6 Mars
1968
P Je ne connais pas tout
de la poésie
U J'ignore tout
P I dont know everything
about poetry
U I dont know anything
|
J'ai écrit "Je ne connais pas" et "j'ignore". Ce "Je
ne connais pas" et ce "j'ignore", je les confronte à quelque chose
qui va me servir de base : "de la poésie".
Pour plus de rigueur, je dis que je pose que je ne connais
pas équivaut à j'ignore. J'admets, je prends que la négation
est incluse dans le terme " j'ignore ". Bien sûr, une autre fois, je
pourrais revenir sur l'ignosco et sur ce qu'il indique très précisément
dans la langue latine d'où il nous vient. Mais logiquement je pose
aujourd'hui que les deux termes sont équivalents. C'est à partir
de cette supposition que la suite va prendre sa valeur.
J'écris deux fois le mot tout. Ceux-là sont
bien équivalents. Qu'en résulte-t-il ? Que, par l'introduction
deux fois répétée à ces deux niveaux de ce terme
identique, j'obtiens deux propositions de valeur essentiellement différente.
Ce n'est pas la même chose de dire je ne connais pas tout
de la poésie ou j'ignore tout de la poésie
". De l'une à l'autre il y a la distance - je le dis tout de
suite pour éclairer, puisque c'est nécessaire, où je
veux en venir - c'est à la distinction signifiante, je veux dire en
tant qu'elle peut être déterminée par des procédés
signifiants entre ce qu'on appelle une proposition universelle, pour s'exprimer
avec Aristote, et aussi bien d'ailleurs avec tout ce qu'il s'est prorogé
de logique depuis.
Où est donc le mystère si ces signifiants
sont équivalents terme à terme? Mettons qu'ici nous l'ayons
posé par convention, je le répète, ce n'est qu'un scrupule
autour de l'étymologie de j'ignore ; j'ignore
veut dire bel et bien ce qu'il veut dire dans l'occasion: je ne sais pas,
je ne connais pas. Comment cela aboutit-il à deux propositions
dont l'une se présente bien comme se référant à
un particulier de ce champ de la poésie (il y en a là-dedans
que je ne connais pas; je ne connais pas tout de la poésie) et cette
proposition bel et bien universelle, encore que négative : de tout
ce qui est du champ de la poésie, je n'en connais rien, je n'entrave
que couic (ce qui est le cas général).
Est-ce que nous allons nous arrêter à ceci
qui, tout de suite, nous introduit dans la spécificité d'une
langue positive, dans l'existence particulière du français
qui, comme nous l'ont exposé dans leur temps des gens fort savants,
présente de la duplicité des termes où s'y appuie la
négation, à savoir que le ne qui semble le support suffisant,
(adjonctif comme on dit) nécessaire et suffisant à la fonction
négative, s'appuie, en apparence se renforce, mais peut-être
après tout se complique de cette adjonction d'un terme dont seul l'usage
de la langue nous permet de voir à quoi il sert. Là-dessus
quelqu'un qu'en marge je ne peux faire que de citer, à savoir un col,
lègue psychanalyste et éminent grammairien du nom de Pichon,
dans l'ouvrage qu'avec son oncle Damourette il a excogité sur la grammaire
française, a introduit de fort jolies considérations, dans
la ligne de ce qui était sa méthode et son procédé,
concernant ce qu'il appelle la fonction plutôt discordantielle du ne
et plutôt forclusive du pas . Il a dit là-dessus
des choses fort subtiles et fort nourries de toutes sortes d'exemples pris
à tous les niveaux et fort bien choisis sans, je pense, être
dans l'axe qui, tout au moins pour nous, peut être d'une véritable
importance.
Comment cette importance est déterminée
pour nous, c'est ce que je vous ferai entendre, du moins je l'espère,
par la suite, et pour l'instant à me référer simplement
à cette spécificité de la langue française; je
ne veux prendre que l'appui de ce quelque chose qui doit bien se produire
ailleurs aussi, si il se produit dans notre langue, c'est que, par exemple,
on pourrait soulever ceci ; c'est que si le résultat de cet énoncé
tenait par exemple au fait que nous puissions grouper le pas tout, auquel
cas le sens de la phrase reviendrait, rendant superflu, en quelque sorte,
permettant d'élider, comme il arrive dans la conversation familière
(je ne dis pas de supprimer, d'élider, de faire rentrer dans la gorge
le ne) j'connais pas tout avec pas tout
ensemble, ce serait la non séparabilité de la négation,
que nous pouvons appeler incluse au terme de j'ignore , et qui
serait là le ressort, et tout le monde serait bien content. Je ne
vois pas pourquoi on ne se satisferait pas de cette explication s'il ne s'agissait,
bien sûr, que de résoudre cette petite énigme; c'est
drôle mais enfin ça ne va peut-être pas si loin que ça
en a l'air.
Si, ça va plus loin, comme nous allons essayer
de le démontrer en nous référant à une autre
langue, la langue anglaise par exemple.
Essayons de partir de quelque chose qui correspond comme
sens à la première phrase :
I dont
know everything
about poetry.
et l'autre phrase :
I don't know anything about
poetry.
Ce qui va pourtant nous apparaître, en considérant
les choses exprimées dans cette autre langue, c'est que, pour produire
ces deux sens équivalents à la distance des deux premiers,
l'explication que nous avons tout à l'heure évoquée
du blocage des deux signifiants ensemble va se trouver obligatoirement inversée,
car ce blocage du pas avec le terme tout dans le premier exemple se trouve
ici réalisé - au niveau signifiant j'entends - dans ce qui
correspond à la seconde articulation, la seconde proposition, celle
que nous avons qualifiée d'universelle.
Anything , comme chacun sait, est en effet là
comme l'équivalent de something , quelque chose qui se
transforme en anything dans la mesure où c'est
au titre négatif qu'il intervient.
Par conséquent, notre première explication
n'est pas pleinement satisfaisante, puisque c'est par quelque chose de tout
opposé, c'est par un blocage fait au niveau de la seconde phrase,
celle qui réalise dans l'occasion l'universelle, que se produit ce
blocage, ce détachement également ambigu d'ailleurs, le don't
ne disparaissant pas pour autant pour obtenir ce sens, je n'entrave rien
à la poésie.
Par contre c'est là où everything
se trouve conjoint avec le I dont know , que se réalise
le premier sens. Ceci est bien fait pour nous faire réfléchir
à quelque chose qui n'intéresse rien de moins que, comme je
vous l'ai déjà dit, abattant mes cartes, ce dont il s'agit
quant au mystère des relations de l'universel et du particulier.
Nous tâcherons de dire tout à l'heure quelle
était la préoccupation fondamentale de celui qui a introduit
cette distinction dans l'histoire, à savoir Aristote.
Chacun sait que, sur ce sujet du biais dont il faut prendre
ces deux registres de l'énoncé, il s'est produit une sorte
de petite révolution de l'esprit, celle que j'ai déjà
à plusieurs reprises épinglée de l'introduction des
quantificateurs.
Il y a peut-être quelques personnes ici - j'aime
à le supposer - pour qui ce n'est pas simplement un chatouillage de
l'oreille. Mais il doit y en avoir également beaucoup pour qui ce
n'est vraiment que l'annonce que j'ai faite qu'à un moment donné,
j'en parlerai et - Dieu sait comment - il va bien falloir que je vous en
parle par le point où ça nous intéresse, le point où
j'en suis, le point donc où il m'a semblé que ça pouvait
nous servir, c'est-à-dire que je ne peux pas vous en donner toute
l'histoire, tous les antécédents, comment c'est surgi, ça
a émergé, ça s'est perfectionné et comment (en
fin de compte, c'est à ça qu'il faut que je me limite) c'est
pensé par ceux qui en usent : comment le savoir? car il n'est pas
sûr du tout que, parce qu'ils s'en servent, ils le pensent, je veux
dire qu'ils situent d'aucune façon ce que leur façon de s'en
servir implique au niveau du penser.
Alors, je vais bien être forcé d'en partir
de la façon dont moi je le pense, au niveau qui je pense vous intéresse,
c'est-à-dire au niveau où ça peut, à nous, nous
servir à quelque chose.
Au niveau d'Aristote, tout repose sur ceci, qui est désigné
dans quelque chose qui est un signe, ce qu'il croit pouvoir se permettre,
il se permet d'opérer ainsi, à savoir que, s'il a dit que tout
homme est un animal, il peut à toutes fins utiles, si ça lui
semble pouvoir servir à quelque chose, en extraire : " quelque homme
est un animal ".
C'est ce que nous appellerons - ce n'est pas tout à
fait le terme dont il se sert - puisqu'il s'agit d'un rapport qu'on a qualifié
de subalterne entre l'universelle et la particulière, une opération
de subalternation.
J'aurai probablement plus d'une fois à faire quelque
remarque incidente sur le fait, la façon dont on nous rebat les oreilles
de « l'homme » dans les exemples, les illustrations que donnent
les logiciens de leurs élaborations, qui n'est sans doute pas sans
avoir une valeur symptomatique. Nous pouvons commencer à nous en douter
dans toute la mesure où nous nous sommes fait la remarque que peut-être,
l'homme, nous ne savons pas si bien ce que c'est que ça. Enfin ça
nous entraînerait . . .
La question de savoir si deux ensembles, dit-on de nos
jours, peuvent avoir quelque chose de commun est une question grave qui est
en train de comporter toute une révision de la théorie mathématique
car, après tout, nous pourrions fort bien dès l'abord, et sans
nous mettre à faire des gestes vains, j'ose le dire, comme celui de
notre ami Michel Foucault donnant l'absoute à un humanisme depuis
déjà tellement longtemps crevé qu'il s'en va au fil
de l'eau sans que personne sache où il est parvenu, comme si ça
faisait encore question et comme si c'était là l'essentiel
de la question concernant le structuralisme - passons... Disons simplement
que, logiquement, nous pouvons seulement retenir ceci que seul nous importe,
si nous parlons de la même chose quand nous disons - logiquement j'entends
- tout homme est un animal ou, par exemple, tout homme parle; la question
de savoir si deux ensembles, je vous le répète, peuvent avoir
un élément commun est une question qui est très sérieusement
soulevée pour autant qu'elle soulève ceci, à savoir
ce qu'il en est de l'élément, si l'élément lui-même
ne peut être - c'est le fondement de la théorie des ensembles
- que quelque chose à propos de quoi vous pouvez spéculer exactement
comme si c'était un ensemble; c'est là que commence à
pointer la question, mais laissons.
Vous savez que la patrie est à la fois la réalité
la plus belle, et que bien sûr il va de soi que tout Français
doit mourir pour elle. Mais c'est à partir du moment où vous
subalternez pour savoir si quelque Français doit mourir pour elle
qu'il me semble que vous devez vous apercevoir que l'opération de
subalternation présente quelques difficultés, parce que tout
Français doit mourir pour elle et quelque Français doit
mourir pour elle, ce n'est pas du tout la même chose! C'est des
choses dont on s'aperçoit tous les jours.
C'est là qu'on s'aperçoit ce que traîne
d'ontologie, c'est-à-dire de quelque chose qui est un peu plus que
ce qui était sa visée en faisant une logique, une logique formelle,
ce que d'ontologie traîne encore sa logique.
. . . J'évite, je vous assure, beaucoup de digressions,
je voudrais que vous ne perdiez pas mon fil...
Là, je vais introduire
d'emblée, par un procédé d'opposition évidemment
un petit peu tranchant - je me réjouis, peut-être à tort,
mais d'habitude il y a un éminent logicien qui est ici au premier
rang, je le regarde toujours du coin de l’œil pour voir le moment où
il va pousser des hurlements, il n'est pas là aujourd'hui, je ne crois
pas le voir, ça me rassure à la fois, puis ça m'ennuie
d'autre part, j'aurais bien aimé savoir ce qu'il m'en dirait à
la fin, d'habitude il me serre la main et il me dit qu'il est tout à
fait d'accord, ce qui me fait toujours un grand bien, non pas du tout que
j'ai besoin qu'il me le dise pour savoir naturellement où je vais,
mais chacun sait que, quand on s'aventure dans des terrains qui ne sont pas
à proprement parler les vôtres, on est toujours à la
portée de... pan pan! Or moi, bien sûr, ça n'est pas
d'empiéter sur des terrains qui ne sont pas les miens qui m'importe,
c'est de trouver, au niveau de la logique, quelque chose qui soit pour vous
un exemple, un fil, un guide exemplificateur des difficultés auxquelles
nous avons affaire, nous, ceux au nom de qui je vous parle, ceux aussi à
qui je parle - et cette ambiguïté est là bien essentielle
- à savoir les psychanalystes au regard d'une action qui ne concerne
rien de moins et rien d'autre que ce que j'ai essayé pour vous de
définir comme « le sujet ». Le sujet, ce n'est pas l'homme.
S'il y a des gens qui ne savent pas ce que c'est que l'homme, c'est bien
les psychanalystes. C'est même tout leur mérite de le mettre
radicalement en question, je parle en tant qu'homme, pour autant que ce mot
ait même encore une apparence de sens pour quiconque.
Alors je passe au niveau de la logique des quantificateurs,
et je me permets, avec ce côté bulldozer que j'emploie de temps
en temps, d'indiquer que la différence radicale dans la façon
d'opposer l'universel au particulier, au niveau de la logique des quantificateurs,
réside en ceci (naturellement, quand vous ouvrirez des bouquins là-dessus,
vous vous y retrouverez avec ce que je vous dis, vous pourrez bien sûr
voir que ça peut être abordé de mille autres façons,
mais l'essentiel, c'est que vous voyiez que c'est ça le fil principal,
au moins pour ce qui nous intéresse ) que l'universelle, du moins
affirmative, doit s'énoncer ainsi : pas d'homme qui ne soit sage.
Voilà, croyez-m'en au moins pour un instant, l'important,
c'est que vous puissiez suivre le fil pour voir où je veux en venir,
qui donne la formule de l'universelle négative, à savoir ce
qui, dans Aristote, s'articulerait : tout homme est sage, énoncé
rassurant qui, dans l'occasion d'ailleurs, n'a aucune espèce d'importance.
Ce qui nous importe, c'est de voir l'avantage que nous pouvons trouver, cet
énoncé, à l'articuler autrement.
Là, tout de suite, vous pouvez remarquer que cette
universelle affirmative viendra mettre en jeu pour se supporter rien de moins
que deux négations. Il importe que vous voyiez dans quel ordre les
choses vont se présenter : mettons à gauche les formes aristotéliciennes,
universelle affirmative et négative ; ce sont les lettres A et E qui
les désignent dans la postérité d'Aristote, et les lettres
I et O sont les particulières, 1 étant la particulière
affirmative (tous les hommes sont sages, quelque homme est sage).
Comment, dans notre articulation quantificatrice, " quelque
homme est sage " va-t-il pouvoir s'exprimer ?
J'avais dit d'abord, pas d'homme qui ne soit
sage . Nous articulons maintenant, Il est homme qui soit sage
ou homme qui soit sage mais ce homme
qui resterait suspendu en l'air, nous le supportons comme il convient d'un
il est , de même que pas d'homme qui ne soit sage
, c'est il n'est homme qui ne soit sage .
Mais vous voyez aussi qu'il y a plus du ne
au niveau du ne soit sage , il faut que ce soit pour qu'il y
ait le sens qui soit sage . Ou, si vous voulez articuler encore
il est homme tel qu'il soit sage , ce tel que
n'a rien d'abusif car vous pouvez aussi le mettre au niveau de l'universelle
: il n'est homme tel qu'il ne soit sage .
Pour donc faire l'équivalent de notre subalternation
aristotélicienne, nous avons dû effacer deux négations.
Ceci est fort intéressant parce que d'abord nous pouvons voir qu'un
certain usage de la double négation n'est pas du tout fait pour se
résoudre en une affirmation, mais justement à permettre selon
le sens où elle est employée, cette double négation,
soit qu'on l'ajoute, soit qu'on la retire, d'assurer le passage de l'universel
au particulier.
Voilà qui est frappant et destiné à
nous faire nous demander qu'est-ce qu'il faut bien dire pour que, dans certains
cas, la double négation, nous puissions l'assimiler au retour à
zéro, c'est-à-dire ce qu'il y avait comme affirmation au départ,
et dans d'autres cas avec ce résultat.
Mais continuons de nous intéresser à ce
que nous offre comme propriété ce dont nous sommes partis comme
fonctionnement que nous avons épinglé, parce que c'est juste,
parce que c'est à cela que ça répond opération
quantificatrice. N'enlevons qu'une négation, la première :
il est homme tel qu'il ne soit sage . Là aussi, je particularise,
et d'une façon qui correspond à la particulière négative.
C'est ce qu'Aristote appellerait quelque homme n'est pas sage
.
A la vérité, dans Aristote, ce pas
sage - non plus de subalternation mais de subalternation opposée
qui est diagonale, opposition de A à O, de tout
homme est sage à quelque homme n'est pas
sage - c'est ce qu'il appelle contradictoire .
L'usage du mot contradiction nous intéresse, nous,
les analystes, d'autant plus que, comme au dernier séminaire fermé,
M. Nassif l'a rappelé, c'est un point tout à fait essentiel
pour les psychanalystes que Freud leur ait sorti une fois cette vérité
assurément première que l'inconscient ne connaît pas
la contradiction.
Seul inconvénient : (on ne sait jamais les fruits
que porte ce que vous énoncez comme vérité, surtout
première), c'est que ceci a eu pour conséquence que les psychanalystes,
à partir de ce moment là, se sont crus en vacances, si je puis
dire, à l'endroit de la contradiction et qu'ils ont cru que du même
coup cela leur permettrait eux-mêmes de n'en rien connaître,
c'est-à-dire de ne s'y intéresser à aucun degré.
C'est une conséquence manifestement abusive. Ce
n'est pas parce que l'inconscient, même si c'était vrai, ne
connaîtrait pas la contradiction que les psychanalystes n'auraient
pas à la connaître, ne serait-ce que pour savoir pourquoi il
ne la connaît pas, par exemple !
Enfin, remarquons que " contradiction " mérite
un examen plus attentif, que naturellement les logiciens ont fait depuis
longtemps, et que c'est tout autre chose que de parler de contradiction au
niveau du principe de contradiction, à savoir que A ne saurait
être non-A du même point de vue et à la même
place, et le fait que notre particulière négative ne soit là
contradictoire. C'est vrai, elle l'est. Mais vous voyez que dans le biais
Il est homme tel qu'il ne soit sage , je ne la porte, au regard
de la formule qui nous a servi de point de départ, fondée sur
la double négation, je ne la porte qu'à la position d'exception.
Bien sûr, l'exception ne confirme pas la règle,
contrairement à ce qui se dit couramment et qui arrange tout le monde.
Ça la réduit simplement à la valeur de règle
sans valeur nécessaire, c'est-à-dire ça la réduit
à la valeur de règle; c'est même la définition
de la règle.
Alors vous commencez à voir combien les choses
peuvent prendre pour nous d'intérêt. Je fais ici appel à
mon auditoire psychanalytique pour lui permettre un peu de ne pas s'ennuyer.
Vous voyez l'intérêt de ces articulations qui nous permettent
de nuancer des choses aussi intéressantes que celle-ci par exemple,
que ce n'est pas pareil de dire (c'est pourquoi j'ai fait cette distinction
au niveau de la contradiction) l'homme est non femme -
là, bien sûr, on nous dira que l'inconscient ne connaît
pas la contradiction - mais ce n'est pas tout à fait pareil de dire
(universelle) pas d'homme (il s'agit du sujet, bien sûr)
qui n'exclue la position féminine, la femme, ou (l'état d'exception
et non plus de contradiction) " il est homme tel qu'il n'exclut pas la femme
".
Ceci peut vous montrer
cependant ce qu'il peut y avoir de plus maniable et de destiné à
montrer l'intérêt de ces recherches logiques, même au
niveau où le psychanalyste se croit (chose qui mérite bien,
avec le temps, de s'appeler obédience) obligé d'avoir le regard
fixé sur l'horizon du préverbal.
Continuons, nous, par contre, notre petit chemin en faisant
une expérience.
Il est homme tel qu'il ne soit sage ai-je
dit. Vous avez pu remarquer que le " pas ", nous nous en sommes jusqu'à
présent passés. Essayons de voir ce que ça va faire.
" Il est homme tel qu'il soit - par exemple - pas sage ". Ça n'a pas
d'inconvénient, ça veut dire pareil : il y en a toujours qui
ne sont pas sages.
Méfions-nous : ce " pas sage " pourrait bien nous
servir de passage vers quelque chose d'un peu inattendu.
Si on remet le " ne ", ça va toujours : " il est
homme tel qu'il ne soit pas sage ", ça peut encore aller.
Venons-en au " pas sage " et revenons en diagonale à
A, l'universelle affirmative d'Aristote étant la locution
quantificatrice : " Pas d'homme tel qu'il ne soit pas sage ". C'est que ça
fait un drôle de sens, tout d'un coup : c'est l'universelle négative
: ils sont tous pas sages.
Qu'est-ce qui a bien pu se produire ? Ce " pas " ajouté
qui était parfaitement tolérable au niveau de la particulière
négative, voilà que si nous le mettons au niveau de ce qui
était auparavant l'universelle affirmative, qui paraissait tout à
fait désignée pour aussi bien le tolérer, avec ce "
pas ", voilà qu'elle vire au noir et à je ne sais pas quelle
couleur à E dans le sonnet de Rimbaud ; mais au niveau aristotélicien,
il est noir, c'est l'universelle négative : " ils sont tous pas sages
".
Je vais tout de suite vous dire l'enseignement que nous
allons tirer de cela. C'est évidemment quelque chose qui nous fait
toucher du doigt que la relation des deux " ne " telle qu'elle existe dans
la structure fondamentale de l'universelle affirmative quantifiée
qui est cette formule " il n'est rien qui ne " a quelque chose qui se suffit
en soi-même, et nous en avons la preuve dans la libération de
ce " pas " qui tout d'un coup se trouve, inoffensif ailleurs, ici avoir fait
virer une universelle dans l'autre.
C'est ce qui nous permet d'avancer et d'affirmer que la
distinction de l'opération quantificatrice, quand nous la mettons
à sa fonction rectrice, fonction de régime de l'opération
logique, se distingue en ceci de la logique d'Aristote qu'elle substitue,
à la place où l'ousia (
), l'essence, l'ontologique n'est pas éliminé, à la
place du sujet grammatical, le sujet qui nous intéresse en tant que
sujet divisé, à savoir la pure et simple division comme telle
du sujet en tant qu'il parle, du sujet de l'énonciation en tant que
distinct du sujet de l'énoncé.
L'unité où se présente cette présence
du sujet divisé, ça n'est rien d'autre que cette conjonction
des deux négations, et aussi bien c'est celle qui motive que pour
vous la présenter, pour l'articuler devant vous, que vous l'ayez remarqué
ou pas - mais il est temps qu'on le remarque - les choses n'allaient pas
sans l'emploi d'un subjonctif. " Il n'est rien qui ne soit " sage ou pas
sage, la chose importe peu. C'est ce " soit " qui marque la dimension de
ce glissement de ce qui se passe entre ces deux " ne " et qui est précisément
là où va jouer la distance qui subsiste toujours de l'énonciation
à l'énoncé.
Ce n'est donc pas pour rien qu'en vous donnant, il y a
quelques séances, le premier exemple de ce qu'il en est de la formulation
de Peirce, je vous ai bel et bien fait remarquer que, dans cette exemplification
que je vous ai montrée de ces petits traits répartis, bien
choisis, en quatre cases, ce qui constituait le véritable sujet de
tout universel, c'est essentiellement le sujet en tant qu'il est essentiellement
et fondamentalement ce pas de sujet, qui déjà s'articule dans
notre façon de l'introduire : " pas d'homme qui ne soit sage " .
Il est difficile de se maintenir sur ce tranchant. Très
exactement la théorie, bien sûr, est faite pour l'éliminer.
Je veux dire que ce qui nous intéresse, c'est que la théorie
des quantificateurs, si nous l'articulons, nous force à y déceler
ce relief et cette fuite irréductible qui fait que nous ne savons
où glisse le nerf proprement instituant de ce qui ne semble d'abord
que négation répétée et qui est au contraire
négation créatrice en tant que c'est d'elle que s'instaure
la seule chose qui soit vraiment digne d'être articulée dans
le savoir, c'est à savoir l'universelle affirmative, ce qui vaut toujours
et en tout cas, cela seul nous intéresse.
C'est ainsi que vous verrez se formuler sous la plume
des logiciens de la quantification que nous pouvons faire l'équivalence
de ce qui est exprimé par un
, à savoir la valeur universelle d'une proposition écrite telle
que
x Fx nous devons l'écrire dans les
termes algébrisés de la logique symbolique, à savoir
que cette vérité universelle
vaut pour tout x, que x fonctionne dans la fonction Fx
à savoir - par exemple - dans l'occasion la fonction d'être
sage, et que l'homme sera un x qui sera toujours à sa place
dans cette fonction.
La transformation qui nous est donnée comme recevable
dans la théorie des quantificateurs se représente ainsi : par
-
x, ce étant le symbole qui spécifie pour nous la
quantification l'existence d'un x, d'une valeur de x telle
qu'elle satisfasse la fonction Fx, et on nous dira que x F x
peut être traduit par un -
x à savoir qu'il n'existe pas de x qui soit tel qu'il mette la
fonction Fx en l'air -
x Fx . Bref, que la conjonction de ces deux signes moins (et c'est bien
quelque chose qui se trouve recouvrir la forme articulée langagièrement
nuancée sous laquelle je vous l'ai avancée) suffise à
symboliser la même chose, ce n'est point vrai, car il est bien clair
que tout moins qu'ils soient dans la symbolisation logique, ces deux moins
n'ont pas la même valeur, qu'il n'existe pas de x qui, ai-je été
amené à vous dire, mette en l'air c'est-à-dire rende
fausse la fonction Fx. J'ai symbolisé ces deux termes; celui de la
non existence et celui de l'effet, qui se soldent par la fausseté
de la fonction, ne sont pas du même ordre. Mais c'est précisément
ce dont il s'agit. C'est de masquer quelque chose qui est justement la fissure
et tout à fait essentiel pour nous à déterminer et à
fixer dans son plan, qui est la distance du sujet de l'énonciation
au sujet de l'énoncé, comme je vous le ferai par exemple encore
remarquer à propos d'une autre façon, au niveau d'autres auteurs,
de donner de la fonction une image qui soit plus maniable au niveau de son
application proprement prédicative, car à la vérité
Fx peut désigner toutes sortes de choses, y compris toutes espèces
de formules mathématiques que vous pouvez y appliquer. C'est la formule
la plus générale.
Par contre, si vous voulez rester au niveau de mon tout
homme est sage , voilà la formule (
) :avec le signe de disjonction V (ou) que j'avais déjà
mis l'autre fois au tableau, formule à laquelle, selon les logiciens
qui ont introduit la quantification; il suffirait d'ajouter le
du
ou le
pour en faire une proposition universelle ou particulière
(
): et qui voudrait dire qu'en somme ce à quoi nous avons affaire,
c'est à la disjonction de pas homme et de ce s ; cela veut dire que
si nous choisissons le contraire dupas homme c'est-à-dire l'homme,
nous avons la disjonction il est sage, soit dans tous les cas, soit dans
certains cas particuliers.
Si nous prenons la négation du sage, c'est-à-dire
si nous renonçons au sage, nous sommes de l'autre côté
de la disjonction, à savoir du côté du pas homme; cela
peut encore aller, jusqu'à ce point.
Mais ceci n'implique nullement l'exigence du non sage
pour ce qui n'est pas homme. Or ceci n'est pas indiqué dans la formule.
Il faudrait pour cela que la disjonction soit marquée par exemple
comme cela
(
) donc un signe qui serait l'inverse de celui de la racine carrée,
ceci est destiné à nous montrer qu'au regard de l'implication,
si nous savons ici, en somme, au niveau de l'universel qu'homme implique
sage, que non sage, certes, n'implique pas homme, mais que sage est parfaitement
compatible, lui aussi, avec pas homme, c'est-à-dire qu'il peut y avoir
quelque chose d'autre que l'homme qui soit sage, ceci est élidé
dans la façon de présenter toute crue la formule de la disjonction,
entre un sujet négativé et le prédicat qui ne l'est
pas.
Point aussi où se démontre quelque chose
qui, dans le système dit de la double négation, à s'exprimer
de cette scription qui est celle de Mitchell, laisse toujours échapper
ce quelque chose qui, cette fois-ci, loin de suturer la fissure, la laisse
à son insu béante, confirmation que, de fissure, c'est là
toujours ce dont il s'agit.
En d'autres termes, ce dont il s'agit, concernant la logique,
formelle s'entend, est toujours ceci : de savoir ce qui peut se tirer, et
jusqu'où, d'un énoncé, à savoir d'obtenir un
énoncé fiable; c'est bien de là aussi qu'était
parti Aristote.
Aristote, bien sûr, ne disons pas qu'il était à l'aurore
de la pensée, parce que le propre de la pensée est précisément
de n'avoir jamais eu d'aurore; elle était déjà très
vieille et il en savait quelque chose. Il en savait ceci particulièrement
que, bien sûr il ne serait même pas question de savoir s'il n'y
avait le langage; ça ne suffit pas, bien sûr, à ce que
le savoir ne dépende que du langage, mais lui, ce qui lui importait,
c'était de savoir justement, à cause de ceci que la pensée
ne datait pas d'hier, ce qui d'une énonciation pouvait faire une chose
nécessaire; pas moyen de céder sur ce point. La première
(ananke) est l'
du discours.
La logique formelle d'Aristote était le premier
pas pour savoir ce qui proprement et comme distingué comme tel, au
niveau de l'énoncé, pouvait se formuler comme donnant de cette
source - ce qui ne veut pas dire que ce fût la seule, bien sûr
- sa nécessité à l'énonciation, c'est-à-dire
que là, il n'y a pas moyen de reculer. Aussi bien c'est le sens qu'avait
à cette époque le terme d'
(épistémè) : c'est celui d'une énonciation sur
la distinction de l'
et de la doxa (
) n'est rien d'autre qu'une distinction qui se situe au niveau du discours.
C'est sa différence avec ce qu'est pour nous la
science, à aller dans le même sens, à savoir d'un énoncé
strictement fiable, et bien pour nous, c'est sûr, qui avions fait quelques
productions inédites concernant ce qu'il en est de l'énoncé,
et d'ailleurs pas dans d'autres endroits que les mathématiques; ces
lois de l'énoncé, pour être fiables sont devenues, deviennent
encore chaque jour de plus en plus exigeantes et, à ce titre, ne sont
pas sans démontrer leurs limites; je veux dire que c'est dans toute
la mesure où nous avons fait, en logique, quelques pas dont, bien
sûr, celui que là je vous représente; mais que c'est
le pas originel, nous, qui nous intéresse. Pourquoi? Parce que c'est
en deçà de cette tentative de capture de l'énonciation
par les réseaux de l'énoncé que nous, analystes, nous
nous trouvons - mais quelle chance que le travail ait été poussé
si loin ailleurs - si ça peut être par là qu'à
nous se livrent quelques règles pour bien repérer la fissure.
Quand j'énonce que l'inconscient est structuré
comme un langage, ça ne veut pas dire que je le sais, puisque ce dont
je le complète, c'est proprement ce " on " sur lequel je mets l'accent
et qui est celui qui donne le vertige à l'ensemble des psychanalystes,
c'est qu'on n'en sait rien. On, le sujet supposé savoir, celui qu'il
faut toujours qui soit là pour nous donner le repos.
Ce n'est donc pas que je le sais si je l'énonce
c'est que mon discours ordonne, en effet, l'inconscient. Je dis que le seul
discours que nous ayons sur l'inconscient, celui de Freud, fait sens, certes,
ce n'est pas cela qui est important, parce qu'il fait sens comme on fait
eau : de toutes parts. Tout fait sens, je vous l'ai montré.
Colourless green ideas sleep furiously fait sens aussi.
C'est même la meilleure caractérisation que l'on puisse donner
de l'ensemble de la littérature analytique. Si ce sens dans Freud
est si plein, si résonnant par rapport à ce qui est en cause
- l'inconscient - si, en d'autres termes, ça se distingue de tout
ce qu'il a rejeté à l'avance comme occultisme, si chacun sait
et sent que ce n'est pas du Mesmer - c'est pour ça que ça subsiste
malgré l'insensé du discours analytique - c'est un miracle
que nous ne pouvons expliquer qu'indirectement, à savoir par la formation
scientifique de Freud.
L'important, ce n'est pas son sens, à ce discours,
dont il faut d'abord qu'il existe pour que ce que j'avance avec " l'inconscient
est structuré comme un langage " ait sa référence, sa
Bedeutung, parce que c'est là qu'on s'aperçoit que
la référence, c'est le langage. En d'autres termes que tout
ce que mon discours articule à propos de celui de Freud sur l'inconscient
aboutit à des formules isomorphes, celles qui s'imposent s'il s'agit
du langage pris comme objet. L'isomorphisme qu'impose à mon discours
l'inconscient concernant l'inconscient au regard de ce qu'il en est du discours
sur le langage, voilà ce dont il s'agit, ce qui fait qu'en ce discours
doit être pris tout psychanalyste, pour autant qu'il s'engage dans
ce champ qui est celui défini par Freud pour l'inconscient.
A partir de là, nous ne pouvons guère qu'énoncer
avant de vous quitter quelques épinglages destinés à
ce que vous ne perdiez pas la tête dans cette affaire. J'espère
que ce que je viens de dire au dernier terme concernant la formule " l'inconscient
est structuré comme un langage " gardera tout de même sa valeur
de point tournant pour ceux qui l'entendent même depuis longtemps comme
aussi bien pour ceux qui se refusent à l'entendre.
Bien sûr que notre science, celle qui est la nôtre,
ne se définit pas seulement de ces coordonnées par quoi il
n'est de savoir que par le langage. Il reste pourtant que la science elle-même
ne peut se soutenir qu'à la mise en réserve d'un savoir purement
langagier, à savoir d'une logique strictement interne et nécessaire
au développement de son instrument en tant que l'instrument est mathématique,
et que chacun peut toucher du doigt qu'à tout instant les impasses
proprement langagières où la met ce progrès de l'instrument
mathématique lui-même en tant qu'à la fois il accueille
et qu'il est accueilli par chaque champ nouveau de ces découvertes
factuelles, est un ressort tout à fait essentiel à la science
moderne.
Il reste donc bien qu'il y a tout un niveau où
le savoir est de langage et que ça n'est pas dire vanité que
de dire que ce champ est proprement tautologique, que ce soit à l'origine
même de ce qui a fait le départ de la science, à savoir
une prise de mesure du clivage ainsi défini dans le discours, d'une
ascèse logique qui s'appelle le cogito; c'est un signe que j'ai pu,
cette ascèse, la développer assez pour y fonder la logique
du fantasme, celle dont les articulations ont été, je dois
dire, fort bien isolées la dernière fois lors du séminaire
fermé par un de ceux qui ici travaillent dans ce champ de mon discours.
Il ne s'agit pas, comme il l'a dit - et comme il l'a dit
d'une façon légitime dans la perspective de ce qu'il essayait
d'apporter comme réponse à ce discours, d'une « nouvelle
négation » qui serait celle que je produirais; le Ciel m'en
préserve que je donne encore à quiconque avec l'introduction
d'une nouveauté l'occasion d'escamoter ce dont il s'agit, qui est
bien tout le contraire de ce quelque chose qu'on bouche puisque c'est quelque
chose d'imbouchable, plût au Ciel que je ne donnasse point au psychanalyste
un renouvellement d'alibi, à ceci qu'il a à être dans
le discours analytique, à savoir au sens propre et aristotélicien,
son
(upokéimenon), son support subjectif, certes, mais en tant que lui-même
en assume la division.
Versão Gagoa.