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Sigmund Freud
Le désir et son interprétation
Séminaire VI
Jacques Lacan
version rue CB
Seminaire XXIII
3 juin 1959
( p681-707 )
(p681->) Je continue ma tentative d'articuler pour
vous ce qui doit régler notre action dans l'analyse en tant que nous
avons affaire, dans le sujet, à l'inconscient. Je sais que ce n'est
pas là chose facile et, aussi bien, je ne me permets pas tout dans
la sorte de formulation à laquelle j'aimerais vous amener. Il arrive
que mes détours soient liés au sentiment que j'ai du besoin
de vous rendre sensible la démarche dont il s'agit . Il n'est pas
forcé que pour autant je réussisse toujours à ce que
vous ne perdiez pas le sens de la route.
Néanmoins je vous demande de me suivre, de me faire
confiance. Et pour repartir du point où nous étions la dernière
fois j'articule plus simplement ce que j'ai - évidemment non sans
précautions, non sans efforts pour éviter les ambiguïtés
- formulé en mettant au premier plan le terme de l'être.
Et pour procéder à coups de marteaux, je
me demande, si hasardeuse que puisse vous sembler pareille formule, la restitution,
la réintégration dans nos concepts quotidiens de termes si
gros que depuis des siècles on n'ose plus y toucher qu'avec une sorte
de tremblement respectueux - je veux parler de l'Etre et de l'Un - . . .
disons - bien entendu, c'est à leur emploi de faire la preuve de leur
cohérence - que ce que j'appelle l'être, et que jusqu'à
un certain point j'ai été jusqu'à qualifier la dernière
fois d`être pur, à un certain niveau de son émergence,
c'est quelque chose qui correspond aux termes selon lesquels nous nous repérons
nommément du réel et du symbolique. Et qu'ici l'être
c'est tout simplement ceci que nous ne sommes pas des (p682->) idéalistes,
que pour nous, comme on dit dans les livres de philosophie, nous sommes de
ceux qui pensons que l'être est antérieur à la pensée,
mais que pour nous repérer il nous faut rien moins que cela, ici dans
notre travail d'analyste.
Je regrette d'avoir à remuer pour vous le ciel
de la philosophie, mais je dois dire que je ne le fais que contraint et forcé,
et après tout que parce que je ne trouve rien de mieux pour opérer.
L'être, nous dirons donc que c'est proprement le
réel en tant qu'il se manifeste au niveau du symbolique . Mais entendons
bien que c'est au niveau du symbolique. En tout cas pour nous, nous n'avons
pas à la considérer ailleurs cette chose qui paraît toute
simple - de ceci qu'il y a quelque chose d'ajouté quand nous disons
il est ça, et que ceci vise le réel, et pour autant que le
réel est affirmé ou rejeté ou dénié dans
le symbolique.
Cet être il n'est nulle part ailleurs - que ceci
soit bien entendu ! - que dans les intervalles, dans les coupures et là
où à proprement parler il est le moins signifiant des signifiants,
à savoir la coupure. Qu'il est la même chose que la coupure
le présentifie dans le symbolique. Et nous parlons d'être pur.
Je vais le dire plus brutalement puisque la dernière fois il semble
- et je veux l'admettre bien volontiers - que certaines formules que j'ai
avancées ont paru circonlocutoires, ou voire confuses à certains.
L'être pur dont il s'agit, c'est ce même être dont je viens
de donner la définition générale, et ceci pour autant
que sous le nom d'inconscient, le ( de ) symbolique, une chaîne signifiante
subsiste selon une formule que vous me permettrez d'avancer, tout sujet est
un.
(p683->) Ici il faut que je vous demande de l'indulgence,
à savoir de me suivre. Ce qui veut dire simplement que vous ne vous
imaginiez pas que ce que j'avance là est quelque chose que j'avance
avec moins de précaution que j'ai avancé l'être. Je vous
demande de me faire le crédit qu'avant de vous parler je me suis déjà
aperçu que ce que je vais maintenant avancer, à savoir l'Un,
n'est pas une notion univoque, et que les dictionnaires de philosophie vous
diront qu'il y a plus d'un emploi de ce terme, à savoir que l'Un,
ce qui est le tout, ne se confond pas en tous ses emplois, en tous ses usages,
avec l'un en nombre, c'est-à-dire l'un qui suppose la succession et
l'ordre des nombres qui s'y dégage comme tel. Car il semble bien,
en effet, selon toute apparence, que cet Un il soit secondaire à l'institution
du nombre comme tel, et que pour une déduction correcte - en tout
cas les approches empiriques elles ne laissent là-dessus aucun doute
( la psychologie anglaise essaye d'instaurer l'entrée empirique du
nombre dans notre expérience ; et ce n'est pas pour rien que je me
réfère ici à la tentative d'argumentation la plus au
ras de terre ) . . . Je vous ai déjà fait remarquer qu'il est
impossible de structurer l'expérience humaine, je veux dire cette
expérience affective la plus commune, sans partir de ce fait que l'être
humain compte, et qu'il se compte.
Je dirai, d'une façon abrégée - car
il faut, pour aller plus loin, que je suppose acquis par un certain temps
de réflexion ce que j'ai déjà dit - que le désir
est étroitement lié à ce qui se passe pour (p684->)
autant que l'être humain a à s'articuler dans le signifiant,
et qu'en tant qu'être c'est dans les intervalles qu'il apparaît
à un niveau que nous essayerons peut-être, un peu plus loin,
d'articuler d'une façon que là délibérément
je vais faire plus ambiguë que celle de l'Un telle que je viens de l'introduire,
puisque elle je ne pense pas qu'on ait encore essayé de bien l'articuler
comme telle dans son ambiguïté même. C'est la notion du
Pas un.
C'est en tant que ce S ( $ ) apparaît ici comme
ce Pas un, que nous allons reprendre et revoir, que nous allons avoir affaire
à lui aujourd'hui.
Mais reprenons les choses au niveau de l'expérience
. Je veux dire ici au niveau du désir. Si le désir joue ce
rôle de servir d'index au sujet au point où il ne peut se désigner
sans s'évanouir, nous dirons qu'au niveau du désir le sujet
se compte . Il se compte, pour jouer sur les ambiguïtés, sur
la langue, c'est là d'abord que je veux attirer votre attention :
je veux dire sur le penchant que nous avons toujours d'oublier ce à
quoi nous avons affaire dans l'expérience, celle de nos patients,
ceux dont nous avons l'audace de nous charger ; et c'est pourquoi je vous
rapporte à vous-mêmes. Dans le désir, nous nous comptons
comptant.
C'est là que le sujet apparaît comptant,
non dans le comput mais là où l'on dit qu'il a à faire
face, à ce qu'il y a, au dernier terme, qui le constitue comme lui-même.
Il est tout de même temps de rappeler à des
analystes qu'il n'y a (p685->) rien qui constitue plus le dernier terme
de la présence du sujet, pour autant que c'est à cela que nous
avons affaire, que le désir.
À partir de là que ce remaniement du comptant
commence à se livrer à toutes sortes de transactions qui l'évaporent
en équivalents diversement fiduciaires, c'est évidemment tout
un problème, mais il y a quand même un moment où il faut
payer comptant. Si les gens viennent nous trouver, c'est en général
pour cela, c'est parce que ça ne marche pas au moment de payer comptant,
de quoi qu'il s'agisse, du désir sexuel, ou de l'action au sens plein
et au sens le plus simple.
C'est là-dedans que se pose la question de l'objet.
Il est clair que si l'objet c'était simple, non seulement il ne serait
pas difficile pour le sujet de faire face comptant à ses sentiments,
mais si vous me permettez ce jeu de mots, il en serait plus souvent de l'objet
content alors qu'il faut qu'il s'en contente, ce qui est tout différent
.
Ceci est évidemment lié au fait qu'il convient
aussi de rappeler parce que c'est le principe de notre expérience,
qu'à ce niveau du désir, l'objet, pour le satisfaire n'est
pas pour le moins d'un accès simple, et que même nous dirons
qu'il n'est pas facile de le rencontrer, pour des raisons structurales qui
sont justement celles dans lesquelles nous allons essayer d'entrer plus avant.
(p686->) Nous n'avons pas l'air d'aller vite, mais
c'est parce que c'est dur, encore que je le répète ce soit
notre expérience quotidienne.
Si l'objet du désir le plus mûr, le plus
adulte, comme nous nous exprimons de temps en temps, dans cette sorte d'ivresse
baveuse qui s'appelle l'exaltation du désir génital . . . nous
n'aurions pas à faire constamment cette remarque de la division qui
s'y introduit régulièrement, et que nous sommes bien forcés
d'articuler au moment même où nous parlons à ce sujet
très conciliant, plus ou moins problématique, entre les deux
plans qui constituent cet objet comme objet d'amour, ou comme on s'exprime,
de tendresse, ou de l'autre auquel nous faisons don de notre unicité,
et le même autre considéré comme instrument du désir.
Il est bien clair que c'est l'amour de l'autre qui résout
tout . Mais on voit bien par cette seule remarque que peut-être ici
nous sortons justement des limites de l'épure, puisqu'en fin de compte
ce n'est pas à nos dispositions, mais à la tendresse de l'autre
qu'est réservé ceci qu'au prix sans aucun doute d'un certain
décentrement de lui-même il satisfasse au plus exact de ce qui
sur le plan du désir est pour nous promu comme objet.
Finalement il semble bien ici que, plus ou moins camouflées,
nous ( réintroduisions ) tout simplement de vieilles distinctions
introduites de l'expérience religieuse. C'est à savoir la distinction
de la tendresse amoureuse, au sens concret ou passionnel, charnel comme on
s'exprime, du terme, et de l'amour de charité. Si c'est vraiment cela
pourquoi ne pas renvoyer nos patients aux pasteurs qui le leur prêcheront
(p687->) bien mieux que nous .
Aussi bien d'ailleurs nous ne sommes pas sans quelque
avertissement que ce serait un langage mal toléré, et que de
temps en temps il n'est pas mieux que nos patients pour anticiper les glissements
là-dessus de nos langages, et nous dire qu'après tout si ce
sont ces beaux principes de morale que nous avons à leur prêcher,
ils pourraient bien aller les chercher ailleurs, mais qu'il est curieusement
déjà arrivé que cela leur tape assez sur les nerfs pour
qu'ils n'aient pas envie d'en entendre à nouveau.
Je fais là une ironie bien facile. Ce n'est pas
une ironie pure et simple.
J'irai plus loin . Je dirai qu'en fin de compte il n'y a d'ébauche
de théorie du désir, - je veux dire d'une théorie du
désir où nous puissions nous reconnaître . . si je mets
les points sur les i, les chiffres mêmes à travers lesquels
j'entends maintenant l'articuler pour vous, sinon les dogmes religieux ;
et que ce n'est pas par hasard si dans l'articulation religieuse le désir
- lui sans aucun doute dans des coins protégés, dont l'accès
bien entendu est réservé, n'est pas ouvert tout grand au commun
des mortels, des fidèles mais dans des coins qu'on appelle la mystique,
est bien inscrit . / comme telle la satisfaction du désir - est liée
à toute une organisation divine qui est celle qui pour le dit commun
se présente sous la forme des mystères - probablement aussi
pour les autres ( je n'ai pas besoin de les nommer ). Et il faut voir ce
que peut représenter pour le croyant d'échelle sensible des
termes suffisamment vibrants comme celui d'incarnation ou de rédemption.
(p688->) Mais j'irai plus loin : je dirai que le plus
profond de tous, qui s'appelle la Trinité, nous aurions grand tort
de croire que ça n'est pas quelque chose qui au moins n'est pas sans
rapport avec le chiffre trois auquel nous avons toujours affaire si nous
nous apercevons qu'il n'y a pas de juste accès, d'équilibre
possible à atteindre pour un désir que nous appelons normal,
sans une expérience qui fait intervenir une certaine triade subjective.
Pourquoi ne pas dire ces choses, puisqu'elles sont là
dans une extrême simplicité . Et pour moi je ne répugne
pas, plus ! je me satisfais tout autant à de telles références
qu'à celles de plus ou moins confuses appréhensions de cérémonies
primitives, totémiques ou autres, dans lesquelles ce que nous retrouvons
de meilleur n'est pas très différent de ces éléments
de structure.
Bien entendu, c'est justement pour autant que nous essayons
de l'aborder d'une façon qui, pour ne pas être exhaustive, n'est
pas prise sous l'angle du mystère, que je crois qu'il y a intérêt
à ce que nous nous engagions dans cette voie. Mais alors, je le répète,
certaines questions, je dirais d'horizon moral, voire social, ne sont pas
superflues à rappeler à cette occasion : c'est à savoir
d'articuler ceci qui apparaît bien clair dans l'expérience contemporaine,
qu'il ne saurait y avoir de satisfaction de chacun sans la satisfaction de
tous, et que ceci est au principe d'un mouvement qui, même si nous
n'y sommes pas avec d'autres puissamment engagés, nous presse de toutes
parts et assurément assez pour être tout prêt de bouleverser
beaucoup de nos commodités.
Encore s'agit-il de rappeler que la satisfaction dont
il s'agit mérite peut-être qu'on l'interroge. Car est-elle purement
et simple-(p689->)ment la satisfaction des besoins ? Ceux-là mêmes
dont je parle - mettons les sous la rubrique du mouvement qui s'inscrit dans
la perspective marxiste, et qui n'a rien d'autre à son principe que
celui que je viens d'exprimer : il n'y a de satisfaction de chacun sinon
dans la satisfaction de tous - n'oseraient pas le prétendre, puisque
justement ce qui est le but de ce mouvement et des révolutions qu'il
comporte, c'est au dernier terme de faire accéder ces tous à
une liberté sans aucun doute lointaine, et posée comme devant
être post-révolutionnaire.
Mais cette liberté dès lors, quel autre
contenu pouvons-nous lui donner que d'être justement la libre disposition
pour chacun de son désir ? Il reste néanmoins que la satisfaction
du désir, dans cette perspective, est une question post-révolutionnaire
. Et de ceci nous nous apercevons tous les jours . Cela n'arrange rien .
Nous ne pouvons pas renvoyer le désir auquel nous avons affaire à
une étape post-révolutionnaire, et chacun sait d'ailleurs que
je ne suis pas là en train de dire du mal de tel ou tel mode de vie,
qu'il soit en deçà ou au-delà d'une certaine limite.
La question du désir reste au premier plan des
préoccupations des pouvoirs, je veux dire qu'il faut bien qu'il y
ait quelque manière sociale et collective, de to manage avec lui.
Cela n'est pas plus commode de ce côté-ci d'un certain rideau
que de l'autre. Il s'agit toujours de tempérer un certain malaise,
le Malaise dans la culture comme l'a appelé Freud. Il n'y a pas d'autre
malaise dans la culture que le malaise du désir.
Pour vous frapper un dernier clou sur ce que je veux dire,
je (p690->) vous poserai la question de savoir chacun, non pas en tant
qu'analystes trop portés - moins ici qu'ailleurs - à vous croire
destinés à être les régents des désirs
des autres . . . de vous interroger sur ce que veut dire pour chacun de vous,
au cœur de votre existence, le terme : qu'est-ce que réaliser son
désir ?
Cela existe quand même . Il y a quand même
des choses qui s'accomplissent, elles sont un peu déviées à
droite, un peu déviées à gauche, tordues, cafouillantes
et plus ou moins merdeuses, mais ce sont quand même des choses qu'à
une certaine heure nous pouvons rassembler sous ce faisceau à tel
ou tel moment : ceci allait dans le sens de réaliser mon désir.
Mais si je vous demande d'articuler ce que cela veut dire
de réaliser son désir, je tiens le pari que vous ne l'articulerez
pas facilement. Et pourtant s'il m'est permis - je croiserai cela
avec la référence religieuse à laquelle je me suis avancé
aujourd'hui - de faire état de cette formidable création
d'humour noir que la religion à laquelle je me référais
tout à l'heure, celle que nous avons là bien vivante, la religion
chrétienne, a promue sous le nom de jugement dernier ; je vous
pose la question simplement de savoir si ça n'est pas une des questions
que nous devons projeter comme en son lieu le plus convenable - lieu du jugement
dernier ; la question de savoir si ce jour du jugement dernier ce que nous
pourrons dire sur ce sujet, ce que dans notre existence unique nous aurons
fait dans ce sens de réaliser notre désir, ne pèsera
pas aussi lourd que celle qui ne la réfute à aucun degré,
qui ne la contrebalance d'aucune manière, de savoir si nous aurons
ou non fait ce qu'on appelle le bien.
(p691->) Mais revenons sur notre formule, notre structure
du désir, / pour voir ce qui en fait non plus seulement la fonction
de l'objet, comme j'ai essayé de l'articuler il y a deux ans,
/ ni non plus celle du sujet en tant que j'ai essayé de vous le montrer
qui se distingue en ce point clef du désir par cet évanouissement
du sujet en tant qu'il a à se nommer comme tel, / mais dans la corrélation
qui lie l'un à l'autre, qui fait que l'objet a cette fonction précisément
de signifier ce point où le sujet ne peut se nommer, où la
pudeur dirai-je est la forme royale de ce qui se monnaie dans les symptômes
en honte et en dégoût.
Et je vous demande encore un temps avant d'entrer dans
cette articulation, pour vous faire remarquer ce quelque chose que je suis
forcé de laisser là comme une marque, à savoir comme
un point que je n'ai pas pu en son temps, pour des raisons de programme,
développer comme je l'eu désiré, qui est celui de la
comédie.
La comédie, contrairement à ce qu'un vain
peuple peut croire, est ce qu'il y a de plus profond dans cet accès
au mécanisme de la scène en tant qu'il permet à l'être
humain la décomposition spectrale de ce qui est sa situation dans
le monde. La comédie est au-delà de cette pudeur. La tragédie
finit avec le nom du héros, et avec la totale identification du héros.
Hamlet est Hamlet, il est tel nom. C'est même parce que son père
était déjà Hamlet qu'en fin de compte tout se résout
là, à savoir qu'Hamlet est définitivement aboli dans
son désir. Je crois en avoir assez dit maintenant avec Hamlet.
Mais la comédie est un très curieux attrape-désir,
et c'est pourquoi chaque fois qu'un piège du désir fonctionne
nous sommes dans la comédie. C'est le désir en tant qu'il apparaît
là où on ne (p692->) l'attendait pas. Le père ridicule,
le dévot hypocrite, le vertueux en proie à une entreprise adultère,
voilà ceux avec quoi on fait la comédie. Mais il faut bien
entendu cet élément qui fait que le désir ne s'avoue
pas. Il est masqué et démasqué . Il est bafoué,
il est puni à l'occasion, mais c'est pour la forme car dans les vraies
comédies, la punition n'effleure même pas l'aile de corbeau
du désir, lequel file absolument intact.
Tartuffe est exactement le même après que
l'exempt lui ait mis la main sur l'épaule. Arnolphe fait ouf, ( MOLIÈRE,
L'École des femmes ( V, 9, v. 1765 ). L'érudit pourra se référer
à la note de G. Couton dans la Bibliothèque de la Pléiade
sur la discussion entre ouf ! et oh ! . . . ! ) c'est-à-dire qu'il
est toujours Arnolphe et qu'il n'y a aucune raison qu'il ne recommence pas
avec une nouvelle Agnès. Et Harpagon n'est pas guéri par la
conclusion plus ou moins postiche de la comédie moliéresque.
Le désir, dans la comédie, est démasqué mais
non pas réfuté.
Je ne vous donne là qu'une indication. Maintenant
je voudrais vous introduire dans ce qui va me servir à situer notre
comportement à l'endroit du désir en tant que nous, dans l'analyse,
l'expérience nous a appris à le voir pour, comme le disait
un de nos grands poètes, encore qu'il soit encore un plus grand peintre,
ce désir-là nous pouvons l'attraper par la queue ( PICASSO
P., Le désir attrapé par la queue (1945), Gallimard, 1967 )
c'est à savoir dans le phantasme ( fantasme ) .
Le sujet donc, en tant qu'il désire ne sait pas où
il en est par rapport à l'articulation inconsciente, c'est-à-dire
à ce signe, à cette scansion qu'il répète en
tant qu'inconsciente.
Où est-il ce sujet comme tel ? Est-il au point
où il désire ? C'est là le point de mon articulation
d'aujourd'hui . Il n'est pas au (p693->) point où il désire,
il est quelque part dans le phantasme ( fantasme ). Et c'est là ce
que je veux articuler aujourd'hui, car de là dépend toute notre
conduite dans l'interprétation.
J'ai fait état autrefois ici d'une observation
parue dans une sorte de petit bulletin en Belgique ( LEBOVICI Ruth, " Perversion
transitoire au cours d'un traitement psychanalytique ", in Bulletin d'activité
de l'Association des psychanalystes de Belgique, n°25, pp. 1-17 ) concernant
l'apparition d'une perversion transitoire au moment de la cure, de quelque
chose qui a été improprement étiqueté comme une
forme de phobie, alors qu'il s'agissait très nettement et comme l'auteur
sans doute lui-même dans ses interrogations - je dois dire que ce texte
est précieux, il est très consciencieux et très utilisable
par les interrogations que l'auteur lui-même pointe, à savoir
la femme qui a dirigé ce traitement, et qui sans aucun doute mieux
dirigée elle-même avait toutes les qualités qu'il fallait
pour voir beaucoup mieux et aller beaucoup plus loin . . . Il est clair que
cette observation, dans laquelle on peut dire qu'au nom de certains principes,
principe de " réalité " en l'occasion l'analyste se permet
de jouer du désir du sujet comme s'il s'agissait là du point
qui chez lui devait être remis en place.
Le sujet, sans aucun doute pas par hasard, se met à
phantasmer ( fantasmer ) que sa guérison coïncidera avec le fait
qu'il couchera avec l'analyste.
Sans aucun doute ce n'est pas par hasard que quelque chose
d'aussi tranchant, d'aussi cru, arrive au premier plan d'une expérience
analytique ; c'est une conséquence de l'orientation générale
donnée au trai-(p694->)tement, et de quelque chose qui est nettement
bien perçu par l'auteur lui-même comme ayant été
le point crucial, à savoir le moment où il s'agit d'interpréter
un phantasme ( fantasme ), et d'identifier ou non un élément
de ce phantasme ( fantasme ), lequel heureusement est très magnifiquement,
est à ce moment, je ne dis pas un homme en armure, mais une armure
qui avance derrière le sujet . Armure armée de quelque chose
d'assez facilement reconnaissable puisque c'est une seringue de Fly-tox,
c'est-à-dire ce qu'on peut faire comme représentation la plus
comique et la plus caractérisée aussi de l'appareil phallique
comme destructeur.
Et ceci au plus grand embarras rétrospectif de
l'auteur. C'est bel et bien de là qu'ont dépendu beaucoup de
choses, et il pressent qu'à cela a été accroché,
dans la suite, tout le déclenchement de la perversion artificielle.
Tout dépend du fait que cela était interprété
en termes de réalité, d'expérience réelle de
la mère phallique incontestablement. Et non pas chez le sujet de ceci,
qui ressort tout à fait clairement d'une certaine vue de l'observation
à partir du moment où on veut bien la prendre, que le sujet
fait là surgir l'image nécessaire et manquante du père
comme tel pour autant qu'il est exigé pour la stabilisation de son
désir. Et rien ne saurait mieux tout de même nous combler que
le fait que ce personnage manquant apparaît dès lors sous la
forme d'un montage, de quelque chose qui donne l'image vivante du sujet en
tant qu'il est reconstitué à l'aide d'un certain nombre de
coupures, d'articulations de l'armure, pour autant qu'elles sont jointures,
et jointures pures comme telles.
(p695->) C'est en ce sens, et d'une façon tout
à fait concrète qu'on pourrait refaire le type d'intervention
qui eut été nécessaire ; que peut-être ce qu'on
appelle dans cette occasion guérison eut pu être trouvé
à de moindre frais que par le détour d'une perversion transitoire
sans doute jouée dans le réel, et qui incontestablement nous
permet de toucher dans une certaine pratique, en quoi la référence
à la réalité représente une régression
dans le traitement.
je vais maintenant bien préciser ce que j'entends
vous faire sentir concernant ces rapports de $ et de a. je vais d'abord vous
donner un modèle qui n'est qu'un modèle, le Fort-da, c'est-à-dire
quelque chose que je n'ai pas besoin d'autrement commenter, à savoir
ce moment que nous pouvons considérer comme théoriquement premier
de l'introduction du sujet dans le symbolique pour autant que c'est dans
l'alternance d'un couple signifiant que réside cette introduction
en rapport avec un petit objet quel qu'il soit, disons une balle, ou tout
aussi bien un petit bout de cordon, quelque chose d'effiloché au bout
de la couche, pourvu que cela tienne, et que cela puisse être rejeté
et ramené. Voici donc l'élément dont il s'agit et dans
lequel ce qui s'exprime est quelque chose qui est juste avant l'apparition
du $, c'est-à-dire le moment où le S s'interroge par rapport
à l'autre en tant que présent ou absent.
C'est donc le lieu par lequel le sujet entre à
ce niveau dans le symbolique, et fait surgir au départ ce quelque
chose dont M. Winnicott, par la nécessité d'une pensée
complètement axée sur les expériences primaires de la
frustration, a introduit le terme pour lui (p696->) nécessaire
dans la genèse possible de tout développement humain comme
tel, l`objet transitionnel. L'objet transitionnel, c'est la petite balle
du Fort-da.
À partir de quand ce Je ( jeu ) , pouvons-nous
le considérer comme promu à sa fonction dans le désir
? À partir du moment où il devient phantasme ( fantasme ),
c'est-à-dire où le sujet n'entre plus dans le jeu, mais s'anticipe
dans ce je ( jeu ) , où il court-circuite ce je ( jeu ), où
il est tout entier inclus dans le phantasme ( fantasme ). Je veux dire, où
il se saisit lui-même dans sa disparition.
Il ne saisira bien entendu jamais sans peine, mais ce
qui est exigible pour ce que j'appelle phantasme ( fantasme ), en tant que
support du désir, c'est que le sujet soit représenté
dans le phantasme ( fantasme ) dans ce moment de disparition. Et je vous
fais remarquer que je ne suis pas là en train de rien dire d'extraordinaire.
Simplement j'articule ce biais, cet éclair, ce moment où M.
Jones s'est arrêté quand il a cherché à donner
son sens concret aux termes de complexe de castration et où pour des
raisons d'exigence de sa compréhension personnelle il ne va pas ailleurs,
parce que c'est comme cela que pour lui les choses sont phénoménologiquement
sensibles.
Les gens sont quand même arrêtés par
des limites de compréhension quand ils veulent à tout prix
comprendre ; ce que j'essaye de vous faire dépasser un tout petit
peu en vous disant qu'on peut aller un peu plus loin en s'arrêtant
d'essayer de comprendre. Et c'est en quoi je ne suis pas phénoménologiste.
(p697->) Et Jones identifie le complexe de castration
à la crainte de la disparition du désir. C'est exactement ce
que je suis en train de vous dire sous une forme différente. Puisque
le sujet craint que son désir disparaisse, cela doit bien signifier
quelque chose, c'est que quelque part il se désire désirant,
que c'est là ce qui est la structure du désir, faites bien
attention, du névrosé.
C'est pour cela que je n'irai pas au névrosé
tout d'abord, parce que ceci vous paraît trop facilement un simple
doublement : je me désire désirant, et me désire désirant
désiré, etc. Ce n'est pas de cela du tout qu'il s'agit, et
c'est pour cela que le fantasme pervers est utile à ré-épeler.
Et si aujourd'hui je ne peux pas aller plus loin j'essayerai de le faire
en prenant un de ces phantasmes ( fantasmes ) les plus accessibles, et au
reste fort parent de ce à quoi j'ai eu à faire allusion tout
à l'heure dans l'observation que j'ai évoquée, c'est
à savoir le phantasme ( fantasme ) de l'exhibitionniste, du voyeuriste
également, car vous allez le voir peut-être convient-il de ne
pas se contenter de la façon dont est communément rapportée
la structure dont il s'agit.
On a l'habitude de nous dire, c'est très simple,
c'est très joli ce phantasme ( fantasme ) pervers, ( c'est la pulsion
) l'impulsion (scopique ) ( scoptophilique ). Bien sûr on aime regarder,
on aime être regardé, ces charmantes pulsions vitales comme
dit quelque part Paul Eluard. Il y a en somme là quelque chose, la
pulsion, qui se complaît à ce que le poème d'Eluard exprimait
très joliment sous la formule Donner à voir, manifestation
de la forme s'offrant d'elle-même à l'autre.
(p698->) En somme, je vous le fais remarquer, ce n'est
pas rien déjà de dire cela. Cela ne nous paraît plus
si simple. Cela implique, puisque nous étions à ce niveau-là
hier soir, à savoir ce qu'il peut y avoir de subjectivité implicite
dans une vie animale, cela implique quand même une certaine subjectivité.
Il n'est guère possible de concevoir ce donner à voir, même
sans donner au mot donner la plénitude des vertus du don, tout de
même une référence, innocente sans doute, non éveillée,
de cette forme, à sa propre richesse.
Et aussi bien en avons-nous des indications tout à
fait concrètes dans le luxe mis par des animaux dans les manifestations
de la parade captivante, principalement de la parade sexuelle. Je ne vais
pas me remettre à faire frétiller devant vous l'épinoche,
je pense vous en avoir parlé assez longuement pour que ce que je suis
en train de vous dire ait un sens. C'est simplement pour dire que dans la
courbe d'un certain comportement, si instinctuel que nous le supposions,
quelque chose peut être impliqué que ce même petit mouvement
de retour, et du même coup d'anticipation qui est là dans la
courbe de la parole. Je veux dire une projection temporelle de ce quelque
chose qui est dans l'exubérance de la pulsion à se montrer,
telle que nous pouvons la retrouver au niveau naturel.
Ici, je ne peux que latéralement, et pour ceux
qui étaient hier à la séance scientifique, qu'inciter
celui qui est intervenu sur ce sujet à s'apercevoir qu'il y a lieu
justement dans cette anticipation temporelle de moduler ce qui est attente
peut-être sans aucun (p699->) doute chez l'animal dans certaines
circonstances, avec ce quelque chose qui nous permet d'articuler la déception
de cette attente comme une tromperie. Et le médium dirais-je jusqu'à
ce qu'on me convainque du contraire, me paraît être constitué
par une promesse.
Que l'animal se fasse une promesse de la réussite
de tel ou tel de ses comportements, c'est là toute la question pour
que nous puissions parler de tromperie au lieu de déception de l'attente.
Maintenant revenons à notre exhibitionniste. Est-ce
qu'il s'inscrit d'aucune manière dans cette dialectique du montrér,
même en tant que ce montrér est relié aux voies de l'autre
? Je peux simplement ici quand même vous faire remarquer dans la relation
exhibitionniste à l'autre - je vais employer des termes cahin caha
pour me faire comprendre ; ce ne sont pas certainement les meilleurs, les
plus littéraires - , que l'autre fusse frappé dans son désir
complice - et Dieu sait que l'autre l'est vraiment à l'occasion -
de ce qui se passe là, et de ce qui se passe comme quoi : en tant
que rupture.
Observez que cette rupture n'est pas n'importe laquelle.
Cette rupture, il est essentiel qu'elle soit ainsi le piège à
désir. C'est que c'est une rupture qui passe inaperçue à
ce que nous appellerons dans l'occasion la plus part . Et elle est aperçue
à son adresse en tant qu'inaperçue ailleurs. Aussi bien chacun
sait qu'il n'y a pas de véritable exhibitionnistme, sauf raffinement
bien entendu supplémentaire, dans le privé. Justement pour
que ça en soit, pour qu'il y ait plaisir, il faut que ça se
passe dans un lieu public.
(p700->) Là-dessus sur cette structure nous
arrivons avec nos gros sabots et nous lui disons : mon petit ami, si vous
vous montrez si loin c'est parce que vous avez peur d'approcher votre objet.
Approchez, approchez . Je demande ce que signifie cette plaisanterie . Croyez-vous
que les exhibitionnistes ne baisent pas ? La clinique va là tout à
fait contre. Ils font à l'occasion de fort bons époux avec
leurs femmes, mais seulement le désir dont il s'agit est ailleurs.
Il exige bien entendu d'autres conditions ; ce sont des conditions sur lesquelles
il convient ici de s'arrêter.
On voit bien que cette manifestation, cette communication
élective qui se produit ici avec l'autre, satisfait un certain désir
que pour autant que sont mis dans un certain rapport une certaine manifestation
de l'être et du réel en tant qu'il s'intéresse au cadre
symbolique comme tel. C'est là d'ailleurs la nécessité
du lieu public : c'est qu'on soit bien sûr qu'on est dans le cadre
symbolique. C'est-à-dire - je vous le fais remarquer pour des gens
qui lui reprochent de ne pas oser approcher de l'objet, de céder à
je ne sais quelle peur - que j'ai mis comme condition à la satisfaction
de leur désir justement le maximum de danger. Là encore on
ira dans l'autre sens, sans se soucier de la contradiction, et on dira c'est
ce danger qu'ils cherchent. Ce n'est pas impossible.
Avant d'aller si loin, essayons quand même de remarquer
une structure : c'est à savoir que du côté de ce qui
fait ici figure d'objet, à savoir le, ou la, ou les intéressés,
la ou les petites filles sur lesquelles versons en passant la larme des bonnes
âmes, (p701->) il arrive que les petites filles, surtout si elles
sont plusieurs, s'amusent beaucoup pendant ce temps-là. Cela fait
même partie du plaisir de l'exhibitionniste, c'est une variante.
Le désir de l'autre est donc là comme élément
essentiel en tant qu'il est surpris, qu'il est intéressé au-delà
de la pudeur, qu'il est à l'occasion complice. Toutes les variantes
sont possibles.
De l'autre côté qu'est-ce qu'il y a ? Il
y a quelque chose dont je vous ai déjà fait remarquer la structure,
et que j'ai réindiqué suffisamment il me semble à l'instant.
Il y a sans aucun doute ce qu'il montre, me direz-vous. Mais moi je vous
dirai que ce qu'il montre dans cette occasion c'est plutôt assez variable,
ce qu'il montre c'est plus ou moins glorieux ; mais ce qu'il montre est une
redondance qui cache, plutôt qu'elle ne dévoile ce dont il s'agit.
Il ne faut pas se tromper sur ce qu'il montre en étant que témoignage
de l'érection de son désir, sur la différence qu'il
y a entre cela et l'appareil de son désir. L'appareil est essentiellement
constitué par ceci que j'ai souligné de l'aperçu dans
l'inaperçu que j'ai appelé tout crûment un pantalon qui
s'ouvre et se ferme, et pour tout dire dans ce que nous pouvons appeler la
fente dans le désir.
C'est cela qui est essentiel. Et il n'y a pas d'érection,
si réussie qu'on la suppose, qui ici supplée à ce qui
est l'élément essentiel dans la structure de la situation,
à savoir cette fente comme telle. C'est là aussi où
le sujet comme tel se désigne . C'est là ce qu'il convient
de retenir pour s'apercevoir de ce dont il s'agit . Et à très
(p702->) probablement parler, ce qu'il s'agit de combler. Nous y reviendrons
plus tard car je veux contrôler ceci de la phénoménologie
corrélative du voyeur.
Je peux, je crois, aller plus vite maintenant. Et néanmoins
aller trop vite c'est comme toujours nous permettre d'escamoter ce dont il
s'agit. C'est pour cela que je m'approche ici avec la même circonspection,
car ce qui est essentiel, et ce qui est omis dans la pulsion scoptophilique,
c'est de commencer aussi par la fente. Car pour le voyeur cette fente se
trouve être un élément de la structure absolument indispensable.
Et le rapport de l'aperçu à l'inaperçu pour se répartir
ici différemment n'est pas moins distinct.
Bien plus, je veux entrer dans le détail. C'est
à savoir que puisqu'il s'agit de l'appui pris sur l'objet, c'est-à-dire
sur l'autre dans la satisfaction ici nommément voyeuriste, l'important
est que ce qui est vu soit intéressé dans l'affaire . Ceci
fait partie du phantasme ( fantasme ). Car sans aucun doute, ce qui est vu
peut être très souvent vu à son insu. L'objet, disons
féminin, puisque semble-t-il ce ne soit pas pour rien que ce soit
dans cette direction que s'exerce cette recherche, l'objet féminin
ne sait sans doute pas qu'il est vu, mais dans la satisfaction du voyeur,
je veux dire dans ce qui supporte son désir, il y a ceci que c'est
que tout en s'y prêtant si l'on peut dire innocemment - quelque chose
dans l'objet s'y prête à cette fonction de spectacle - qu'il
y est ouvert, qu'il participe en puissance à cette dimension de l'indiscrétion
; et que c'est dans la mesure où quelque chose dans ses gestes peut
laisser soupçonner que (p703->) par quelque biais il est capable
de s'y offrir que la jouissance du voyeur atteint son exact et véritable
niveau.
La créature surprise sera d'autant plus érotisable
dirais-je, que quelque chose dans ses gestes peut nous la révéler
comme s'offrant à ce que j'appellerai les hôtes invisibles de
l'air. Ce n'est pas pour rien que je les évoque ici. Cela s'appellent
des anges de la chrétienté que ce M. Anatole France a eu le
culot d'impliquer dans cette affaire. Lisez La révolte des anges (
FRANCE A., La Révolte des anges (1914) ) . Vous y verrez à
tout le moins le lien très précis qui unit la dialectique du
désir avec cette sorte de virtualité d'un oeil insaisissable
mais toujours imaginable. Et les références faites au livre
du Comte de Cabanis concernant les épousailles mystiques des hommes
avec les sylphes et les ondines ne sont pas venues là pour rien dans
le texte très centré dans ses visées que constitue tel
ou tel livre d'Anatole France.
Donc c'est dans cette activité où la créature
apparaît dans ce rapport de secret à elle-même, dans ces
gestes où se trahit la permanence du témoin devant lequel on
ne s'avoue pas, que le plaisir du voyeur comme tel est à son comble.
Est-ce que vous ne voyez pas qu'ici, dans les deux cas,
le sujet se réduit lui-même à l'artifice de la fente
comme tel. Cet artifice tient sa place et le montre effectivement réduit
à la fonction misérable qui est la sienne ; mais c'est bien
de lui qu'il s'agit, en tant qu'il est dans le phantasme ( fantasme ) il
est la fente.
La question du rapport de cette fente avec ce qu'il y
a de (p704->) symboliquement le plus insupportable d'après notre
expérience, à savoir la forme qui y répond à
la place du sexe féminin, est une autre question que nous laissons
ici ouverte pour l'avenir. Mais maintenant reprenons l'ensemble et partons
de la métaphore poétique du " je me voyais me voir " célèbre
de La Jeune Parque.
Il est bien clair que ce rêve de parfaite clôture,
de suffisance accomplie, n'est réalisé dans nul désir,
sinon le désir surhumain de la vierge poétique. C'est en tant
qu'ils se mettent à la place du " je me voyais " , que le voyeur et
l'exhibitionniste s'introduisent dans la situation qui est quoi ? justement
une situation où l'autre ne voit pas le je me voyais , une situation
de jouissance inconsciente de l'autre. L'autre, en quelque sorte, est ici
décapité de la partie tierce, il ne sait pas qu'il est en puissance
d'être vu, il ne sait pas ce que représente le fait qu'il soit
secoué de ce qu'il voit, c'est-à-dire de l'objet inhabituel
que l'exhibitionniste lui présente, et qui ne fait son effet sur cet
autre que pour autant qu'il est effectivement l'objet de son désir
mais qu'il ne le reconnaît pas à ce moment-là.
Il s'établit donc la répartition d'une double
ignorance, car si l'autre ne réalise pas à ce niveau, en tant
qu'autre, ce qui est supposé réalisé dans l'esprit de
celui qui s'exhibe, ou de celui qui se voit comme manifestation possible
du désir, inversement dans son désir celui qui s'exhibe ou
qui se voit ne réalise pas la fonction de la coupure qui l'abolit
dans un automatisme clandestin, qui l'écrase dans un moment dont il
ne reconnaît absolument (p705->) pas la spontanéité
en tant qu'elle désigne ce qui se dit là comme tel, et qui
est là dans son acmé connu encore que présent mais suspendu.
Il ne connaît lui que cette manœuvre d'animal honteux, cette manœuvre
oblique, cette manœuvre qui l'expose aux horions. Pourtant cette fente, sous
quelque forme qu'elle se présente, volet, ou télescope, ou
n'importe quel écran, cette fente c'est là ce qui le fait entrer
dans le désir de l'autre ; cette fente c'est la fente symbolique d'un
mystère plus profond qui est celui qu'il s'agit d'élucider,
à savoir sa place à un certain niveau de l'inconscient, qui
nous permet de situer le pervers, à ce niveau, comme dans un certain
rapport avec ( ? ) .
C'est bien la structure du désir comme tel, car
c'est le désir de l'autre comme tel reproduisant la structure du sien,
qu'il vise.
La solution perverse à ce problème de la
situation du sujet dans le phantasme ( fantasme ) est justement celle-ci,
c'est de viser le désir de l'autre et de croire y voir un objet.
L'heure est assez avancée pour que je m'arrête
là. C'est aussi une coupure . Elle a simplement le défaut d'être
arbitraire . Je veux dire de ne pas me permettre de vous montrer l'originalité
de cette solution par rapport à la solution névrotique. Sachez
simplement que c'est là l'intérêt de les rapprocher,
età partir de ce phantasme ( fantasme ) fondamental du pervers, de
vous faire voir la fonction que joue le sujet du névrosé dans
son phantasme ( fantasme ) à lui. Je vous l'ai heureusement déjà
indiqué tout à l'heure. Il se désire désirant
vous ai-je dit. Et pourquoi donc qu'il peut pas désirer, qu'il faille,
tellement qu'il désire ? Chacun sait qu'il y a quelque chose d'intéressé
là-dedans qui est à proprement parler le phallus. Car après
tout jusqu'à pré-(p706->)sent vous avez pu voir que j'ai
laissé réservée dans cette économie l'intervention
du phallus, ce bon vieux phallus d'autrefois.
À deux reprises dans la reprise du complexe d'Œdipe
l'année dernière, et dans mon article sur les psychoses, je
vous ai montré comme lié à la métaphore paternelle,
à savoir comme venant donner au sujet un signifié. Mais il
était impossible de le réintroduire dans la dialectique dont
il s'agit si je ne vous posais pas d'abord cet élément de structure
par lequel le phantasme ( fantasme ) est constitué dans quelque chose
dont je vais vous demander par un dernier effort d'admettre en nous quittant
aujourd'hui désormais le symbolisme.
Je veux dire que désormais le S dans le phantasme
( fantasme ), en tant que confronté et opposé à ce "
a " dont vous avez bien compris qur.
e je vous ai montré aujourd'hui qu'il était bien plus compliqué
que les trois formes que je vous ai données d'abord comme approche,
puisque ici le a c'est le désir de l'autre ( l'Autre ) dans le cas
que je présente .
Vous voyez donc que toutes les formes de coupure, y compris
justement celles qui reflètent la coupure du sujet, sont signalées
. Je vous demande d'admettre la notation ( notion ) suivante . Je me permets
même le ridicule de me référer à une notation
de ( ) ( en marge,
écriture manuscrite :
) concernant les Imaginaires . Je vous ai laissés au bord du " pas-un
" dans cet évanouissement du sujet. C'est à ce pas-un, et même
à ce " comme pas un " , en tant que c'est lui qui nous donne l'ouverture
sur l'unicité du sujet que je reprendrai la prochaine fois. Mais si
je vous demande de le noter de cette façon, c'est justement pour que
vous n'y voyiez pas la forme la plus générale, et du même
coup la plus confuse de la (p707->) négation. S'il est tellement
difficile de parler de la négation, c'est que personne ne sait ce
que c'est. Déjà je vous ai pourtant indiqué au début
de cette année l'ouverture de la différence qu'il y a entre
forclusion et discordance. Pour l'instant je vous indique sous une forme
close, fermée, symbolique, mais justement à cause de cela décisive,
une autre forme de cette négation. C'est quelque chose qui situe le
sujet dans un autre ordre de grandeur.