LE DÉSIR E SON INTERPRETATION
SEMINAIRE
DE MONSIEUR LE
PROFESSEUR JACQUES LACAN
13 mai 1959
(p595-621)
(p595->) Nous parlons du désir. Pendant cette
interruption d'une quinzaine de jours, j'ai essayé moi-même
de recentrer ce chemin qui est le nôtre cette année et qui nous
oblige, comme tout chemin, parfois à de longs détours.
Dans mon effort de ressaisir l'origine, en même
temps que la visée de notre propos, je crois avoir essayé
de refaire aussi pour vous cette mise au point qui aussi bien n'est qu'une
façon de plus de se concentrer dans le progrès de notre attention.
Il s'agit en somme, au point où nous en sommes,
d'essayer d'articuler où est notre rendez-vous. Il n'est pas seulement
le rendez-vous de ce séminaire, ni non plus le rendez-vous de notre
travail quotidien d'analystes, il est aussi bien le rendez-vous de notre
fonction d'analyste et du sens de l'analyse.
On ne peut qu'être surpris de la persistance d'un
mouvement tel que l'analyse, s'il était seulement, parmi d'autres
dans l'histoire, une entreprise thérapeutique plus ou moins fondée,
plus ou moins réussie. Il n'y a pas d'exemple d'aucune théorisation,
d'une orthopédie psychique quelconque qui ait eu une carrière
plus longue qu'un demi-siècle. Et assurément on ne peut
manquer de sentir que ce qui fait la durée de l'analyse, ce qui fait
sa place au-delà de sa fonction, de son utilisation médicale
- que personne en fin de compte ne songe à contester - c'est qu'il
y a dans l'analyse quelque chose concernant l'homme de façon tout
à fait nouvelle, sérieuse, authentique. Nouvelle dans son
apport, sérieuse dans sa portée, authentifiée par quoi
; sûrement par autre (p596->) chose que des résultats souvent
discutables, parfois précaires.
Je crois que ce qui est le plus caractéristique
dans le phénomène, c'est ce sentiment qu'on a de cette
chose que j'ai appelée une fois la chose freudienne, que
c'est une chose dont on parle pour la première fois. J'irai plus
loin, jusqu'à dire que ce qui est à la fois le témoignage
et la manifestation la plus certaine de cette authenticité dont il
s'agit de la chose, le témoignage en est donné chaque jour
par le formidable verbiage qu'il y a autour.
Si vous prenez dans sa masse la production analytique,
ce qui saisit, c'est cet effort des auteurs qui en fin de compte glisse
toujours à saisir de sa propre activité un principe, mais
ce principe à l'articuler d'une façon qui tout au cours de
l'analyse ne se présente jamais comme clos, fermé, accompli,
satisfaisant . Ce perpétuel mouvement glissement dialectique,
qui est le mouvement et la vie de la recherche analytique, est quelque chose
qui témoigne de la spécificité du problème autour
duquel cette recherche est accrochée.
Auprès de cela, tout ce que notre recherche comporte
de maladresse, de confusion, de mal assuré même dans ses principes,
tout ce que dans sa pratique cela apporte d'équivoque - j'entends
de retrouver toujours non seulement devant soi, mais dans sa pratique même
ce qui est justement son principe, ce qu'on voulait éviter, à
savoir la suggestion, la persuasion, la construction, voire la mystagogie
- , toutes ces contradictions dans le mouvement analytique ne font que mieux
accuser la spécificité de La chose freudienne.
(p597->) Cette chose, nous l'envisageons cette année
par hypothèse, soutenus par toute la marche concentrique de notre
recherche précédente, sous cette forme à savoir que
cette chose c'est le désir. Et en même temps, au
moment où nous articulons cette formule, nous nous apercevons d'une
sorte de contradiction du fait que tout notre effort semble s'exercer dans
le sens de faire perdre à ce désir sa valeur, son accent original,
sans pourtant que nous puissions toucher du doigt, voire faire que l'expérience
nous montre que c'est bien avec son accent original que nous avons affaire
à lui.
Le désir n'est pas quelque chose que nous puissions
considérer comme réduit, normalisé, fonctionnant à
travers les exigences d'une sorte de préformation organique qui nous
entraînerait à l'avance dans la voie et le chemin tracé
dans lequel nous aurions à le faire rentrer, à le ramener.
Le désir, depuis l'origine de l'articulation analytique par
Freud, se présente avec ce caractère qu'en anglais " lust "
veut bien dire convoitise aussi bien que luxure, ce même mot qui
est dans le Lust principle¹. Et vous savez qu'en allemand, il
garde toute l'ambiguïté du plaisir et du désir.
1. Aqui Lacan parece jogar c/o
inglês. Lust, em inglês, quer dizer 'apetite
sensual, desejo, concuspiscência; luxúria, lascívia,
sensualidade'. - Em alemão se diz lustprinzip.
|
Ce quelque chose qui se présente d'abord pour l'expérience
comme trouble, comme quelque chose qui trouble la perception de l'objet,
quelque chose aussi bien que les malédictions des poètes et
des moralistes nous montrent comme aussi bien il le dégrade cet objet,
le désordonne, l'avilit, en tout cas l'ébranle, parfois va
jusqu'à le dissoudre celui-là même qui le perçoit,
c'est-à-dire le sujet.
(p598->) Cet accent est certainement articulé
au principe de la position freudienne pour autant que la mise au premier
plan du "lust" tel qu'il est articulé dans Freud nous est présentée
d'une façon radicalement différente de tout ce qui a été
articulé précédemment concernant le principe du désir.
Et il nous est présenté dans Freud comme étant dans
son origine et sa source opposé au principe de réalité.
L'accent est conservé dans Freud de l'expérience originale
du désir comme étant opposée, contraire à la
construction de la réalité. Le désir est précisé
comme marqué, accentué par le caractère aveugle de la
recherche qui est la sienne, comme quelque chose qui se présente comme
le tourment de l'homme, et qui est effectivement fait d'une contradiction
dans la recherche de ce qui jusque là, pour tous ceux qui ont tenté
d'articuler le sens des voies de l'homme dans sa recherche, de tout ce qui
jusque là a toujours été articulé au principe
comme étant la recherche de son bien par l'homme.
Le principe du plaisir, à travers toute la pensée
philosophique et moraliste, à travers les siècles, n'est jamais
parti, dans toute définition originelle par laquelle toute théorie
morale de l'homme se propose, s'est toujours affirmé, - quelle qu'il
soit, - comme hédoniste. À savoir que l'homme recherchait
fondamentalement son bien, qu'il le sût ou qu'il ne le sût pas,
et qu'aussi bien ce n'était que par une sorte d'accident que se trouvait
promue l'expérience de cette erreur de son désir, de ses aberrations.
C'est dans son principe, et comme fondamentalement contradictoire,
que pour la première fois dans une théorie de l'homme, le
plaisir se (p599->) trouve articulé avec un accent différent
. Et dans toute la mesure où le terme du plaisir dans son signifiant,
même dans Freud, est contaminé de l'accent spécial avec
lequel se présente la " lust " , le " lust " , la convoitise, le
désir.
Le désir donc ne s'organise pas, ne se compose
pas dans une sorte d'accord préformé avec le chant du monde,
comme après tout une idée harmonique, optimiste du développement
humain pourrait le supposer. L'expérience analytique nous apprend
que les choses vont dans un sens différent. Comme vous le savez,
comme nous l'avons ici énoncé, elle nous montre quelque chose
qui est justement ce qui va nous engager dans une voie d'expérience
qui est aussi bien de par son développement même quelque chose
où nous allons perdre l'accent, l'affirmation de cet instant primordial.
C'est à savoir que l'histoire du désir
s'organise en un discours qui se développe dans l'insensé
- ceci c'est l'inconscient - , en un discours dont les déplacements,
dont les condensations sont sans aucun doute ce que sont déplacements
et condensations dans le discours, c'est-à-dire métonymies
et métaphores. Mais métaphores qui n'engendrent aucun sens
à la différence de la métaphore . Déplacements
qui ne portent aucun être, et où le sujet ne reconnaît
pas quelque chose qui se déplace. C'est autour de l'exploration de
ce discours de l'inconscient que l'expérience de l'analyse s'est développée.
C'est donc autour de quelque chose dont la dimension
radicale, nous pouvons l'appeler, la diachronie du discours. Ce qui
fait l'essence (p600->) de notre recherche, ce où se situe ce
que nous essayons de ressaisir quant à ce qu'il en est de ce désir,
c'est notre effort pour le situer dans la synchronie. Nous sommes introduits
à ceci par quelque chose qui se fait entendre chaque fois que nous
abordons notre expérience. Nous ne pouvons pas ne pas voir, ne pas
saisir - que nous lisions le compte-rendu, le text book de l'expérience
la plus originelle de l'analyse, à savoir L'Interprétation des
rêves de Freud, ou que nous nous rapportions à une séance
quelconque, une suite d'interprétations - le caractère
de renvoi indéfini qu'a tout exercice d'interprétation qui
ne nous présente jamais le désir que sous une forme articulée,
mais qui suppose au principe quelque chose qui nécessite ce mécanisme
de renvoi de vœu en vœu où le mouvement du sujet s'inscrit, et aussi
bien cette distance où il se trouve de ses propres vœux.
C'est pourquoi il nous semble qu'il peut légitimement
formuler comme un espoir que la référence à la structure,
référence linguistique comme telle, en tant qu'elle nous rappelle
qu'il ne saurait y avoir formation symbolique si à côté,
et principiellement, primordialement à tout exercice de la parole
qui s'appelle discours il n'y a nécessairement un synchronisme, une
structure du langage comme système synchronique. C'est là que
nous cherchons à repérer quelle est la fonction du désir.
Où le désir se situe-t-il dans ce rapport
qui fait que ce quelque chose d' x désormais que nous appelons l'homme
dans la mesure où il est le sujet du Logos, où il se constitue
dans le signifiant comme sujet . . . Où se situe dans ce rapport
comme synchronique, le désir ? Ce qui je pense vous fera sentir la
nécessité primordiale de cette reprise, c'est (p601->)
ce quelque chose où nous voyons la recherche analytique, en tant
qu'elle méconnaît cette organisation structurale, s'engager.
En effet au moment même où j'articulais
plus tôt la fonction contraire instaurée à l'origine principiellement
par l'expérience freudienne entre principe du plaisir et principe
de réalité, vous ne pouviez pas en même temps vous apercevoir
que nous en sommes justement au point où la théorie essaye
de s'articuler justement dans les termes mêmes où je disais
que nous pouvions dire que le désir, là, ne se compose pas.
Il se compose pourtant dans l'appétit qu'ont les auteurs de le penser,
de le sentir d'une certaine façon, dans ce certain accord avec le
chant du monde.
Tout est fait pour essayer de déduire d'une convergence
de l'expérience avec une maturation ce qui est au moins à
souhaiter comme un développement achevé. Et en même
temps il est bien clair que tout ceci voudrait dire que les auteurs ont
abandonné eux-mêmes tout contact avec leur expérience
s'ils pouvaient effectivement articuler la théorie analytique dans
ces termes, c'est-à-dire trouver quoi que ce soit de satisfaisant,
de classique à l'adaptation ontologique du sujet à son expérience.
Le paradoxe est le suivant, c'est que plus on va dans
le sens de cette exigence à laquelle on va par toutes sortes d'erreurs
- il faut bien le dire d'erreurs révélatrices, révélatrices
justement qu'il faudrait essayer d'articuler les choses autrement - plus
on va dans le sens de cette expérience, plus on arrive à des
paradoxes comme le suivant. Je prends un exemple et je le prends chez un
des meilleurs auteurs qui soit, chez un des plus soucieux précisément
d'une articulation juste non seulement de notre expérience mais aussi
bien de la somme de ses données, dans un effort aussi pour recenser
nos termes, les no-(p602->)tions dont nous nous servons, les concepts,
j'ai nommé Edward Glover dont l'œuvre est assurément
une des plus utiles pour quiconque veut essayer - d'abord dans l'analyse
cela est absolument indispensable, plus qu'ailleurs - de savoir ce qu'il
a fait, et aussi bien dont la somme d'expériences qu'il inclut dans
ses écrits . . . Je prends un exemple d'un des nombreux articles qu'il
faut que vous lisiez, celui qui est paru dans le Journal International of
Psycho-analysis, d'octobre 1933, ( quatrième volume de l'année
) , " De la relation de la formation perverse au développement du
sens de la réalité " ( GLOVER E., «The relation of perversion-formation
to the development of reality-senne», I.J.P. 1933, vol. XIV,pp. 486-503.
Trad fr. in Ornicar n°43 , pp.17-37. ) .
Beaucoup de choses sont importantes à discuter
dans cet article, ne seraient-ce que les termes de départ qu'il nous
donne dans le dessein de manier correctement ce qu'il s'agit pour lui de
nous montrer, nommément
1. - la définition du sens de la réalité comme
étant cette faculté dont nous inférons l'existence
dans l'examen de l'épreuve de la réalité. Il y a grand
intérêt à ce que les choses soient formulées
quelques fois.
2. - la deuxième chose est ce qu'il appelle ( l'é-
) preuve efficiente de la réalité, auquelles aucun
sujet qui a passé l'épreuve de la puberté ( pour tout
sujet ayant passé l'âge de la puberté, c'est ) et la
capacité de conserver le contact psychique avec les objets qui permettent
la gratification de l'instinct incluant aussi bien les résidus et
les modifications, les impulsions infantiles . . . (ici les pulsions
infantiles modifiées résiduelles.) " .
3. - Troisièmememnt l'objectivité est la capacité
d'asseoir correctement la relation de la pulsion instinctuelle à
l'objet instinctuel, quels que soient les buts de cette impulsion, c'est
à savoir qu'ils puissent être ou non gratifiés.
Voilà des données de principe qui sont
fort importantes et qui (p603->) assurément, ne peuvent manquer
de vous frapper comme donnant au terme d'objectivité en tout cas un
caractère qui n'est plus celui qui lui est habituellement dévolu.
Cette nature va nous donner l'idée qu'en effet
quelque chose n'est pas perdu de la dimension originale de la recherche
freudienne, puisque quelque chose peut être bouleversé de ce
qui, justement jusque là, nous paraissait être les catégories
et les ordres nécessités par notre vue du monde. On ne peut
d'autant plus qu'être frappé de ce que comporte notre [enquête]
avec un tel départ. Elle comporte en l'occasion une recherche de
ce que signifie la relation perverse ; ceci étant entendu au sens
le plus large, par rapport au sens de la réalité. Je vous le
dis, l'esprit de l'article comporte que la formation perverse est conçue
par l'auteur comme étant en fin de compte un moyen pour le sujet de
parer aux déchirures, aux choses qui font "floup", aux choses qui
ne se disent pas pour lui dans une réalité cohérente.
La perversion est très précisément
articulée par l'auteur comme le moyen de salut pour le sujet d'assurer
à cette réalité une (texture / existence) continue.
Assurément voici encore une vue originale . Je vous passe ceci :
c'est qu'il résulte de cette forme d'articulation une sorte d'omniprésence
de la fonction perverse. Car aussi bien, faisant l'épreuve d'en retracer
si l'on peut dire les insertions chronologiques, je veux dire par exemple
où il convient de la placer dans un système d'antériorité
et de postérité où nous verrions s'étager comme
plus primitifs les troubles psychotiques, ensuite les troubles névrotiques
et, dans l'intermédiaire, le rôle que joue dans le système
de Glover la toxicomanie pour autant qu'il en fait quelque chose qui répond
à une étape intermédiaire, (p604->) chronologiquement
parlant, entre les points d'attache, les points féconds historiquement,
les points dans le développement où remonte l'origine de ces
diverses affections.
Nous ne pouvons pas ici entrer dans un détail
de la critique de cette vue qui n'est pas sans être critiquable, comme
chaque fois qu'on essaye un pur et simple repérage génétique
des affections analysables.
Mais de tout cela je veux détacher un paragraphe
qui vous montre à quel point de paradoxe on est amené par
toute tentative qui, en quelque sorte part d'un principe de réduire
la fonction à laquelle nous avons affaire au niveau du désir,
au niveau du principe du désir, à quelque chose comme à
une étape préliminaire, préparatoire, non encore informée,
de l'adaptation à la réalité, à une première
forme du rapport à la réalité comme telle. Car c'est
en partant de ce principe de classer la formation perverse par rapport au
sens de la réalité que Glover, ici comme ailleurs, développe
sa pensée.
Ce que ceci comporte je vous l'indiquerai simplement
par ceci, que vous reconnaîtrez par ailleurs dans mille autres écrits
(récits), qui ici prend son intérêt de se présenter
sous une forme en quelque sorte imagée, littéraire, paradoxale
et véritablement expressive. Vous y reconnaîtrez quelque chose
qui n'est rien d'autre que vraiment la période qu'on peut appeler
kleinienne de la pensée de Glover. Aussi bien cette période
n'est pas tellement une période de la lutte qu'il a cru devoir mener
sur le plan théorique avec Mélanie Klein. Sur beaucoup de points
on peut dire qu'une telle pensée a beaucoup de points communs avec
celui du système kleinien. Il s'agit de la période qui, dit-il,
se présente (p605->) au moment où la phase dite paranoïde
du sujet se trouve aboutir à ce système de réalité
qu'il appelle orale, anale , et qui serait celui que l'enfant se trouverait
vivre à cette époque. Il le caractérise comme un monde
extérieur qui représenterait la combinaison d'une boutique
de boucher, d'un public lavatory, autrement dit d'un urinoir ou quelque chose
même de plus élaboré, sous un bombardement, et d'une
postmortem room, d'une morgue.»
Il explique que l'issue particulière que donne ce qui est le pivot
et le point central de son intention à ce moment-là, transforme
ce monde, comme vous le voyez en effet, plutôt bouleversé,
catastrophique, " en une rassurante et fascinante boutique de pharmacien
dans laquelle pourtant il y a cette réserve, c'est que l'armoire
où se trouvent les poisons a la clef dessus ( Op. cit., p. 492 (
trad. fr. p. 23 ) ). "
Ceci qui est fort joli et fort pittoresque est de nature
à suggérer qu'il y a tout de même quelque difficulté
à concevoir qu'effectivement l'abord de la réalité
est quelque chose que nous devons voir dans un vécu si profond, si
immergé, si implicite, que nous le supposons comme devant être
pour le petit homme, celui d'une boutique de boucher, d'un cabinet de nécessité
public sous un bombardement, et d'une chambre froide.
Il y a là assurément quelque chose, dont
ce n'est pas une raison parce que cela se présente sous un aspect
d'abord heurtant pour que nous en repoussions le principe, mais qui peut
en même temps nous faire légitimement émettre quelque
doute sur l'exactitude de cette formulation, qui d'une façon certaine,
manifeste, ne saurait recouper une forme régulière du développement
du petit homme, qu'on considérerait comme (p606->) caractérisé
par les modes d'adaptations du sujet à la réalité.
Nécessairement, une telle formulation [implique]
à tout le moins l'articulation d'une double réalité,
de celle dans laquelle pourrait s'inscrire l'expérience behaviouriste
et d'une autre . La (réalité) dans laquelle nous serons
obligés, réduits à surveiller les éruptions
dans le comportement du sujet, c'est-à-dire effectivement à
restaurer dès l'origine quelque chose qui implique l'autonomie, l'originalité
d'une autre dimension qui n'est pas la réalité primitive,
mais qui est dès le départ un au-delà du vécu
du sujet.
Je vais peut-être avoir à m'excuser d'aussi
longtemps appuyer sur une contradiction qui après tout, une fois
qu'elle est articulée, devient si évidente, mais nous ne pouvons
pas non plus ne pas nous apercevoir de ce que comporte le fait que dans
certaines formulations elle soit masquée. En effet, nous aboutissons
à quelque chose qui comporte à l'endroit du terme de réalité
une grave équivoque.
Si la réalité est considérée
comme ayant pour nous quoi que ce soit qui permette de l'accorder à
un développement parallèle à celui des instincts, -
et c'est bien là la vérité la plus communément
reçue - nous aboutissons à d'étranges paradoxes qui
eux ne manquent pas d'avoir des retentissements dans la pratique.
Si le désir est là, il est justement nécessaire
de le parler sous sa forme originelle, et non pas sous sa forme masquée,
à savoir l'instinct de ce dont il s'agit dans l'évolution
de ce à quoi nous avons affaire dans notre expérience analytique.
Si ce désir s'inscrit dans un ordre homogène,
en tant qu'il est entièrement articulable et assumable en termes
de réalité, s'il est du même ordre de la réalité,
alors en effet on conçoit ce paradoxe impliqué (p607->)
dans des formulations qui tiennent de l'expérience analytique la plus
quotidienne. C'est que le désir ainsi situé comporte que ce
soit sa maturation qui permette au monde de s'achever dans son objectivité.
Ceci fait à peu près partie du credo d'une certaine analyse.
Je veux simplement ici poser la question de ce que ceci
veut dire concrètement. Qu'est-ce qu'un monde pour nous vivants ?
Qu'est-ce que la réalité au sens ou par exemple la psychanalyse
hartmanienne celle qui donne toute la part qu'ils méritent aux éléments
structurants qui comporte l'organisation du moi en tant que le moi est adapté
à se déplacer d'une façon efficace dans la réalité
constituée, dans un monde qui est à peu près identique
pour l'instant à un champ tout au moins important de notre univers.
Ceci veut dire que la forme la plus typique de ce monde, la plus achevée
- je voudrais moi aussi me permettre de donner des images qui vous fassent
sentir ce dont nous parlons - la réalité adulte, nous l'identifierons,
pour fixer les idées, à un monde d'avocats américains.
Le monde d'avocats américains me paraît
actuellement le monde le plus élaboré, le plus poussé
qu'on puisse définir concernant le rapport avec ce que dans un certain
sens il faut s'entendre appeler la réalité : à savoir
que rien n'y manque d'un éventail qui part d'un certain rapport fondamental
de violence essentielle, marquée, toujours présente pour que
la réalité soit là quelque chose que nous puissions
dire n'être nulle part élidée, et s'étend jusqu'à
ces raffinements de procédure qui permettent dans ce monde d'insérer
toutes sortes de paradoxes, de nouveautés qui sont essentiellement
définis par un rapport à la loi, le rapport à la loi
étant essentielle-(p608->)ment constitué par les détours
nécessaires à obtenir sa violation la plus parfaite.
Voilà le monde de la réalité. Quel
rapport y-a-t-il entre ce monde et ce qu'on peut appeler un désir
mûr ; un désir mûr au sens où nous l'entendons,
à savoir maturation génitale, qu'est-ce ? La question assurément
peut être tranchée de plusieurs manières dont l'une
qui est celle de l'expérience, à savoir le comportement sexuel
de l'avocat américain.
Rien ne semble, jusqu'à ce jour, confirmer qu'il
y a un rapport, une corrélation exacte entre l'achèvement
parfait d'un monde aussi bien tenu en mains dans l'ordre de toutes les activités,
et une parfaite harmonie dans les rapports avec l'autre, pour autant que
ceux-ci comportent une réussite sur le plan de ce qu'on appelle l'accord
de l'amour. Rien ne le prouve, et presque personne même ne songera
à le soutenir - ceci aussi bien n'est après tout qu'une façon
globale, illustrative, de montrer où se pose la question.
La question se pose en ceci qu'une confusion est maintenue
à ce niveau à propos du terme objet entre la réalité,
au sens où nous venons de l'articuler, où il se situe-rait,
et le rapport du sujet à l'objet, pour autant qu'il implique connaissance,
d'une façon latente. Dans l'idée que la maturation du désir
est quelque chose qui comporte du même coup une maturation de l'objet,
il s'agit d'un bien autre objet que celui que nous pouvons effectivement
situer là . Un repérage objectif nous permet de caractériser
les rapports de réalité.
Cet objet dont il s'agit nous le connaissons depuis longtemps.
En-(p609->)core qu'il soit là tout à fait masqué,
voilé, il est cet objet qui s'appelle l'objet de la connaissance,
l'objet qui est le but, la visée, le terme d'une longue recherche
au cours des âges, de celle qui est là derrière les
fruits qu'elle a obtenus au terme de ce que nous appelons la science,
mais qui pendant longtemps dût traverser les voies d'un non-raffinement
( enracinement ? ), d'un certain rapport du sujet au monde. Raffinement (
enracinement ), je l'entends sur le plan philosophique de quelque chose dont
nous ne pouvons pas nier que ce soit sur son terrain que la science ait pu
prendre à un moment son départ originellement. Et c'est justement
ce qui, maintenant, la distingue comme un enfant qui prend son indépendance,
mais qui pendant longtemps en était nourri, de ce rapport de méditation
dont il nous reste des traces sous le nom de théorie de la connaissance,
et qui dans cet ordre s'est approché aussi loin qu'il se peut de
ce terme, de cette pensée d'un rapport de l'objet au sujet par quoi
connaître comporte une profonde identification, le rapport à
une connaturalité par quoi toute prise de l'objet manifeste quelque
chose d'une harmonie principielle.
Mais ceci, ne l'oublions pas, n'est que le fait d'une
expérience spécialisée, historiquement définissable
en plusieurs rameaux. Mais nous nous contenterons de nous reporter l'esprit,
en l'articulant, sur ce rameau qui est le nôtre, qui est celui de
la philosophie grecque. Cet effort d'assertion, de cernage de ce quelque
chose qui s'appelle objet, comporte une attitude principielle dont on aurait
tout à fait tort de considérer que nous pouvons maintenant,
une fois les résultats obtenus, l'élider, comme si sa position
de principe était sur son effet sans importance.
Assurément nous autres analystes sommes capables
d'introduire la (p610->) question de ce qui, dans cet effort de la connaissance,
était impliqué d'une position de désir. Nous ne ferons,
aussi bien ici qu'ailleurs, que retrouver quelque chose qui n'est pas passé
inaperçu à l'expérience religieuse qui, pour autant
qu'elle peut s'indiquer à elle-même d'autres fins, a individualisé
ce désir comme désir de savoir "cupido sciendi". Que
nous lui trouvions des assises plus radicales sous la forme de quelque pulsion
ambivalente du type de la scoptophilie, voire même de l'incorporation
orale, c'est là question où nous ne faisons qu'ajouter notre
touche, mais il y a une chose certaine, c'est qu'en tout cas tout ce développement
de la connaissance, avec ce qu'elle comporte comme portant ces notions implicites
de la fonction de l'objet, est le fait d'un choix.
Toute instauration, toute introduction à la position
philosophique n'a jamais été au cours des âges, sans
se faire reconnaître comme étant une position de sacrifice de
quelque chose. C'est pour autant que le sujet entre dans l'ordre de ce qu'on
appelle la recherche désintéressée - après tout
son fruit, l'objectivité, ne s'est jamais définie autrement
que comme l'atteinte d'une certaine réalité dans une perspective
désintéressée - dans l'exclusion au moins de principe
d'une certaine forme de désir, c'est dans cette perspective que s'est
constituée la notion de l'objet que nous réintroduisons parce
que nous savons ce que nous faisons, parce qu'elle est implicite à
ce que nous faisons quand nous la réintroduisons, quand nous supposons
qu'à toute notre investigation du désir nous pouvons, comme
virtuelle, comme latente, comme à retrouver, comme à obtenir,
mettre une correspondance de l'objet comme objet naturellement de ce que
nous avons exploré dans la perspective du désir.
(p611->) C'est par une confusion donc entre la notion
de l'objet, telle qu'elle a été le fruit de l'élaboration
des siècles dans la recherche philosophique, l'objet satisfaisant
le désir de la connaissance, avec ce que nous pouvons attendre de
l'objet de tout désir, que nous nous trouvons amenés à
poser aussi facilement la correspondance d'une certaine constitution de l'objet
avec une certaine maturation de la pulsion.
C'est m'opposant à cela que j'essaie pour vous
d'articuler autrement, et d'une façon que je prétends plus
conforme à notre expérience, à savoir de vous permettre
de saisir à chaque instant quelle est la véritable articulation
entre le désir et ce qu'on appelle à l'occasion son objet .
. C'est cela que j'appelle l'articulation synchronique que j'essaye d'introduire
auprès de vous, du rapport du désir à son objet. C'est
la forme vraie de la prétendue relation d'objet telle qu'elle est
jusqu'ici pour vous articulée.
La formule symbolique $
a , pour autant qu'elle est celle qui vous permet de donner sa
forme à ce que j'appelle le phantasme (fantasme) - je l'appelle
ici fondamentale, cela ne veut rien dire d'autre si ce n'est dans la perspective
synchronique qui assure la structure minima à ce qui doit être
le support du désir.
Dans cette structure minima, deux termes dont la relation
l'un à l'autre constitue le phantasme (fantasme), lui-même,
complexe pour autant que c'est dans un rapport tiers avec ce phantasme (fantasme)
que le sujet se constitue comme désir.
Nous prenons aujourd'hui la perspective tierce de ce
phantasme (fantasme) en faisant passer l'assomption du sujet par a
. Ce qui est tout aussi légitime que de le faire passer par $,
étant donné que c'est dans le rapport de confrontation à
$
a que se tient le désir.
(p612->) Déjà vous m'avez entendu articuler
les choses assez loin pour n'être point, je pense, étonnés,
déroutés, ni surpris, si j'avance que l'objet a se définit
d'abord comme le support que le sujet se donne pour autant qu'il défaille.
Ici arrêtons-nous un instant. Commençons
par dire quelque chose d'approximatif pour que cela vous parle au sens,
si je puis dire qu'il défaille dans sa certitude de sujet.
Et puis je me reprendrai pour le dire sous un autre terme parlant trop peu
à l'intuition pour que je n'ai pas craint de l'amener pour vous d'abord,
qui est pourtant le terme exact : pour autant qu'il défaille dans
sa désignation de sujet.
Car ce dont il s'agit repose tout entier sur ce qui
se passe pour autant, vous l'ai-je dit, que le sujet a comme tel ce désir
dans l'Autre. C'est pour autant que dans l'autre (l'Autre), dans
ce discours de l'autre (l'Autre) qu'est l'inconscient, quelque chose
fait défaut au sujet - nous y reviendrons tout à l'heure, nous
y reviendrons autant de fois qu'il faudra, nous y reviendrons jusqu'à
la fin - , c'est pour autant que quelque chose, de par la structure même
qu'instaure le rapport du sujet à l'Autre en tant que lieu de la
parole, quelque chose au niveau de l'Autre fait défaut qui permette
au sujet de s'y identifier comme précisément le sujet de ce
discours qu'il tient, ce quelque chose qui fait que le sujet y disparaît
comme tel en tant que ce discours est le discours de l'inconscient, que
le sujet emploie à cette désignation quelque chose qui est
(précisément) pris à ses dépens - à ses
dépens non pas de sujet constitué dans la parole, mais de
sujet réel, bel et bien vivant, c'est-à-dire de quelque chose
qui à soi tout seul n'est pas du tout un sujet -, que le sujet payant
le prix nécessaire à ce repérage de lui-même
en tant que défaillant est introduit à cette dimension toujours
(p613->) présente chaque fois qu'il s'agit du désir, à
savoir d'avoir à payer la castration.
C'est-à-dire que quelque chose de réel,
sur lequel il a prise dans un rapport imaginaire, est porté à
la pure et simple fonction de signifiant. C'est le sens dernier, c'est le
sens le plus profond de la castration comme telle. Le fait que la castration
soit intéressée dès que se manifeste d'une façon
claire le désir comme tel, c'est là la découverte essentielle
du freudisme, c'est la chose qui était jusque là méconnue,
c'est la chose qui a permis de nous donner toutes sortes de vues et d'aperçus
historiques auxquels on a donné des traductions diversement mythiques,
lesquelles elles-mêmes on a essayé ensuite de réduire
en termes développementaux.
La fécondité dans cette dimension n'a
pas été douteuse. Elle ne doit pas nous dispenser de rechercher
dans l'autre dimension que celle-là, diachronique, c'est-à-dire
dans la dimension synchronique . Quel est ici le rapport essentiel qui est
intéressé.
Le rapport qui est intéressé est celui-ci
: à savoir que le sujet payant - j'essaye là d'être
le plus imagé possible, ce ne sont pas toujours les termes les plus
rigoureux que j'amène - payant de sa personne doive suppléer
à ce rapport qui est rapport du sujet au signifiant où il
ne peut se désigner, où il ne peut se nommer comme sujet.
Il intervient par ceci dont nous pouvons trouver l'analogue dans la fonction
de certains symboles du langage, pour autant que les linguistes les distinguent
sous le terme de shifter symbols ( index ? ), nommément , - j'y ai
fait allusion, au pronom personnel,
pour autant que la notion symbolique, dans le système lexical, fait
qu'il est quelque chose qui désigne celui qui parle quand c'est le
Je.
(p614->) De même sur le plan de l'inconscient
qui, lui, n'est pas un symbole, qui est un élément réel
du sujet, a est ce qui intervient pour supporter ce moment, au sens synchronique,
où le sujet défaille pour se désigner au niveau d'une
instance qui, justement, est celle du désir.
Je sais ce que peut avoir de fatigant pour vous la gymnastique
mentale d'une articulation portée à ce niveau. Aussi bien
n'illustrerai-je, pour vous donner quelque relâche que certains termes
qui sont ceux de notre expérience concrète.
Le a, j'ai dit que c'était l'effet
de la castration. Je n'ai pas dit que c'était l'objet de la castration.
Cet objet de la castration nous l'appelons le phallus. Le phallus
qu'est-ce que c'est ? Il faut reconnaître que dans notre expérience,
quand nous le voyons apparaître dans les phallophanies, comme je le
disais la dernière fois, artificielles de l'analyse, - c'est là
aussi que l'analyse s'avère comme ayant été une expérience
absolument unique, originale ; dans aucune espèce d'alchimie thérapeutique
ou non du passé nous ne l'avions vu apparaître. Dans Jérôme
Bosch nous voyons des tas de choses, toutes sortes de membres disloqués,
nous voyons le flatus dont M. Jones a cru devoir retrouver plus tard le
prototype de celui [ . . . ] . Et vous savez que c'est rien moins qu'un
flatus odorant. Nous trouvons tout cela étalé sur des images
tout ce qu'il y a de plus manifestes. Le phallus vous pouvez remarquer
qu'on ne le voit pas souvent.
Nous, nous le voyons. Nous le voyons et nous apercevons
aussi qu'il n'est pas non plus très facile à désigner
comme étant ici ou là. Je ne veux faire là-dessus
qu'une référence, celle par exemple à notre expé-(p615->)rience
de l'homosexualité.
Notre expérience de l'homosexualité s'est
définie à partir du moment 1 ) où l'on a commencé
d'analyser les homosexuels. Dans un premier abord on ne les analysait pas.
Le Professeur Freud nous dit, dans les Trois essais sur la sexualité,
que l'homosexualité masculine - il ne peut pas à ce moment-là
avancer plus loin - se manifeste par cette exigence narcissique que l'objet
ne saurait être dépourvu de cet attribut considéré
par le sujet comme essentiel.
Nous commençons d'analyser les homosexuels. Je
vous prie de vous reporter à ce moment-là aux travaux de Boehm
tels qu'ils ont commencé vers les années 29 jusqu'à
33 et au-delà, à s'ordonner. Il a été un des
premiers. Je vous signale cela parce que c'est très exemplaire. D'ailleurs
j'ai indiqué la bibliographie de l'homosexualité quand je vous
ai parlé de l'importance des articles de [
) ( Sem IV?]. Le développement de l'analyse nous montre que
l'homosexualité est bien loin d'être une exigence instinctuelle
primordiale. Je veux dire, identifiable avec une pure et simple fixation
ou déviation de l'instinct.
2 ) Nous allons trouver dans un second stade que le
phallus, de quelque façon qu'il intervienne dans le mécanisme
de l'homosexualité, est bien loin d'être celui de l'objet,
que le phallus dont il s'agit est un phallus qu'on identifie peut-être
hâtivement au phallus paternel pour autant que ce phallus se trouve
dans le vagin de la femme. Et c'est parce que c'est là qu'il est,
là qu'il est redouté, que le sujet se trouve porté
jusqu'aux extrêmes et à l'homosexualité.
Voilà donc un phallus d'une toute autre portée,
d'une toute autre fonction, et d'une toute autre place que ce que nous avions
vu tout (p616->) d'abord.
Ce n'est pas tout. Après nous être réjouis,
si je puis dire, de tenir ce lièvre par les oreilles, voici que nous
poursuivons les analyses des homosexuels, et que nous nous apercevons qu'au
fond - c'est là que je me rapporte plus spécialement aux travaux
de Boehm particulièrement illustratifs et confirmés par une
expérience très abondante - l'image que nous rencontrons à
une date ultérieure, dans des structurations analytiques de l'homosexualité,
est une image qui pour se présenter comme l'appendice - nous l'attribuons
dans une première rayon (croyance) à la femme
pour autant qu'elle ne serait pas encore châtrée - se montre
à être serrée plus dans les détails comme quelque
chose qui est ce qu'on peut appeler l'évagination, l'extraposition
de l'intérieur de cet organe.
Que ce phantasme (fantasme), que justement nous
avons rencontré dans le rêve, et que j'ai si longuement analysé
pour vous, dont j'ai si longuement repris l'analyse devant vous, ce rêve
de ce chaperon retourné, d'appendice fait de quelque chose qui est
en quelque sorte l'extériorisation de l'intérieur, c'est là
quelque chose qui, dans une certaine perspective d'investigation s'avère
comme le terme imaginaire dernier auquel l'homosexuel dont il s'agit en
l'occasion - et il y en a plusieurs analysés par Boehm - se trouve
confronté lorsqu'il s'agit de lui montrer la dialectique quotidienne
de son désir.
Qu'est-ce à dire si ce n'est qu'ici le phallus
se présente bien sous une forme radicale où il est quelque
chose, pour autant que ce quelque chose est à montrer à l'extérieur,
ce qui est à l'intérieur imaginaire du sujet, que dans le
dernier terme il n'y a presque pas à se surprendre qu'une certaine
convergence s'établisse entre la fonction imaginaire de ce qui est
ici dans l'imaginaire en posture d'extraposition, (p617->) d'extirpation,
presque détaché, mais non encore détaché de
l'intérieur du corps, ce qui se trouve le plus naturellement pouvoir
être porté à la fonction de symbole, sans pour autant
être détaché de son insertion radicale, de ce qui le
fait ressentir comme une menace à l'intégrité de l'image
de soi . .
Cet aperçu étant donné, je ne veux
pas vous laisser là, car ce n'est pas cela qui va vous donner le
sens et la fonction de a en tant qu'objet dans toute sa généralité.
je vous ai dit : l'objet dans le phantasme (fantasme), c'est-à-dire
dans sa forme la plus achevée pour autant que le sujet est désir,
que le sujet est donc en imminence de ce rapport castratif, l'objet est
ce qui donne à cette position son support. Ici je voudrais vous
montrer dans quelle synchronie ceci peut s'articuler. Je souligne synchronie,
car aussi bien la nécessité du discours va forcément
vous en donner une formule qui elle sera diachronique. C'est-à-dire
que vous allez pouvoir confondre ce que je vais vous donner ici avec une
genèse. Il ne s'agit pourtant de rien de tel.
Ce que je veux vous indiquer par les rapports de l'être
(lettres) que je vais maintenant inscrire au tableau, c'est quelque
chose qui nous permet de situer à sa place cet acquis, et cet objet
dans son rapport au sujet comme en présence de la castration imminente
dans un rapport que provisoirement j'appellerai rapport de rançon
de cette position, puisque aussi bien il me faut accentuer ce que je veux
dire en parlant de rapport de support.
Comment ce rapport synchronique s'engendre-t-il ? Il est le
suivant. Si nous partons de la position subjective la plus originelle, celle
de la demande telle que nous la trouvons au niveau du (schéma)
illustrée comme l'illustration, l'exemple manifestable dans le com-(p618->)portement
qui nous permet de saisir dans son essence comment le sujet se constitue
en tant qu'il entre dans le signifiant .
Le rapport est le suivant : il va s'établir dans le très
simple algorithmes qui est celui de la division. Il est essentiellement
constitué par cette barre verticale . La barre horizontale étant
en l'occasion adjointe mais n'ayant rien d'essentiel puisqu'on peut la répéter
à chaque niveau.
Disons que c'est pour autant qu'est introduite par le
rapport le plus primordial du sujet le rapport de l'autre ( l'Autre ), en
tant que lieu de la parole, à la demande, que la dialectique s'institue,
dont le résidu va nous apporter la position de a, l'objet.
Je vous l'ai dit, par le fait que c'est en termes d'alternative
signifiante que s'articule primordialement, au départ du processus
qui est celui là, ce qui nous intéresse, que s'articule primordialement
le besoin du sujet, que s'instaure tout ce qui dans la suite va structurer
ce rapport du sujet à lui-même qui s'appelle le désir
.
L'Autre, pour autant qu'il est ici quelqu'un de réel
mais qui est interpellé dans la demande, se trouve en posture de
faire passer cette demande, quelle qu'elle soit, à une autre valeur
qui est celle de la demande d'amour comme telle, en tant qu'elle se réfère
purement et simplement à l'alternative présence-absence.
Et je n'ai pu manquer d'être surpris, touché,
voire ému, de retrouver dans les Sonnets de Shakespeare, littéralement
ce terme présence-absence, au moment où il s'agit pour lui
d'exprimer la relation de l'amour, avec un tiret ( ) SHAKESPEARE
W., Sonnets, trad. fr. P.-J. Jouve, Paris, 1969, Mercure
de France . .)
Voici donc le sujet constitué en tant que l'autre
(l'Autre) est un personnage réel, comme étant celui
par lequel la demande elle-même est chargée de signification
. Comme étant celui par qui la demande du sujet (p619->) devient
autre chose que ce qu'elle demande nommément, à savoir la satisfaction
d'un besoin. Il n'y a - c'est un principe que nous avons à maintenir
comme principe de toujours - de sujet que pour un sujet. C'est en tant que
l'autre (l'Autre) a été posé primordialement
comme celui qui en présence de la demande peut ou ne peut pas jouer
un certain jeu, c'est en tant que déjà comme terme d'une tragédie
que l'autre (l'Autre) est instauré comme sujet. Dès
lors, c'est à partir de ce moment que l'introduction du sujet, de
l'individu dans le signifiant prend fonction de le subjectiver.
C'est pour autant que l'autre (l'Autre) est un sujet
comme tel, que le sujet à ce moment s'instaure, et peut s'instituer
lui-même comme sujet, que s'établit à ce moment ce nouveau
rapport à l'autre (l'Autre) par quoi il a, dans cet Autre,
à se faire reconnaître comme sujet. Non plus comme demande,
non plus comme amour, mais comme sujet.
Ne croyez pas que je sois en train d'attribuer ici à
je ne sais quelle larve toutes les dimensions de la méditation philosophique.
Il ne s'agit pas de cela. Mais il ne s'agit pas de cela comme caché
non plus. Il s'agit de cela sous une forme bien concrète, et bien
réelle, à savoir ce quelque chose par quoi toute espèce
de fonction et de fonctionnement de l'autre (l'Autre) dans le réel,
comme répondant à sa demande, ce en quoi ceci a à trouver
sa garantie, la vérité de ce comportement quel qu'il soit,
c'est-à-dire précisément ce quelque chose qui est au
fond concret de la notion de vérité comme d'inter-subjectivité,
à savoir ce qui donne son sens plein au terme de truth en anglais,
qui est employé simplement pour exprimer la Vérité avec
un grand V, mais aussi bien ce que nous appelons dans une décomposition
du langage qui (p620->) se trouve être le fait d'un système
langagier, la foi en la parole. En d'autres termes, ce en quoi on peut compter
sur l'autre (l'Autre).
C'est de cela qu'il s'agit. Quand je vous dis qu'il
n'y a pas d'autre de l'autre (d'Autre de l'Autre), qu'est-ce que
cela veut dire si ce n'est justement cela qu'aucun signifiant n'existe qui
garantisse la suite concrète d'aucune manifestation de signifiants.
C'est là que s'introduit ce terme qui se manifeste en ceci qu'au
niveau de l'autre (l'Autre) quelque chose se manifeste comme un garant
devant la pression de la demande du sujet devant quoi ce quelque chose se
réalise d'abord et primordialement de ce manque par rapport auquel
le sujet aura à se repérer. Ce manque, observez le, se produit
au niveau de l'autre (l'Autre) en tant que lieu de la parole, non
pas au niveau de l'autre (l'Autre) en tant que réel. Mais
rien de réel du côté de l'autre (l'Autre) ne
peut y suppléer, si ce n'est par une série d'additions qui
ne seront jamais épuisées mais que je mets en marge, à
savoir le a (A) ou le c en tant qu'autre (Autre), en tant
qu'il se manifestera au sujet tout au cours de son existence par des dons
ou par des refus, mais qu'il ne se situera jamais qu'en marge de ce manque
fondamental qui se trouve comme tel au niveau du signifiant.
Le sujet sera intéressé historiquement
par toutes ces expériences avec d'autres (l'Autre) , l'autre
(Autre) maternel dans l'occasion. Mais rien de ceci ne pourra épuiser
le manque qui existe au niveau du signifiant comme tel, au niveau où
c'est à ce niveau que le sujet a à se repérer pour se
constituer comme sujet, au niveau de l'autre (l'Autre).
C'est là que pour autant que lui-même se
trouve marqué de cette (p621->) défaillance, de cette non
garantie, au niveau de la vérité de l'autre (l'Autre),
qu'il aura à instituer ce quelque chose que nous avons déjà
essayé d'approcher tout à l'heure sous la forme de sa genèse,
ce quelque chose qui est a ; ce quelque chose qui se trouve soumis à
cette condition d'exprimer sa tension dernière, celle qui est le
reste, celle qui est le résidu, celle qui est en marge de toutes
ces demandes, et qu'aucune de ces demandes ne peut épuiser ; ce quelque
chose qui est destiné comme tel à représenter un manque
et à le représenter avec une tension réelle du sujet.
Ceci est, si je puis dire, l'os de la fonction de l'objet
dans le désir. C'est ce qui vient en rançon du fait que le
sujet ne peut se situer dans le désir sans se châtrer, autrement
dit sans perdre le plus essentiel de sa vie. Et c'est aussi bien ce autour
de quoi se situe cette forme, une des plus exemplaires du désir, celle
que déjà le propos de Simone Weil vous proposait comme ceci
: si l'on savait ce que l'avare enferme dans sa cassette on en saurait dit-elle
beaucoup sur le désir .
Bien sûr, c'est justement pour garder sa vie que
l'Avare - et c'est une dimension essentielle observez-le - renferme dans
quelque chose, dans une enceinte, a, l'objet de son désir ; et dont
vous allez voir que de ce fait même cet objet se trouve un objet mortifié
. C'est pour autant que ce qui est dans la cassette est hors du circuit
de la vie, en est soustrait et conservé comme étant l'ombre
de rien qu'il est l'objet de l'Avare. Et aussi bien ici se sanctionne la
formule que qui veut garder sa vie, la perd . Mais ce n'est pas dire si
vite que celui qui consent à la perdre la retrouve comme cela, directement.
(p621bis->) (absente dans l'original)
( Où il la retrouve, c'est ce que nous essayerons de voir
à la suite. Assurément ce n'est pas un des moindres prix du
chemin que nous avons parcouru aujourd'hui, de nous faire voir que le chemin
où il s'engage pour la retrouver va lui présenter en tout
cas ce qu'il consent à perdre - à savoir le phallus. S'il
en a fait, nous l'avons indiqué comme une étape nécessaire,
son deuil à un moment, il ne peut l'apercevoir, le viser que comme
un objet caché.
Que le terme du a en tant que terme opaque, en tant
que terme obscur, en tant que terme participant d'un rien auquel il se réduit,
c'est au-delà de ce rien qu'il va chercher l'ombre de sa vie d'abord
perdue - ce relief du fonctionnement du désir qui nous montre que
cela n'est pas seulement l'objet primitif de l'impression primordiale, dans
une perspective génétique, qui est l'objet perdu à retrouver.
Qu'il est de la nature même du désir de constituer l'objet
dans cette dialectique, c'est cela que nous reprendrons la prochaine fois.)