas faire le rapprochement
qu'il y a entre toute structure semblable à celle de la perversion
et ce que quelque part Freud, nommément dans l'article Névrose
et psychose, articule de la façon suivante : ( Spaltung
) Il est possible au moi d'éviter la rupture d'aucun côté
de ce qui se propose à ce moment-là alors à lui comme
conflit, comme distension . Il lui est possible pour autant qu'il laisse
tomber toute revendication à sa propre unité, et éventuellement
qu'il se schize, et se sépare. ( Névrose et psychose,
in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F. 1973, p.
286. Il sera possible au moi d'éviter la rupture de tel ou tel
côté en se déformant lui-même, en acceptant de
faire amende de son unité, éventuellement même en se
crevassant ou en se morcelant. ) C'est ainsi dit Freud dans un de ces
aperçus qui sont ce par quoi toujours ses textes, au regard de ceux
qui sont des textes plus communs de la littérature à laquelle
nous avons affaire dans l'analyse, sont spécialement illuminants,
C'est ainsi que nous pouvons nous apercevoir de la parenté
qu'il y a entre les perversions, ces perversions en tant qu'elles nous évitent
une répression, de leur parenté qu'il y a avec tous les
( citations en allemand ) " ( Inkonsequenzen, Verschrobenheiten und Narrheiten
der Menschen ) .
Il vise de la façon la plus claire, précisément,
tout ce qui dans le contexte social se présente comme paradoxe, inconséquence,
forme confusionnelle, et forme de folie, - le Narr c'est le fou, dans
ce qui constitue le texte de la vie sociale la plus commune et la plus ordinaire.
De sorte que nous pourrions dire que quelque chose s'instaure comme un circuit
tournant entre ce que nous pourrions appeler conformisme, ou formes conformes
socialement, activité dite culturelle - là l'expression devient
excellente pour définir tout ce qui de la culture se monnaie et s'aliène
dans la société - .
Ici, au niveau du sujet logique la perversion, pour autant
qu'elle représente par une série de dégradés
tout ce qui dans la conformisation se présente comme protestation
dans la dimension à proprement parler du désir en tant qu'il
est rapport du sujet à son être - c'est ici cette fameuse sublimation
dont nous commencerons peut-être à parler l'année prochaine,
car à la vérité c'est bien là la notion la plus
extrême, la plus justificatrice de tout ce que je suis en train d'essayer
d'avancer devant vous, et qui est celle que Freud a apportée, à
savoir cette sublimation.
Qu'est-ce que c'est en effet ? Qu'est-ce que peut être
la sublimation ? Qu'est-ce qu'elle peut être si nous pouvons avec Freud
la définir comme une activité sexuelle en tant qu'elle est
désexualisée ? Comment pouvons-nous même concevoir -
car là il ne s'agit plus ni de source, ni de direction de la tendance,
ni d'objet, il s'agit de la nature elle-même de ce qu'on appelle à
cette occasion l'énergie intéressée. Il vous suffira
je pense de lire l'article de Glover dans l'International Journal of Psycho-analysis
où il essaye d'aborder avec les soucis critiques qui sont les siens,
la notion de sublimation.
Qu'est-ce que cette notion si nous ne pouvons pas la définir
comme la forme même dans laquelle se coule le désir, puisque
ce qu'on vous indique c'est justement qu'elle peut se vider de la pulsion
sexuelle en tant que telle, ou plus exactement que la notion même de
pulsion loin de se confondre avec la substance de la relation sexuelle, c'est
cette forme même qu'elle est jeu du signifiant, que normalement elle
ne peut se réduire à ce pur jeu du signifiant ( que fondamentalement
elle peut se réduire à ce pur jeu du signifiant ) . Et c'est
bien aussi comme telle que nous pouvons définir la sublimation. C'est
ce quelque chose par quoi, comme je l'ai écrit quelque part, peuvent
s'équivaloir le désir et la lettre ; si pour autant ici nous
pouvons voir en un point aussi paradoxal que la perversion, c'est-à-dire
sous sa forme la plus générale ce qui dans l'être humain
résiste à toute normalisation, se produire ce discours, cette
apparente élaboration à vide que nous appelons sublimation,
qui est quelque chose qui dans sa nature, dans ses produits, est distinct
de la valorisation sociale qui lui est donnée ultérieurement
- ces difficultés qu'il y a à coller au terme de sublimation
la notion de valeur sociale sont particulièrement bien mises en valeur
dans cet article de Glover dont je vous parle . .
Sublimation comme telle, c'est-à-dire au niveau
du sujet logique, et ce où se déroule, où s'instaure,
où s'institue tout ce travail qui est à proprement parler le
travail créateur dans l'ordre du logos. Et c'est de là que
viennent plus ou moins s'insérer, plus ou moins au niveau social trouver
sa place, ce qu'on appelle activités culturelles, et toutes les incidences
et les risques qu'elle comporte, jusques et y compris le remaniement, voire
l'éclatement des conformismes antérieurement instaurés.
Et c'est dans le circuit fermé que constitueraient
ces quatre termes que nous pourrions au moins provisoirement indiquer quelque
chose qui doit pour nous laisser dans son plan propre, dans son plan animateur
ce dont il s'agit concernant le désir. Ici nous débouchons
sur le problème qui est le même, sur lequel je vous ai laissés
la dernière année à propos du Congrès de Royaumont
. (La direction de la cure et les principes de son pouvoir, Écrits,
p. 585. )
Ce désir du sujet, en tant que désir du
désir, il ouvre sur la coupure, sur l'être pur, ici manifesté
sous la forme de manque. Ce désir du désir de l'autre ( l'Autre
), c'est en fin de compte, auquel ( à quel ) désir qu'il va
( va-t-il ) s'affronter dans l'analyse, si ce n'est au désir de l'analyste
? C'est précisément ce pourquoi il est tellement nécessaire
que nous maintenions devant nous cette dimension sur la fonction du désir.
L'analyse n'est pas une simple reconstitution du passé, l'analyse
n'est pas non plus une réduction à des normes préformées,
l'analyse n'est pas un épos, l'analyse n'est pas un éthos,
si je la comparais à quelque chose, c'est à un récit
qui serait tel que le récit lui-même soit le lieu de la rencontre
dont il s'agit dans le récit.
Le problème de l'analyse est justement celui-ci
que le désir que le sujet a à rencontrer, qui est ce désir
de l'autre ( l'Autre ), notre désir, ce désir qui n'est que
bien trop présent dans ce que le sujet suppose que nous lui demandons,
ce désir se trouve dans cette situation paradoxale que ce désir
de l'autre ( l'Autre ) qu'est pour nous le désir du sujet, nous devons
le guider non pas vers notre désir, mais vers un autre. Nous mûrissons
le désir du sujet pour un autre que nous, nous nous trouvons dans
cette situation paradoxale d'être les entremetteurs, les accoucheurs,
ceux qui président à l'avènement du désir.
Comment cette situation peut-elle être tenue ? Elle
ne peut assurément être tenue que par le maintien d'un artifice
qui est celui de toute la règle analytique. Mais le dernier ressort
de cet artifice, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose qui nous permette de
saisir où peut se faire dans l'analyse cette ouverture sur la coupure
qui est celle sans laquelle nous ne pouvons pas penser la situation du désir
?
Comme toujours, c'est assurément à la fois
la vérité la plus triviale et la vérité la plus
cachée . L'essentiel dans l'analyse de cette situation où nous
nous trouvons être celui qui s'offre comme support à toutes
les demandes, et qui ne répond à aucune ; est-ce que c'est
seulement dans cette non-réponse qui est bien loin d'être une
non-réponse absolue que se trouve le ressort de notre présence
? Est-ce que nous ne devons pas faire une part essentielle à ce qui
se reproduit à la fin de chaque séance, mais à ce qui
est immanent à toute la situation elle-même pour autant que
notre désir doit se limiter à ce vide, à cette place
que nous laissons au désir pour qu'il s'y situe, à la coupure
? À la coupure qui est sans doute le mode le plus efficace de l'intervention,
et de l'interprétation analytique .
Et c'est pourquoi c'est une des choses sur laquelle
nous devrions le plus insister, que cette coupure que nous faisons mécanique,
que nous faisons limitée à un temps préfabriqué,
c'est tout à fait ailleurs non seulement que nous la mettons effectivement.
C'est une des méthodes les plus efficaces de notre intervention, c'est
aussi une de celles auxquelles nous devrions le plus nous appliquer. Mais
dans cette coupure il y a quelque chose, cette même chose que nous
avons appris à reconnaître sous la forme de cet objet phallique
latent à tout rapport de demande comme signifiant du désir.
J'aimerais pour terminer notre leçon de cette année,
et faire je ne sais quel rappel de ce qui inaugurera nos leçons de
l'année prochaine sous la forme d'une préleçon, conclure
par une phrase que je vous proposerai en énigme, et dont on verra
si vous êtes meilleurs dans le déchiffrage des contrepèteries
que je ne l'ai constaté au cours d'expériences faites sur des
gens ( légion ) de mes visiteurs. Un poète, Désiré
Viardot dans une revue à Bruxelles, vers 51-52, sous le titre de
Phantômas, a proposé cette petite énigme fermée
- nous allons voir si un cri de l'assistance va nous montrer tout de suite
la clé - : La femme a dans la peau un grain de fantaisie, ce
grain de fantaisie qui est assurément ce dont il s'agit en fin de
compte dans ce qui module et modèle, les rapports du sujet à
celui à qui il demande - quel qu'il soit, et sans doute ce n'est pas
rien qu'à l'horizon nous ayons trouvé le sujet qui contient
tout, la mère universelle, et que nous puissions à l'occasion
nous méprendre sur ce rapport du sujet au tour ( tout ) qui serait
ce qui vous serait livré par les archétypes analytiques.
Mais c'est bien d'autre chose qu'il s'agit. C'est de l'ouverture,
c'est de la béance sur ce quelque chose de radicalement nouveau qu'introduit
toute coupure de la parole. Ici ce n'est pas seulement de la femme que nous
avons à souhaiter ce grain de fantaisie ou ce grain de poésie,
c'est de l'analyse elle-même.
FIN
Versão Gagoa.